Homélie du 21 août 2022 (Lc 13, 22-30)

Chanoine José Mittaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard, VS

Chers frères et soeurs,
Qu’est-ce que ça vous fait quand vous entendez cette parole de Dieu : « Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons » ? Pas certain que ça nous donne envie de se rapprocher du Seigneur. Reconnaissez quand même que tout est affaire d’intonation. Si je vous dis cette même phrase mais comme on dit un bonjour, à la manière dont on accomplit une bonne œuvre ou comme à chaque jour de création quand Dieu vit que cela était bon, ça change la perspective. Je vous invite donc à reconnaitre l’engagement du Seigneur en nos vies, un engagement qui est bon, qui fait du bien. D’ailleurs, l’auteur de la lettre aux Hébreux a certainement perçu qu’on pouvait mal comprendre la référence à l’Ecriture puisqu’il dit : « Vous avez oubliez cette parole de réconfort ». Si je ne l’entends pas comme une parole de réconfort, cela veut dire que je n’ai pas bien entendu.

Et qu’est-ce-qui fait qu’une leçon, on ne l’oublie pas ? Tout ceux qui sont dans l’enseignement le savent, c’est en invitant à répéter. On apprend par répétition.

Hier, dans les jardins de l’évêché du diocèse de Sion, nous avons vécu une messe des familles où il y avait la bénédiction des cartables de tous ces enfants qui reprenaient le chemin de l’école. Les cartables plus jolis les uns que les autres ! J’ai posé la question aux enfants : « Qui trouve que son cartable est joli ? » Beaucoup de mains se sont levé. J’ai posé la question : « Qui aime faire ses devoirs et ses leçons ? » Pas mal de main se sont quand même levées, je tiens à vous rassurer. Mais peut-être que l’enjeu d’un joli cartable, c’est d’avoir plus de courage et de réconfort au moment où il faut en sortir ses devoirs et ses leçons. Traduction pour nous aujourd’hui : Quand nous sommes face aux exigences de la vie, c’est important de savoir comment on va environner ses exigences de la vie.

Transfigurer ce qui est misère en lumière

J’aime beaucoup cette parole de Mère Teresa qui dit : « Les sœurs disent de moi que je souris tout le temps. Si elles savaient combien ce sourire est un manteau à l’intérieur duquel je couvre ma misère ». Chaque mot est important. Pas un sourire qui cache la misère. Ça ne serait pas le même sourire. Mais un sourire qui couvre la misère. Autrement dit, qui peut la transfigurer. Je crois que Dieu nous apprend à transfigurer ce qui est misère en lumière. Ensuite, j’ai invité les enfants à faire de la conjugaison. Je … mes devoirs. Je fais mes devoirs. Très bien. Je … mes leçons. J’apprends mes leçons. Dieu ne nous donne pas de devoir mais il « nous apprend les chemins de la vie ». Comme dit le psaume 15 : « Devant ta face, débordement de joie, à ta droite, éternité de délices. » Mais c’est sûr qu’apprendre c’est difficile. Et Dieu pour nous apprendre, il passe par les uns et les autres. Comme les parents était présents à cette messe avec les enfants, j’ai demandé aux enfants : « Qu’est-ce-que vous comme enfants vous apprenez à vos parents » ? Un enfant avec un large sourire tout de suite lève la main et dit : la patience. Croyez bien que ce n’est pas toujours facile pour les parents. Les leçons de Dieu données par les enfants au service de la patience des parents, pas tout simple !

Nous sommes en apprentissage

Dans l’évangile d’aujourd’hui, on termine par nous dire qu’il y a des premiers qui seront derniers et des derniers qui seront premiers. Le propre des derniers, c’est de ne pas avoir la prétention d’être premier. La tentation des premiers c’est de se savoir premiers. Si le Seigneur nous donne des leçons (oui, c’est un cadeau), je dirais que la première leçon que nous avons à apprendre est justement que nous sommes en apprentissage. Or, la tentation est parfois grande d’être sûr de savoir :  nous savons qui est Dieu. Nous savons vivre. Nous savons ce qu’est le bien. Nous savons ce qu’est le mal. Permettez-moi de mettre quelques doutes.

Toute ma vie, en fait, j’apprends à vivre. Cette expérience-là, je l’ai expérimenté d’une façon bouleversante. Il y a un peu plus d’une année, j’ai eu la joie d’aller au Maroc dans l’unique communauté monastique de Midelt où, en terre musulmane, vivait le dernier survivant, frère Jean-Pierre, des moines de Tibhirine. J’ai pu le rencontrer quelques mois avant sa mort. Auparavant, nous avions marché quelques jours pour nous préparer le cœur. Nous avons voulu rentrer par la porte étroite, donc nous avons cherché à préparer notre cœur pour pouvoir être accueillis dans ce monastère. Et moi, je me suis préparé en voulant poser à ce moine d’environ 95 ans une seule question, évidemment un peu provocatrice : Comment voyez-vous votre avenir ? Et ce moine qui était courbé, plus courbé que les voutes d’une église romane, me répondit : « Voyez-vous, je ne peux plus rendre service à la communauté, je ne peux plus rien faire, je n’ai plus la force. Alors maintenant, j’apprends à prier. Je suis un apprenti de la prière ». Voilà toute sa vie, il arrive au soir de son existence et il se met en posture où il apprend. C’est une leçon de Dieu pour chacune et pour chacun d’entre nous.

Par la même occasion, je souhaite vous partager une deuxième leçon de Dieu. J’ai eu la possibilité d’aller visiter une personne originaire d’un pays du Maghreb en prison. Vous savez combien dans ces pays du Maghreb, où les moines de Thibhirine sont aussi présents et où vivent nos frères dans la foi d’Abraham, les musulmans, combien l’accueil et l’hospitalité sont importants, ça fait partie intégrante de leur tradition. Et j’ai été visité ce monsieur exclu dans sa prison. Je rentre, je lui dis bonjour, il me dit bonjour, on se serre la main puis, selon cette belle tradition des gens de là-bas, il met la main sur son cœur. Alors je mets la main sur mon cœur. Avec un grand sourire, je lui dis « Shukran », c’est-à-dire merci en sa langue. Peut-être que la porte étroite dont nous parle l’Evangile se situe justement là. Et juste après, il me dit : « Vous voulez un café » ? En fait, je venais d’en boire un avec un autre aumônier quelques minutes avant. Mais devant sa proposition, j’ai dit tout de suite oui. Avec son unique tasse, il est allé dans l’unique lavabo la nettoyer. Il ne m’a pas dit : « Tiens ou tenez la poudre, elle est là ». Non. Il a lui-même mis le café, il a versé l’eau, il a brassé un moment comme s’il me cuisinait un repas. En fait, il a fait de ce café un « Sois le bienvenu ». Je représentais le pays qu’il l’excluait et dans son lieu d’incarcération, il me dit « Sois le bienvenu ». J’entends très concrètement en moi résonner l’Evangile de la Saint-Bernard : « J’étais en prison et tu m’as visité. »

Le porteur de Dieu, ce n’est pas celui qui visite, pas moi, c’est lui. Cela rejoint aussi ce que disait Monseigneur Teissier, évêque d’Alger : « Evangéliser l’autre, ça n’est pas évangéliser l’autre sinon on transmet de nouveau un savoir à celui qui ne sait pas. Evangéliser l’autre, c’est évangéliser sa manière d’aller à l’autre ». L’Evangile n’est pas d’abord un message à transmettre. C’est une présence à vivre. Cette présence, elle est bonne nouvelle. La vôtre, vous qui êtes ici réunis à l’hospice du Grand-Saint-Bernard ce matin, la vôtre, chers amis qui nous écoutez depuis votre lieu de vie, depuis là où vous êtes et dans les évènements que vous vivez. Que cette célébration nous soit un réconfort parce que la leçon de vie n’est jamais facile à accueillir. Mais seul peut bien vivre celui qui a été d’accord d’apprendre les leçons de la vie. Quand vous sentez aujourd’hui le prix de votre présence, rappelez-vous dans votre histoire, quelles épreuves vous avez traversées et qui ont affiné qui vous êtes aujourd’hui.

Comment le chemin parcouru de votre vie vous a permis, grâce à l’amour de Dieu et à sa présence, de vous laisser transfigurer pour que vous soyez, le plus souvent à votre insu, visage de ce Dieu qui nous aime ?

21e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Isaïe 66, 18-21; Psaume 116; Hébreux 12, 5-13; Luc 13, 22-30

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