Verbe de Vie: «De beaux fruits» malgré les dysfonctionnements

L’évêque français Mgr François Touvet, administrateur du Verbe de Vie suite à la décision de sa dissolution, a passé au début septembre 2022, trois jours en Suisse pour discerner l’avenir de la maison de la communauté à Pensier (FR). Au-delà des difficultés et des dysfonctionnements constatés lors de la visite canonique, l’évêque de Châlons-en-Champagne tient à mettre en avant les belles choses vécues en ce lieu.

Le choc a été grand, le 25 juin 2022, lorsque le cardinal Jozef De Kesel a annoncé la décision de dissoudre le Verbe de Vie. Il a jugé que cette communauté charismatique fondée en France en 1986 ne pouvait pas être réformée. Mgr Touvet, évêque de Châlons-en-Champagne (Grand Est), a été nommé administrateur du Verbe de Vie, chargé d’accompagner le processus de sa dissolution, fixée au 1er juillet 2023. Dans le cadre de sa mission, il s’est rendu, début septembre 2022, trois jours dans la région fribourgeoise, notamment à Pensier, où la communauté possède une maison.

Au cœur de la visite, l’accompagnement des personnes a été la priorité. Le prélat français a aussi rencontré les acteurs concernés, notamment Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), et son auxiliaire Mgr Alain de Raemy, pour discuter de l’avenir de la communauté locale et de la maison. cath.ch l’a rencontré sur place avant son retour en France.

Quel est l’état d’esprit chez les membres, plus de deux mois après l’annonce de la dissolution?
Mgr Touvet: Chez les communautaires résidentiels qui représentent un premier cercle de 40 membres, certains sont très fragilisés. Ils ont été accompagnés par un psychologue tout au long de l’été. L’accompagnement est poursuivi pour ceux qui en ont besoin. Ils sont passés par différentes phases, la stupéfaction, le silence, le deuil, la colère… Mais finalement, ce qui a émergé c’est une belle confiance envers l’Eglise, qui a pris en main la communauté. Ils ont compris que le but était de les aider.

Certes l’annonce de la dissolution a été brutale, mal ressentie par certains membres. Mais elle a aussi été bien accueillie par d’autres, y compris dans la communauté. J’essaye de réaliser ma mission dans une dimension pastorale, avec toute la Miséricorde de Dieu.

«Il y avait au départ une belle intuition, qu’on ne va pas laisser disparaître comme cela»

Le fait que je sois évêque du lieu où se trouve leur maison principale (à Andecy, en Champagne, ndlr), et que je connaisse la plupart de ces personnes a facilité les choses. Il y a un contact réellement amical et fraternel.

Des solutions de replacement ont-elles été trouvées?
La situation des Frères est validée pour l’année qui vient. Pour les sœurs, seulement quelques-unes d’entre elles ont trouvé un débouché, un travail dans l’Eglise ou ailleurs. Tout cela est en progression.

Et pour les autres cercles?
Les communautaires non-résidentiels, une centaine, qui sont des laïcs profondément engagés dans la vie de la communauté, sont un peu plus en colère. Ils ne comprennent pas pourquoi c’est la dissolution qui a été choisie plutôt qu’une voie de guérison et de renouvellement. Je suis en contact avec certains et je mettrai prochainement en oeuvre un processus pour les accompagner dans les mois qui viennent.

Le troisième cercle comprend les communautaires de l’Alliance. Ils ne sont pas engagés dans la communauté, mais y sont affiliés. Ils vivent des temps de rencontre deux fois par mois. Pour eux aussi, il y a un processus d’accompagnement piloté par le Belge Jean-Luc Moens, de la Communauté de l’Emmanuel, qui a été modérateur de CHARIS, l’organisme voulu par le Saint-Siège pour coordonner les groupes du Renouveau charismatique.

Quelles sont les perspectives pour eux?
Toutes les Maisons de l’Alliance vont dans les mois qui viennent communiquer sur ce qu’elles pensent de l’avenir de ces petites fraternités domestiques. A la Pentecôte 2023, je vais rassembler tout le monde. Et, avec un ou deux évêques de France, que je vais tenter d’associer à ce processus synodal, je vais recueillir tous ces avis et les envoyer en mission. Il s’agira d’une nouvelle étape, qui ne sera plus le Verbe de Vie, ni les Maisons de l’Alliance, mais où les chrétiens pourront continuer de se regrouper et d’échanger. Il y avait au départ une belle intuition, qu’on ne va pas laisser disparaître comme cela. Tous ces gens sont missionnaires aussi.

«Nous voudrions que la maison reste un lieu d’accueil, d’éducation, d’élévation spirituelle»

Quels sont les plans pour la maison de Pensier?
Jusqu’à maintenant, c’est un travail de prospective, de prise de contacts, le début d’un processus de réflexion pour la reprise du bâtiment. Car la maison de Pensier ne peut pas rester la propriété de l’association civile de la communauté en Suisse. Quand nous aurons une estimation de la valeur marchande, nous pourrons en parler avec les différentes instances qui peuvent être intéressées. J’espère régler cela d’ici le printemps.

Certaines pistes sont-elles privilégiées?
Toutes les pistes possibles sont envisagées, mais ma priorité est celle d’une transmission de ce patrimoine à un organisme ou une institution de l’Eglise. Une priorité partagée par mes divers interlocuteurs. Nous voudrions que la maison reste un lieu d’accueil, d’éducation, d’élévation spirituelle.

C’est la première fois que vous venez à Pensier, qu’y avez-vous découvert?
Tout d’abord, un magnifique endroit, avec un grand potentiel. Mais j’ai aussi été enthousiasmé par le récit de tout ce qui s’est passé ici, l’ampleur des activités. Tout cela a suscité un bel élan de foi, des conversions, des découvertes de la Parole de Dieu.

«A l’heure actuelle, il n’y a pas de signalement ni de plainte à l’encontre d’aucun membre du Verbe de Vie»

On a beaucoup parlé des dysfonctionnements, mais moi je souhaite souligner aussi tous les beaux fruits engendrés. Je ne suis pas là pour enfoncer, pour juger. J’essaye d’accompagner la dissolution dans une dimension pastorale, avec toute la Miséricorde de Dieu.

On ne peut quand-même pas éluder le côté sombre…
Certes il y a eu des difficultés, des souffrances. C’est le fonctionnement de la communauté qui a été mis en cause, et non les personnes qui la composent. Mais c’est un peu ce qui se passe dans n’importe quelle famille. Il ne faut pas noircir le tableau. Je suis là pour accompagner le côté positif aussi bien que le négatif.

Mgr Morerod a lancé en juillet un appel à témoignages sur d’éventuels abus en relation avec le Verbe de Vie. Etes-vous au courant des résultats?
J’ai parlé de l’appel avec Mgr Morerod et Mgr Alain de Raemy (évêque auxiliaire de LGF, ndlr). Je suis en contact permanent avec l’évêque. Les relations sont fraternelles et confiantes. Ils m’ont communiqué cinq réponses à cet appel. Elles concernent principalement des difficultés rencontrées dans la vie de la communauté, des tensions avec les responsables.

«L’Eglise veille à ce que l’Evangile soit mis en œuvre avant tout, et non les ambitions ou les folies humaines»

Une des réponses évoque l’abus sexuel. Mais il s’agit d’éléments que nous savions déjà. Le cas concerne des agressions sexuelles sur des personnes adultes commises dans le cadre de la communauté du Verbe de Vie par le Père Jacques Marin, prêtre de la prélature de la Mission de France, décédé en 2019. Le prêtre n’était pas membre de la communauté, mais y était régulièrement invité en tant qu’intervenant. Et c’est dans ce contexte que ces agissements se sont produits.

Il convient de dire qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de signalement ni de plainte à l’encontre d’aucun membre du Verbe de Vie.

N’y a-t-il pas, aujourd’hui, une forme de «désillusion» face aux communautés nouvelles?
Il y a certainement une prise de conscience des dysfonctionnements qui ont pu se produire. Par rapport à cela, l’Eglise s’est engagée dans une démarche d’accompagnement, de guérison et de purification, qui passe par la vérité.

Depuis les années 1970, la société a vécu une sécularisation très rapide. On avait l’impression que tout partait en lambeaux. Les communautés nouvelles qui émergeaient donnaient le visage d’une jeunesse, d’une vitalité, d’une ardeur assez extraordinaires, et on s’est dit: tout le renouveau de l’Eglise est là. Et c’était en partie vrai, je crois toujours au travail du Saint-Esprit dans ces communautés. Mais aujourd’hui, je crois qu’on peut le dire: il y a eu un déficit de vigilance et d’accompagnement qui ont laissé le champ libre à des dérives et des débordements.

La fraternité, l’unité, la communion doivent primer partout dans l’Eglise. Nous ne jouons pas les uns contre les autres. On ne peut pas dire par exemple: «Je suis au Verbe de Vie, je n’ai rien à faire avec le diocèse». Ce qui se passe est le signe que l’Eglise veille à ce que l’Evangile soit mis en œuvre avant tout, et non les ambitions ou les folies humaines de tel ou tel. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/mgr-touvet-jai-decouvert-les-beaux-fruits-engendres-a-pensier/