J.-M. Poffet: «La Bible est une inspiration, pas un livre de recettes»

Doit-on prendre la Bible au pied de la lettre? Peut-on l’interpréter, voire même la remettre en question? Le théologien dominicain Jean-Michel Poffet donne quelques éclairages sur ce vaste sujet.

En 2012, lors d’une de ses émissions, une célèbre animatrice radio américaine avait assuré en se référant au Lévitique (chapitre 18, verset 22) que l’homosexualité était une «abomination». Quelques jours plus tard, un auditeur lui a adressé une lettre ouverte lui demandant des «conseils quant à d’autres lois bibliques». «Je souhaiterais vendre ma fille comme servante, tel que c’est indiqué dans le livre de l’Exode, avait notamment demandé l’auditeur. A votre avis, quel serait le meilleur prix?» Il démontrait dans la suite du texte par d’autres exemples empreints d’ironie l’aspect anachronique et inapplicable des lois de l’Ancien Testament.

Alors que la compréhension littérale de la Bible possède encore des adeptes, le dominicain Jean-Michel Poffet, ancien directeur de l’Ecole archéologique et biblique française de Jérusalem, donne sa vision d’une lecture éclairée des textes sacrés.

Peut-on trouver, comme certains le pensent, dans la Bible, des réponses sur l’homosexualité, le célibat des prêtres, ou encore l’accès des femmes au sacerdoce?
Jean-Michel Poffet: La Bible ne nous dira pas si les femmes peuvent devenir prêtres, parce qu’elle ne pose pas cette question. Pour qu’on la lise correctement, elle a besoin d’un milieu d’interprétation. C’est ce qu’on appelle l’Eglise, la communauté des croyants. C’est elle qui va décider ou non du sacerdoce des femmes ou des autres questions. On ne peut certainement pas y répondre par oui ou par non, dans une perspective binaire. Cela marche seulement pour les ordinateurs.

«II y a la tentation de se replier dans des certitudes qui apportent des réponses simples et réconfortantes»

Il est normal que la société moderne pose des questions nouvelles quant au statut de l’homme et de la femme. Cela est arrivé dans le passé pour d’autres sujets, par exemple l’esclavage. Toute époque va devoir entendre ces questions et essayer de les éclairer au mieux avec l’aide de l’Ecriture.

Quelle est l’approche générale de la théologie catholique actuelle sur cette question?
Il y a certainement de tout, mais personnellement je ne connais pas de bibliste sérieux, avec une compétence académique, qui adopte une approche littérale de la Bible.

Mais cela n’a pas toujours été le cas…
La lecture des Pères de l’Eglise ou des auteurs spirituels ne se préoccupait pas vraiment de savoir à quelle époque exacte Abraham ou Moïse avaient vécu. On se demandait surtout ce que cela voulait dire, comment cela pouvait nous aider. Dans les questions nouvelles que la modernité a posé à la Bible, celle de la pertinence historique des récits a été centrale.

«La Bible a été écrite par des hommes et non dictée directement par Dieu»

L’essor de l’archéologie et des sciences ont remis en question l’authenticité historique de certains récits bibliques. Face à ces questions, les Eglises ont manifesté une certaine crainte, aussi bien les protestants que les catholiques. Des institutions ont été créées pour permettre aux chrétiens de se confronter avec ces découvertes et appliquer leur raison en tenant compte de ces données nouvelles, cela également en Terre Sainte. C’est dans cette perspective notamment que l’Ecole biblique de Jérusalem a été fondée, en 1890.

Une confrontation rejetée par certains…
Des mouvements sont nés, toujours mus par cette peur, qui ont abouti à ce qu’on appelle les fondamentalismes.

Pourquoi ce type de pensée est-elle actuellement en croissance?
Parce que, dans un monde bousculé, les peurs augmentent. En face, il y a la tentation de se replier dans des certitudes qui apportent des réponses simples et réconfortantes.

De quoi ont finalement peur les fondamentalistes?
De perdre la foi, certainement. Que la Parole de Dieu puisse finalement être fausse. Les fondamentalistes ont peur qu’en relativisant une partie, l’on en vienne finalement à tout relativiser. Mais, le Magistère catholique possède des clés de lecture. Des textes tels que l’encyclique de Pie XII Divino afflante spiritu (1943) ou la déclaration de Vatican II Dei Verbum (1965) nous rappellent que la Bible a été écrite par des hommes et non dictée directement par Dieu. Nous ne sommes pas musulmans. Elle n’a pas été écrite dans une seule langue sacrée, et chaque époque va marquer de son empreinte les récits.

La Bible | © Flickr/alex.ch/CC BY-SA 2.0

Le problème n’est pas que la Parole soit vraie ou non, mais de quelle façon elle est vraie. Vouloir prendre la Bible à la lettre pour retrouver ses fondements, c’est souvent passer à côté de son sens.

Mais la Bible ne contient-elle pas des vérités éternelles et universelles?
C’est bien le cas. Mais il faut arriver à les comprendre. Il est évident que les Ecritures nous parlent de l’existence de Dieu, de sa transcendance, de sa bonté, de l’existence de Jésus, qui est venu pour nous aimer et donner sa vie pour nous. C’est un absolu.

Mais la Révélation s’inscrit dans une histoire. Et donc je ne peux pas isoler un verset biblique, par exemple dans un récit guerrier, pour dire que la Bible recommande le crime. Il faut étudier dans quel contexte cela est dit et comment cela peut être lu à la lumière du Nouveau Testament.

Certaines parties de la Bible sont-elles plus propices que d’autres à la remise en question?
Il y a eu des tentations, notamment dans les débuts du christianisme, de congédier l’Ancien Testament, en refusant notamment l’idée du Dieu juge, terrible, impitoyable, qui y est parfois présenté. Mais l’Eglise s’est toujours opposée à cela, même si jusque dans des temps récents, on se référait très peu à l’Ancien Testament. C’est Vatican II qui lui a finalement redonné une grande place dans la liturgie. Ce qui a beaucoup aidé à nouer de nouvelles relations avec le peuple juif.

«Toute la Bible est inspirée, de la première à la dernière page»

Personnellement, plus je travaille, plus je me rends compte que l’on ne peut pas comprendre le Nouveau Testament sans l’Ancien, sans saisir les allusions, le symbolisme auquel il se réfère.

Une seconde raison de tenir à l’Ancien Testament est qu’il contient le récit de presque deux mille ans d’expériences.

Mais, pour les Evangiles, il s’agit de la Parole de Dieu Lui-même. Peut-on l’interpréter?
Bien sûr. Est-ce que nous avons les paroles exactes de Jésus? Nous avons juste ce que certains ont retenu et la façon dont ils nous l’ont présenté. Evidemment, la Parole de Jésus est crédible et sûre, mais l’on est obligé de la considérer dans son ensemble. Il peut dire «Je vous donne ma paix» et puis plus loin «Je ne suis pas venu vous apporter la paix, mais la division». Jésus se contredit-il? Aucunement, mais on ne peut pas comprendre ce qu’il veut dire sans tenir compte encore une fois du contexte dans lequel il le dit.

A travers la Bible, nous n’avons pas accès à Jésus lui-même, mais à quatre évangiles qui nous le transmettent de façons différentes, comme quatre peintres le feraient d’un même coucher de soleil. C’est inspiré de l’Esprit Saint, avec une garantie d’authenticité, mais qui doit être considérée à travers l’herméneutique, la science de l’interprétation. La Bible est ainsi une inspiration et non un livre de recettes.

Cette garantie d’authenticité des évangiles est-elle la même pour les autres parties du Nouveau Testament?
Oui. Toute la Bible est inspirée, de la première à la dernière page. Même si les différents livres ne peuvent pas être mis sur le même plan et approchés de la même façon. Il y a des textes davantage historiques, d’autres plus poétiques ou symboliques.

Pour saint Augustin, autant la personne simple que le savant peut trouver sa nourriture dans la Bible | par Sandro Botticelli (15e s.)

Au-delà, l’étude et la compréhension du texte n’est pas gage de salut. Saint Augustin dit qu’autant la personne simple que le savant trouve sa nourriture dans la Bible. Toute personne qui entend l’Evangile, qui sait que Jésus lui parle et qui fait confiance, peut être un grand saint ou une grande sainte.

Mais un chrétien peut-il ne pas être d’accord avec certains passages du texte, de saint Paul, par exemple?
J’entends souvent cela (rires). Mais je crois que la question n’est pas «suis-je ou non d’accord?», mais «est-ce que j’écoute bien?». Si une parole ne m’est pas immédiatement accessible ou si je ne suis pas tout de suite convaincu par elle, je pense que c’est plutôt positif. Le fait d’avoir des passages qui résistent à ma compréhension, qui m’interpellent, est peut-être le signe que la Parole de Dieu est en train de travailler en moi.

«Dieu est toujours au-delà de nos récits»

La Bible ne contient-elle pas en elle-même un appel à la contextualiser?
Tout à fait. Jésus questionne fréquemment la tradition. Notamment quand il dit à ses apôtres: «C’est à cause de la dureté de votre coeur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes» (Mt, 19:8). Et il profile sa Parole.

Paul le fait également. Il rappelle avoir le droit, de par ce que Jésus et la Torah enseignent, de se faire entretenir par une communauté. Pourtant, il décide de travailler, pour ne mettre aucun obstacle à la prédication de l’Evangile et être libre. Il affirme ainsi que l’enseignement peut être adapté face à une situation particulière.

Non seulement la Bible invite à cette réflexion, à ce travail d’interprétation, mais elle le montre par sa diversité. Nous n’avons ainsi pas qu’un récit de la Création, mais deux, pas un Evangile, mais quatre.

Y a-t-il un côté positif à cette incertitude?
Cela nous incite certainement à continuer de chercher Dieu sans relâche. Car on ne peut pas mettre la main sur Lui. La Bible est un ensemble de traditions qui renvoie à Dieu de manière polyphonique, mais il est toujours au-delà de nos récits. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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