France: le malaise diffus des prêtres

Un an après la publication du rapport de la CIASE sur les abus sexuels dans l’Eglise de France, les prêtres de l’Hexagone font état d’un «malaise diffus», révèle une enquête de La Croix publiée le 13 octobre 2022. Mgr Gérard Daucourt, évêque émérite de Nanterre, consacre un livre à ces «prêtres en morceaux».

Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels en Eglise (CIASE), publié en octobre 2021, avait déjà atteint leur moral. La suspicion à l’égard des prêtres avait été renforcée, déploraient-ils. Par ailleurs, les interventions de Rome quant à la gouvernance des diocèses de Paris (Mgr Aupetit), de Strasbourg (Mgr Ravel) et de Toulon (Mgr Rey), ainsi que le suicide le 1er juillet 2022 de l’abbé François de Foucauld, du diocèse de Versailles, avaient encore rajouté au trouble.

De surcroît, le mouvement de consultation des fidèles engagé par la démarche synodale avait fait remonter certaines critiques contre les prêtres. Dans l’enquête publiée par La Croix, certains clercs parlent d’une sensation de «trahison», alors qu’ils essaient de «faire au mieux». Sous couvert de lutte contre le cléricalisme, des fonctionnements inadaptés au ministère sacerdotal auraient été pointés, «parfois avec violence».

«Prêtres en morceaux»

Le quotidien français parle de «malaise diffus» dans les rangs du clergé, en dépit des joies profondes vécues dans le ministère. C’est dans ce contexte que paraît le dernier livre de l’évêque émérite de Troyes, d’Orléans et de Nanterre, Mgr Gérard Daucourt, titré Prêtres en morceaux (Le Cerf).

Le natif de Delémont (JU), qui a occupé trois sièges épiscopaux dans l’Hexagone, y décrypte les raisons du malaise de certains: la surcharge de travail, la remise en cause de la figure du prêtre dans une société déchristianisée, le nombre croissant de demandes de ›religieux’ non liées à la foi chrétienne. Le livre préfacé par le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, propose des pistes pour aider les prêtres en souffrance.

58 heures par semaine

La Croix a interrogé une vingtaine de prêtres en exercice qui détaillent leur mal-être: isolement, burn-out, maillage territorial qui impose des charges de travail lourdes. Le constat vient renforcer l’enquête menée en 2020 à la demande de la Conférence des évêques de France. Les clercs âgés de moins de 75 ans avaient relevé la surcharge de travail permanente d’un confrère sur cinq et occasionnelle pour un sur deux. Selon le sondage, la moyenne du travail hebdomadaire des prêtres français atteint les 58 heures.

Interrogé, le Père François Buet, médecin et prêtre de l’Institut Notre-Dame de Vie, estime indispensables d’installer de bonnes habitudes d’hygiène de vie, telles que la prise de vacances ou le jour de repos hebdomadaire. Le ministère s’exerçant «dans un registre très affectif», le religieux appelle à trouver la bonne distance dans les relations à cause de la «sur-implication émotive» liée au ministère. Savoir dire non est donc difficile. Et le malaise latent se perpétue dans une fonction qui appelle au don.

Sensibilités catholiques

La crise de l’identité sacerdotale s’amplifie donc en France du fait de la sécularisation. Lorsque la parole circule plus facilement, les curés autrefois respectés socialement reçoivent parfois des retours violents. Et certains doivent arbitrer des conflits entre différentes sensibilités catholiques. Cela favorise alors des procès d’intention ou des attaques, difficiles à gérer.

En outre, relève un curé plus âgé, les relations avec la jeune génération de prêtres ou de séminaristes peuvent s’avérer délicates: «Ma génération se sent dévalorisée par ceux qui font peser sur nos épaules les échecs de l’Église ces dernières décennies. Cela peut alimenter de la culpabilité, un sentiment d’inutilité existentielle…», dit l’un deux. Le pape François n’est pas épargné non plus par certains qui estiment qu’il les déprécie trop.

Mesures d’accompagnement

Le malaise tourne également autour des relations entre les prêtres et leur évêque. En particulier quand il arrive à un prêtre de ne pas être reconnu dans son ministère et nommé à un poste qui ne lui convient pas. Mais les évêques eux-mêmes croulent souvent sous la multitude des charges et ont de la peine à valoriser le travail des curés.

L’enquête évoque les mesures prises dans des diocèses pour mieux accompagner leurs prêtres: instances de médiation, entretien annuels, relecture régulière et supervision du parcours pastoral pour mieux valoriser leur travail. (cath.ch/cx/bl)

Bernard Litzler

Portail catholique suisse

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