Manger la moitié

Été, chaleur, on limite son activité, la nature est au ralenti, sèche, assoiffée, vulnérable, pauvre. Trop de soleil, pas assez d’eau. Troisième fois cet été, sonnette d’alarme, crise climatique. Ne nous savons que faire. Tout arrêter ou faire de la cosmétique pour surtout ne rien changer sur le fond? Nous avons perdu la mesure!

Sortir de la règle du tout ou rien, pour retrouver le juste milieu.

Je me souviens d’une discussion avec un collègue médecin à propos des multiples régimes alimentaires destinés à nous faire perdre du poids. Il me disait que dans son expérience le seul régime qui était vraiment efficace c’était le régime MLM. Devant mon air interrogatif, il précisa: «oui, manger la moitié».

Sagesse d’une personne d’expérience qui avait déjà tout vu et son contraire. Sagesse des anciens philosophes aussi qui avaient repéré dans nos comportements, cette oscillation constante entre le trop et le trop peu, la sagesse se trouvant alors dans le juste milieu. Milieu qui n’est pas un moins par rapport aux extrêmes, mais un plus, l’endroit où se trouve le maximum de possibles, de bien et donc de bonheur.

« Les crises sont beaucoup plus des affaires de rééquilibrage que de moyens drastiques. »

Dans la crise écologique actuelle, on est également dans ce balancement. Faire comme si de rien n’était, ou tout arrêter. Utiliser la voiture ou l’avion pour tous nos déplacements, ou mettre la honte à ceux qui le font. Je repense à mon collègue et son MLM. Si chaque personne ou collectivité faisait l’effort de «manger la moitié», c’est-à-dire de diminuer de moitié son utilisation de moyens polluants, la partie serait probablement gagnée. Les crises sont en effet beaucoup plus des affaires de rééquilibrage que de moyens drastiques. Si nous revenons à l’alimentation, il ne s’agit pas de devenir végane, mais nous pourrions diminuer de moitié notre consommation de viande en passant de 50 kg par année à 25kg. Notre santé s’en trouverait mieux et la pression à l’industrialisation de l’élevage diminuerait.

Le problème avec l’injonction à manger la moitié, c’est qu’on la voit sous l’angle du renoncement. On voit principalement la moitié dont on se prive. Renoncer à tout manger c’est peut-être savourer mieux ce que l’on consomme. La tradition de l’éthique des vertus depuis longtemps décrit la vertu de tempérance comme l’excellence dans la manière de consommer, ni trop ni trop peu. L’éthique écologique a mis à l’honneur la notion de «sobriété heureuse». L’économiste et religieuse sœur Cécile Renouard fait un pas de plus en parlant de «tempérance solidaire» qui, dit-elle, nous ouvre à la créativité de nouveaux «modes de vie et façons d’être en société».

Manger la moitié c’est manger, mais pas tout. C’est renoncer à avaler le monde, à se l’incorporer, à le ramener à soi pour le garder anxieusement. C’est accepter qu’il y ait de l’autre qui ne soit pas moi, des personnes et des choses que je laisse être sans chercher à me les approprier. À partir de là, dit le pape François, nous pouvons faire l’expérience d’une sobriété libératrice respectueuse et contemplative. «On peut vivre intensément avec peu, surtout quand on est capable d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on trouve satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie» (Laudato si’, 223).

Thierry Collaud

10 août 2022

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