Brésil: les évangéliques qui votent Lula sont promis à l'enfer

Une récente enquête de l’Institut de sondages brésilien Datafolha indique que six évangéliques brésiliens sur dix ont l’intention de voter pour Jair Bolsonaro au second tour, dimanche 30 octobre. Mais pour ceux qui n’adhèrent pas à son idéologie, exprimer son opinion expose à la persécution de la part des autres fidèles et des pasteurs, dont certains n’hésitent pas à promettre un châtiment divin.

Marta* refuse de donner son nom et encore moins d’être prise en photo. «J’ai trop peur des représailles», souffle-t-elle. À 43 ans, cette mère de trois enfants, employée domestique, n’a pourtant commis aucun crime. Elle vit humblement dans une favela de Salvador de Bahia, au nord-est du Brésil et participe avec dynamisme à la vie sociale du quartier.

Jusqu’à peu, elle se rendait deux fois par semaine au temple de l’Église de l’Assemblée de Dieu, la plus importante église évangélique du Brésil, et y bénéficiait d’une image de fidèle pieuse et ouverte aux autres. Mais les choses ont changé à partir de juin, lorsqu’a débuté la campagne électorale pour élire le prochain président de la République.

«Châtiment divin» pour ceux qui oseraient voter Lula

«J’ai eu l’imprudence de dire que je n’étais pas d’accord avec les idées de Jair Bolsonaro et que j’allais voter pour Lula». Dès lors, Marta a vécu un enfer au sein de sa propre église. Critiquée, voire stigmatisée par les autres fidèles et par le pasteur, elle s’est sentie rejetée par sa communauté religieuse.

Marta est loin d’être la seule dans cette situation. Dans un Brésil où les évangéliques représentent officiellement 30% de la population – sans doute plus, car le dernier recensement date de 2010 – être évangélique et en désaccord avec les valeurs défendues par l’actuel président d’extrême droite est une position courageuse.

40% des évangéliques ne votent pas Bolsonaro

«Bien qu’ils représentent 40% de la communauté évangélique, ceux qui n’adhèrent pas aux idées de Jair Bolsonaro ont rarement la possibilité de pouvoir exprimer leur opinion», souligne Rodrigo Coppe Caldeira, professeur en Sciences des religions à l’Université de l’État du Minas Gerais. Et quand ils le font, ils prennent le risque d’être marginalisés. 

Les évêques catholiques ont critiqué «l’incompétence» de Jair Bolsonaro face à la crise sanitaire | © Jeso Carneiro/Flickr/CC BY-SA 2.0

«Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de fidèles évangéliques expliquent d’ailleurs que beaucoup de leurs frères de foi soutiennent Bolsonaro de peur de faire face à une communauté et à des pasteurs hostiles». Une persécution qui existe déjà dans le pays, au sein même des temples, où des pasteurs n’hésitent pas à menacer d’exclusion ceux qui sont en désaccord avec le rapprochement entre la religion et la politique du président d’extrême droite.

Expulsés de l’Eglise   

«On m’a dit que si je ne vote pas Bolsonaro, je ne suis pas chrétienne !» C’est le cas d’Andre Santos de Lima*. Son épouse et lui ont été «vivement invités» à quitter l’église évangélique qu’ils fréquentaient pourtant depuis 2019, à Recife. Jusqu’au début de la campagne électorale, tous deux participaient d’ailleurs activement à l’évangélisation des jeunes au sein du temple.

«Le soutien des pasteurs à Jair Bolsonaro et à ses alliés a toujours existé, explique Andre. Mais il s’est intensifié à partir du mois de mars, quand l’un des pasteurs a indiqué qu’il allait se présenter pour devenir député de l’État du Pernambouc. À partir de ce moment, à chaque réunion, nous devions prier pour ce pré-candidat, poursuit-il. Il disait que Bolsonaro était le seul candidat qui défendait la liberté religieuse, le seul à même de maintenir les églises ouvertes. Et que si Lula était élu, il allait fermer ou même brûler les églises !»

Intenses pressions sur les fidèles

Andre se souvient aussi avoir vu des membres de sa communauté critiqués parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec les candidats soutenus par l’église. «Durant le culte, le pasteur les convoquait devant l’autel et les désignait comme des exemples de ce qu’il ne fallait pas faire». Une pratique formellement interdite dans un pays constitutionnellement laïque, où la parole politique est proscrite au sein des lieux de culte.

Marta*, elle aussi, a été stigmatisée. «Je me suis sentie sous pression. J’étais déçue et très triste. Je n’ai plus envie de retourner au temple parce que Jésus n’est pas cela, assure-t-elle. J’ai entendu que si je ne votais pas Bolsonaro, je n’étais pas chrétienne !» Et pourtant, ce sont ces valeurs qu’elle assure défendre en assumant ses convictions politiques.

«Jésus ne nous enseigne pas à être agressif, à prôner le port d’arme ou à ne pas aimer son prochain parce qu’il a une couleur de peau ou une sexualité différente. La Parole de Dieu dit que nous devons montrer de l’amour, de la miséricorde et de la bonté. Jésus est venu pour guérir, sauver et libérer, pas pour faire peur aux gens !»

Familles divisées

Se sentant autant rejetée que trahie, Marta a fini par s’éloigner de son église. Quitte à bouleverser l’équilibre des siens. «Cela touche beaucoup ma famille, parce que nous avons une base religieuse et chrétienne très forte. Mais que puis-je répondre à mes enfants lorsque le leader politique qui prétend défendre les valeurs chrétiennes et mettre Dieu au-dessus de tous, diffuse le mensonge, la haine et l’intolérance ?».

Adeline da Silva partage ce sentiment. Mais cette assistante sociale de 38 ans a décidé de rester au sein de l’église évangélique Quadrangular d’Itamaraju, dans le sud de l’État de Bahia. Et ce, après avoir ouvertement assumé qu’elle voterait pour le candidat du Parti des Travailleurs. «Le pasteur m’a dit que je serai punie par Dieu pour choisir Lula !»

Passée la stupeur, Adeline est aujourd’hui amère. «J’ai l’impression d’avoir perdu mes références. J’ai toujours cru en Dieu et j’aimais aller au culte à l’église. J’y vais toujours, mais désormais plus par devoir moral. Pourtant, c’était vraiment quelque chose qui faisait partie de ma vie, insiste-t-elle. Mais aujourd’hui, j’ai bien du mal à reconnaître l’Eglise que j’ai connue il y a dix ans. Bien sûr, elle a toujours été conservatrice, mais la question de la doctrine est devenue pesante et même violente. Avoir une pensée contraire à celle du pasteur revient à s’exposer à une condamnation. C’est ce qui m’est arrivé. Et ça ébranle ma foi». (cath.ch/jcg/be)

* Noms et prénoms modifiés à la demande des personnes interviewées

Jean-Claude Gérez

Portail catholique suisse

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