Noël en prison: la fête en clair obscur

APIC – Interview

Rencontre avec l’abbé Ernest Sallin, aumônier du pénitencier de Bellechasse

Marie-Claude Fragnière pour l’Agence APIC

Fribourg, 22décembre(APIC) A 80 ans, l’abbé Ernest Sallin, aumônier de la

prison de Bellechasse dans le Grand-Marais fribourgeois depuis 1967, sait

que désormais pour lui, c’est la « perpète »; mais cette peine a pour lui des

allures de vocation. Pour un détenu, le plus difficile à supporter est

l’absence, surtout autour de Noël, rappelle l’aumônier. Le ’padre’, comme

l’appellent les prisonniers, essaie d’apporter un peu de vraie joie… Car

il serait plus juste de parler d’appréhension de Noël que d’attente.

APIC: Nous sommes dans l’attente de Noël, mais c’est toute l’année que vous

êtes aumônier. Quelle est votre approche des prisonniers?

Ernest Sallin: C’est une approche toute simple d’amitié désintéressée. Pour

un détenu, le plus grand manque, c’est une présence. J’essaie d’être là

pour les écouter se dire, se raconter. Les murs de leur cellule crient

l’absence et la solitude, ils ont vraiment besoin de chaleur humaine. Même

s’il y a la télévision, croyez-vous qu’elle va un jour leur répondre, les

prendre par la main?

APIC: Il y a la révolte, l’agressivité?

E.S.: Je les ai toutes deux rencontrées, mais jamais subies. J’ai toujours

été bien accueilli. Ils me reçoivent tous aimablement, souvent avec joie.

Lors de ma première visite, j’apporte toujours une bougie que je confectionne moi-même, un calendrier, des cigarettes ou du chocolat. J’aime bien

constater que ces signes d’amitié du ’padre’, comme ils m’appellent, sont

mis à l’honneur dans leur cellule.

APIC: Vous êtes prêtre catholique, vos visites sont-elles ciblées?

E.S.: Je n’ai pas d’intention de prosélytisme. Je tiens à entrer en contact

avec chacun sans distinction de confession, de race ou de délit. Mon rôle

n’est pas de les convertir, mais de les aider à supporter leur détention.

Lorsqu’un ancien prisonnier m’a écrit: « J’ai découvert en taule une qualité

d’amitié que l’on ne trouve nulle part ailleurs », j’ai eu l’impression

d’avoir réussi ma tâche.

APIC: Comment se vit l’attente de Noël en prison?

E.S.: Il serait malheureusement plus juste de parler d’appréhension de

Noël, plutôt que d’attente. Bien sûr, pour beaucoup c’est une période de

congé de 24 ou 48 heures. Mais le retour dans la famille n’est pas toujours

une fête, et le retour en prison encore moins. Beaucoup d’autre part n’ont

pas de congé, la plupart des étrangers (ils forment les 3/4 des prisonniers) ne sauraient même pas où aller. Tous, de quelque religion qu’ils

soient, ont une idée de Noël liée à la fête, à la joie, à la chaleur. A ce

moment-là, l’absence est encore plus déchirante. Certains n’ont strictement

aucune visite de l’extérieur. Savez-vous ce que me demandent souvent les

soirs de Noël des Brésiliens ou des Boliviens? Une croix ou un chapelet.

APIC: Comment se prépare Noël à l’intérieur de la prison?

E.S: Il faut que Noël retentisse dans tous les coeurs, surtout les plus

blessés. A notre manière nous essayons d’être porteurs d’un peu de vraie

joie. Concrètement avec des bénévoles, nous organisons au début de décembre

des visites accompagnées de paquets de friandises, papier à lettres, stylos, cigarettes etc. Dans le paquet il y a toujours un message personnel

d’affection, de chaleur, d’un jeune ou d’un enfant qui pense aux prisonniers et qui a désiré le leur faire savoir. A propos de ces visites un détenu m’a écrit un jour: « Ce soir-là, je ne pouvais m’endormir. Le bruit

courrait que nos paquets de Noël arriveraient. Assis sur mon lit, j’attendais. J’avais allumé une bougie, tourné le bouton de ma radio. Un bruit de

serrure et de grosse clé: les lourdes grilles du bout du couloir se sont

ouvertes. Le verrou de la porte de ma cellule est tiré. Voici l’aumônier,

le ’padre’ accompagné de deux jeunes filles. Un brin de conversation puis

l’une d’elle me tend un paquet enrubanné. A peine m’ont-ils quitté que j’ai

ouvert le paquet. Il contenait plein de bonnes choses. Avant de m’endormir,

j’ai relu le message que m’adressait un écolier, j’ai épinglé le dessin au

mur de ma cellule. »

APIC: Racontez-nous le soir du 24 décembre à Bellechasse?

E.S.:Le 24 décembre, nous organisons une soirée dans la grande salle de

loisirs. Des sociétés viennent chanter pour les prisonniers – on s’est

aperçu que les chants patriotiques n’étaient pas ceux qu’ils préféraient.

Il y a des concerts, des jeux de cartes, des séances vidéos.

Pour ceux qui le désirent, il y a bien sûr la messe de Minuit. C’est un

double bonheur pour eux: c’est la messe de Noël, mais c’est aussi l’occasion de se mêler aux paroissiens du Vully parce que c’est l’église du village qui accueille les détenus autorisés à célébrer avec eux l’eucharistie.

Souvent un des prisonniers assure les lectures, c’est un grand moment.

APIC: Pourquoi faites vous encore cela à 80 ans?

E.S: Vous me demandez pourquoi à 80 ans, je continue à faire mes visites à

vélo? Ca c’est pour la forme. Pour le reste, c’est à cause de cette toute

petite phrase de l’Evangile: « J’étais en prison et tu m’as visité. » (apicmcf/mp)

Encadré

Carlos: un deuxième Noël derrière les barreaux

« C’est la deuxième année que je me trouve au temps de Noël derrière les

barreaux d’une cellule et les grilles de cette prison, raconte Carlos. Ce

qui me coûte le plus? La privation des miens, de ma femme et de mes trois

fils encore en bas âge en Colombie. Je ne peux chasser de mon souvenir les

Noëls de mon enfance: les douze coups de minuit au clocher du village, prélude à la messe de Minuit, et au retour de l’église, le réveillon chez nos

grands-parents avec les oncles, les tantes, leurs enfants… la crèche au

pied du sapin illuminé, sur la grande table les petits cadeaux, les gâteaux. Une fête préparée par tous depuis bien des jours dans la joie partagée, malgré la pauvreté.

Dieu soit béni! Dans trois mois je serai au bout du tunnel. Ma mère le

sait, elle vient de m’écrire: « Mon cher Carlos, courage, tu seras bientôt

dans l’avion qui t’avait emmené en Suisse. Ta mère, ton père, tes trois

garçons t’attendent ». (apic/mcf/mp)

Encadré

Gérard: un congé pour mon troisième Noël en détention

« Le premier Noël que j’ai passé en prison fut très pénible et très difficile à accepter. Mon affaire n’était pas jugée, et mes camarades étaient dans

une situation morale très basse, raconte celui que nous appellerons Gérard.

De plus, les gardiens pensaient à leur famille et cela se sentait dans le

contact qu’ils avaient avec nous, même s’ils ont essayé de nous apporter un

peu de joie que j’ai eu beaucoup de peine à accepter. Je pensais à mon

épouse, à mes enfants, seuls à la maison. C’était le Noël d’un être paumé.

Mon deuxième Noël fut plus calme et plus détendu. Grâce à l’ expérience

de l’année précédente, j’ai réussi à me soustraire à l’influence de l’extérieur. J’ai fait mon Noël tout seul au fond de moi, au fond de mon coeur.

Je l’ai fait tout simplement en lisant le récit de la Nativité dans la Bible. J’ai pu ainsi apporter à quelques camarades un peu de chaleur et de

joie auxquelles ils ont été sensibles.

Pour mon troisième Noël de détenu, je vais bénéficier d’un congé. Je

pourrai le passer à l’extérieur et donner tout l’amour et la joie qu’il y a

au fond de moi. Joyeuses fêtes de Noël à tous! (apic/mcf/mp)

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