Valère: les statues inconsolables du calvaire

La Vierge Marie, l’apôtre Jean et Jésus crucifié attirent d’emblée l’attention du pèlerin qui est «monté à Valère». L’expression réaliste de la tristesse et de la douleur de ces personnages y est pour beaucoup.

En passant la porte de la basilique, une fois qu’on les a vues, il est difficile de détacher le regard de ces statues sur le visage desquelles se lisent douleur et tristesse. En plus d’une certaine affliction que lui confèrent les traits de son visage, le regard de la Vierge exprime de l’amertume. De l’autre côté du calvaire, l’apôtre Jean semble consterné et les yeux mi-clos du Christ, presque révulsés, traduisent une souffrance extrême.

Le calvaire de la basilique de Valère. La Vierge Marie | © Bernard Hallet

«Il s’agissait de capter l’attention des pèlerins qui montaient à Valère et de les saisir. La tristesse exprimée par ces statues devait refléter celle des fidèles pour qu’ils puissent s’identifier», indique Maria Portmann, conservatrice cantonale des monuments historiques du Valais. Ces personnages, réalisés à l’échelle humaine, prostrés dans la douleur font encore leur effet en 2022.

Souci du réalisme

La tendance artistique qui naît avec le XVIe siècle, et qui amène le souci du réalisme dans la représentation humaine, explique cette vraisemblance émotionnelle. «A cette époque, on commence à comprendre que l’anatomie enseignée dans les livres des auteurs anciens en latin ne correspond pas à la réalité de la dissection des corps humains pratiquée dans les universités, notamment à Padoue et Bologne et par les artistes. Dès lors, l’étude appliquée de l’anatomie se développe et influence aussi l’art. L’Église veut aussi donner à voir aux fidèles de plus en plus d’œuvres qui expriment au plus près la réalité non seulement des sentiments de ces personnages, mais aussi de leur corps».

Valère le 28 juillet 2022. Le calvaire de la basilique de Valère. L’apôtre Jean | © Bernard Hallet

A cet effet, le corps du Christ, couvert de sang qui a coulé depuis les blessures des bras cloués à la croix, montre des veines saillantes et la peau blanche. «L’aspect corporel du Christ n’a pas été négligé pour renforcer le réalisme du supplice». Les yeux rougis, les lèvres serrées et le teint presque livide de la Vierge et de l’apôtre leur donnent une carnation renvoyant à une tristesse douloureuse.

Début XVIe siècle

L’ensemble se situe au début du 16e siècle. L’installation des statues sur le jubé date de façon certaine de 1526. L’année est mentionnée au pied de la croix. «La dendrochronologie (datation du bois d’après l’étude des cernes) a confirmé l’époque en situant la coupe de l’arbre en 1515», affirme la conservatrice.

Même si leur style et leur facture les placent très certainement à la même époque, il est en revanche impossible de dater précisément la Vierge et l’apôtre Jean. L’épaisseur du bois des statues ne permet pas un prélèvement en vue d’une étude dendrochronologique. Les statues sont en fait creuses. Les troncs à partir desquels elles ont été produites ont été évidés puis le dos découpé avant d’être fixé à la fin de la réalisation. «Comme le bois travaille, cette technique avait pour but de le stabiliser et d’éviter ainsi que les statues ne se fendent», détaille la conservatrice.

Le calvaire de la basilique de Valère. Le Christ | © Bernard Hallet

Sur de nombreux points, le calvaire demeure une énigme. D’où viennent ces statues? Qui les a réalisées? Pourquoi avoir placé cet ensemble à cet endroit? «Nous ne disposons pas de sources écrites ou visuelles nous permettant de répondre à ces questions avec certitude», explique Maria Portmann.

Pour la Semaine-Sainte

«L’emplacement laisse supposer que c’était pour accueillir les pèlerins qui montaient à Valère, probablement à l’occasion de la Semaine-Sainte. Une des rares opportunités pour les fidèles d’entrer dans l’église (élevée au rang de basilique par Jean Paul II lors de son voyage en Suisse en 1984). A l’époque, seuls les chanoines vivent à Valère et accèdent à l’église du vénérable chapitre cathédral.

Le calvaire de la basilique de Valère. La Vierge Marie | © Bernard Hallet

Le calvaire pourrait avoir été taillé à l’étranger: «Le style ne correspond à rien de ce qui est fait en Valais à l’époque. Le travail est beaucoup plus fin. Les plis des vêtements sculptés dans le bois d’une seule pièce, les motifs floraux appliqués sur les vêtements relèvent d’un grand soin et d’une attention particulière qu’on ne retrouve pas en Valais. On penche plutôt pour le nord des Alpes, l’Allemagne ou l’Autriche (par opposition au sud des Alpes, à l’art italien) pour la sobriété des formes et des traits des personnages et les cheveux sculptés en bouclettes, typiques de ce qui se fait dans ces pays.

«On ne sait pas si c’est une commande spécifique pour l’église de Valère à l’occasion d’un changement de décoration, ajoute la conservatrice. On note en tout cas plusieurs éléments de la même période qui se trouvent dans la basilique: le monogramme ‘IHS’ de 1554, peint au plafond de la première travée du choeur, le tabernacle portant la date de 1533. Les normes d’ornementation des églises évoluent-elles à cette période? Rien ne l’affirme».

État de conservation exceptionnel

Le calvaire de la basilique de Valère. L’apôtre Jean dont le drapé du vêtement est très fin | © Bernard Hallet

Le sculpteur et le peintre étaient-ils une seule et même personne? Deux artistes ont-ils travaillé sur ce calvaire? «Là aussi, sans certitude, c’est impossible à dire. A l’époque, les artistes voyagent beaucoup. On a peut-être affaire à un ou des élèves de… ou des artistes qui travaillent à l’atelier d’un grand maître.» Tout au plus peut-on établir un parallèle avec la partie centrale du retable de Jesse, resté longtemps à Valère avant d’être déplacé à la cathédrale de Sion tel que l’a relevé Heribert Reiners en 1943.

«L’ensemble est dans un état de conservation exceptionnel. Le nettoyage et le dépoussiérage du calvaire en 2021 et 2022 ont permis de retrouver son état d’origine». «Paradoxalement, la couche de crasse et de poussière a préservé ces statues des outrages du temps», explique Maria Portmann. Le fait que l’église n’est pas chauffée a aussi contribué à la bonne conservation de l’ensemble.

Nettoyés, les personnages demeurent prostrés dans la tristesse et la douleur, inconsolables. Ils gardent pour le moment le secret sur leur origine et leur créateur. (cath.ch/bh)

Bernard Hallet

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