Père Albert Longchamp: «l’à-Dieu» à un vieux camarade

«C’est d’un vieux camarade dont nous faisons mémoire aujourd’hui: Albert Longchamp, 1962-2022, soixante ans de compagnie», a lancé le Père Jean-Blaise Fellay, lors de la messe «pour un à-Dieu» à son confrère, le 7 septembre 2022, en l’église Sainte-Croix de Carouge. Un adieu ému à un compagnon de route «fraternel» qu’il connaissait depuis leur noviciat jésuite à Fribourg.   

Les amis du prêtre journaliste vaudois décédé le 4 août 2022 à Genève, à l’âge de 80 ans, remplissaient l’église jusqu’aux derniers rangs, venus nombreux lui rendre hommage lors de cette messe d’adieu présidée par le Père Beat Altenbach. Derrière l’autel, devant lequel était posé l’urne du défunt, au-dessus d’une photo d’un Père Longchamp souriant, le supérieur de la communauté des jésuites de Genève était entouré d’une quinzaine de concélébrants, dont les jésuites de Suisse Romande et des amis prêtres.

«Il a marqué le paysage catholique de Suisse romande»

Le Père Altenbach a salué en Albert un journaliste et un écrivain engagé de toute son âme pour proclamer la Bonne Nouvelle, l’Evangile du Christ, «un homme qui a marqué le paysage catholique de Suisse romande après le Concile Vatican II».  

Au début de la cérémonie, Jean-Blaise Fellay a rappelé le parcours du Père Longchamp, ordonné prêtre en 1973, après un long chemin qui l’amènera du Petit-séminaire Saint-Louis, au collège bénédictin d’Engelberg, puis après l’école de recrues à Lausanne au noviciat à Fribourg, suivi d’études de Lettres à Laval, la philosophie dans un ancien couvent bénédictin, à Pullach, près de Munich, les études de théologie à Fourvière, à Lyon.

Le Père Jean-Blaise Fellay, un «vieux camarade» du Père Longchamp | © Jacques Berset

Vocation journaliste

Licence en théologie, licence en sociologie en poche, Albert, taraudé par la question sociale, a un rêve secret: il veut être prêtre ouvrier. Il demande de pouvoir rejoindre le Père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart-Monde, puis veut travailler en usine. «Mais aucune chance de se faire engager comme ouvrier, à l’époque où règne le trotskisme, ce quadruple licencié universitaire paraît suspect. Il va distribuer des journaux,Témoignage chrétien. Le directeur Georges Montaron le repère, l’engage à la rédaction. Albert a trouvé sa véritable vocation, il sera journaliste (…) Toute sa vie il va ciseler des phrases, ajuster le vocable à la pensée. Il était journaliste par tempérament, il fut très heureux à Paris et à Témoignage chrétien». Avant d’être rappelé à Genève pour reprendre la revue jésuite choisir, qui traversait une grave crise.

Le «poil à gratter» de l’Eglise

En fin de cérémonie, avant l’absoute, Bernard Litzler, successeur d’Albert Longchamp comme rédacteur en chef de l’Echo Magazine, a évoqué la carrière d’Albert comme journaliste. «A peine prononcé, le mot de ›journaliste’ apparaît déjà comme trop limité pour contenir ce que fut sa vie professionnelle», assène l’ancien directeur du Centre catholique des médias Cath-Info, désormais diacre lausannois.

Bernard Litzler, successeur d’Albert Longchamp comme rédacteur en chef de l’Echo Magazine | ©  Jacques Berset

«Ce qui vient tout de suite à l’esprit quant à ce parcours, ce sont tes débuts à choisir, mensuel jésuite romand, où tu as fait tes armes, Albert, sous la houlette de personnalités comme Raymond Bréchet. Choisir, une aventure éditoriale étonnante, qui t’a entre autres valu, au Vatican, une mémorable remontée de bretelles dont tu gardas un souvenir cuisant, à cause d’une enquête réalisée par Pierre Emonet [en février 1981, quand il publie dans la revue choisir un dossier solidement étayé sur l’Opus Dei rédigé par le Père Pierre Emonet, ndlr]. Choisir t’a ensuite conduit à l’Echo Illustré. Cet Echo qui va devenir, sous ta houlette, l’Echo Magazine».

Une pensée claire, solide, argumentée

«Tu savais trouver les mots, choisir les faits. Jamais la langue dans la poche, jamais des mots en l’air. Albert, tes éditoriaux ont imprimé la marque d’une pensée claire, solide, argumentée. Tout le monde ne te suivait pas, mais ta voix défendait un christianisme ouvert, attentif aux signes des temps, proche des gens, surtout des plus pauvres. Tu as souvent passé pour le ›poil à gratter’ de l’Église. Et pourtant, tu l’aimais cette Église. Mais tu ne supportais pas ses déviances, son cléricalisme, sa toute-puissance. Il a fallu qu’un jésuite comme toi devienne pape pour qu’on comprenne mieux encore qu’on peut être dans l’institution et vouloir qu’elle évolue. Merci, Albert, de ta fidélité farouche et de ton indépendance d’esprit!» (cath.ch/be)

De larges centres d’intérêt
Albert Longchamp est né le 31 août 1941 à Echallens, dans le canton de Vaud. A la tête de l’Echo Illustré qui devint l’Echo Magazine, «il s’y dévoua sans compter pendant vingt ans. Cela ne lui suffisait pas. Il voyageait beaucoup, très intéressé par les problèmes du Tiers-Monde, il fréquentait les rassemblements de Puebla et de Medellin. Documentait les problèmes de la théologie de la libération, les collusions des évêques argentins avec la dictature militaire. Il suivait les dérives de l’intégrisme catholique», a témoigné Jean-Blaise Fellay lors de la messe d’adieu.Il a rappelé que son condisciple donnait des cours d’éthique journalistique à l’Université de Fribourg, des conférences en France et en Romandie, qu’il s’engageait dans les organisations catholiques comme l’agence APIC, la Commission des médias de la Conférence des évêques suisses, l’Union catholique internationale de la presse (UCIP). «Cela lui laissait encore le temps de rédiger des biographies de saints et de présider l’association des Amis de Maurice Zundel, ce grand penseur et spirituel romand».

Provincial des jésuites de Suisse
«Il devint supérieur de la communauté, lui qui était toujours au dehors. On lui demanda même de devenir Provincial de Suisse. Comme toujours, il accepta», confie Jean-Blaise Fellay. «Albert était gentil, parfois trop gentil. Il était magnifique d’intelligence quand il pouvait réfléchir, de nuit, sur l’un de ses éditoriaux, il avait l’art de pondérer les choses. Mais porter la responsabilité directe de drames humains, était une chose difficile pour lui. (…) Pour un homme de communication, comme Albert, c’était se trouver dans des conflits intérieurs impossible à maîtriser, surtout quand cela concernait des confrères et même, plus près de lui, sa propre famille. De là, je pense, l’irruption de l’alcool dans sa vie. Il avait beaucoup travaillé, trop fumé, ne s’était pas ménagé. Il fut soigné mais sa santé était irrémédiablement atteinte. Il est peu à peu entré dans le silence». Le Père Albert Longchamp a aussi été membre du comité de la section suisse d’Aide à l’Eglise en Détresse AED/ACN durant 20 ans, dont il fut aussi vice-président jusqu’à démission en décembre 2016. JB

Jacques Berset

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