Les livres des couvents ne doivent par finir chez les bouquinistes

Pour la première fois, les fonds des bibliothèques conventuelles de Suisse ont été recensés dans un répertoire commun. Une démarche non seulement utile aux historiens et aux chercheurs, mais aussi nécessaire pour assurer la conservation de cet important patrimoine livresque.

Avec la diminution du nombre de leurs membres, les communautés religieuses manquent de plus en plus souvent de ressources pour s’occuper de leurs bibliothèques conventuelles, explique l’historien Albert Holenstein, collaborateur de la bibliothèque de l’abbaye de St-Gall.

«L’idée d’un catalogage des fonds des bibliothèques conventuelles est née au sein de la communauté de travail des bibliothécaires conventuels de Suisse. Dans ce cercle, nous avons discuté du fait que les bibliothèques des couvents sont confrontées à de multiples défis».

On en sait trop peu sur de nombreux fonds, en particulier dans les couvents féminins. C’est pourquoi il fallait réaliser un manuel décrivant systématiquement toutes les bibliothèques conventuelle suisses, note Albert Holenstein.

La réalisation de cette vue d’ensemble est donc devenue l’une de ses tâches principales lorsqu’il a repris en 2018 le service du patrimoine culturel écrit, nouvellement créé à la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall.

La bibliothèque baroque de l’abbaye d’Einsiedeln | © Stiftsbibliothek St. Gallen

Accès à 58 couvents

Le recensement s’est limité aux couvents fondés avant 1800 en Suisse, au nombre de 65. Albert Holenstein a eu accès à 58 d’entre eux et a pu recenser dans leurs bibliothèques les fonds, leur histoire, leur état et leur emplacement. Autant d’informations désormais disponibles dans le Répertoire des Bibliothèques Conventuelles de Suisse qui vient de paraître. 

«Le livre n’a pas recensé toutes les bibliothèques des 65 monastères. Cela s’explique par le fait que les bibliothèques conventuelles sont des propriétés privées gérées par les communauté religieuses. Toutes ne veulent pas le montrer au public», explique Albert Holenstein.

Sauvegarder les fonds anciens

Dans certains monastères féminins, la bibliothèque se trouve dans la clôture. En tant qu’homme, Albert Holenstein n’y a pas eu accès. Ou alors, les religieuses manquaient de temps pour s’occuper des demandes scientifiques.

Le répertoire est complété par des articles sur les anciennes bibliothèques des monastères de Pfäfers ou de Stans, par exemple, ainsi que sur les bibliothèques étrangères ayant un lien avec la Suisse.

Le spectre des collections conservées dans les communautés religieuses suisses est énorme. «Einsiedeln possède la plus grande bibliothèque d’un monastère encore en activité avec 185’000 titres, suivie de près par la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall avec 140’000 titres. De l’autre côté, il y a de toutes petites bibliothèques de monastères comme celui de Grimmenstein à Walzenhausen (AR) avec 1’400 ouvrages».

La bibliothèque du couvent des capucins de Fribourg | © Stiftsbibliothek St. Gallen

L’étendu des domaines concernés n’est pas moins grande. Si on y trouve en priorité des ouvrages de piété et de théologie, les bibliothèques conventuelles conservent aussi des ouvrages de philosophie, de littérature, de poésie, d’histoire, de sciences naturelles ou de mathématiques…  

Plus de temps pour les livres

La conservation à long terme des fonds de ces bibliothèques conventuelles est un véritable défi. Car les communautés religieuses sont vieillissantes. «En raison du manque de ressources, on a de moins en moins de temps pour s’occuper des livres dans les couvents», relève Albert Holenstein.

Différents fonds anciens de monastères ont déjà été transférés dans des bibliothèques cantonales. La Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg a par exemple repris les anciens fonds des visitandines et des capucins. La bibliothèque de l’abbaye de St-Gall a pris en charge le fonds ancien du couvent des capucines de Wattwil. Ces exemples montrent que l’intérêt pour leur conservation demeure.

La bibliothèque du couvent des ursulines de Brigue | © Stiftsbibliothek St. Gallen

Prévenir la pénurie de locaux

Le sort des livres récents, imprimés à plus grande échelle au 20e et 21e siècles, est beaucoup plus incertain, relève le bibliothécaire. En ce sens le nouveau répertoire est un instrument important pour sensibiliser les institutions cantonales et le public. Il s’agit de prévenir le manque d’espace pour abriter ces collections.

Dans les bibliothèques conventuelles, où l’inventaire des livres n’est pas catalogué, il existe le risque que certains ouvrages se perdent. Si un couvent devait alors être supprimé, le répertoire permettra de savoir ce qui se trouve dans sa bibliothèque.

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«En fin de compte, ce patrimoine culturel livresque doit être conservé et sauvegardé, pour ne ne pas finir n’importe où, chez un antiquaire ou un bouquiniste», souligne Albert Holenstein.

Il existe également le cas des incunables, c’est-à-dire des livres imprimés avant 1500. Ces ouvrages rares et précieux exigent évidemment une autre approche que les livres imprimés ordinaires.

Base de données web parallèle au livre

En plus du livre, les articles sur les différentes bibliothèques conventuelles sont également publiés sur internet sous helvetiasacra.ch. Cette base de données sera complétée en permanence afin de pouvoir recenser les catalogues des bibliothèques de couvents fondés après 1800.

«Les manuscrits médiévaux issus de fonds monastiques sont déjà rendus accessibles sous forme numérique par le projet e-codices de l’Université de Fribourg. Avec notre base de données web, nous souhaitons garantir cette possibilité également pour les ouvrages imprimés», explique Albert Holenstein. (cath.ch/kath.ch/sas/mp)

Répertoire des Bibliothèques Conventuelles de Suisse, édité par la bibliothèque abbatiale de St-Gall sous la direction d’Albert Holenstein, éditions Schwabe, Bâle, 2022, 509 p.
> Une présentation publique du Répertoire se tiendra le 30 novembre 2022 au couvent des cordeliers à Fribourg.

Maurice Page

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