Le pape exhorte l'Église en Allemagne à une «religiosité simple»

Dans l’avion du retour, le pape François a répondu pendant une cinquantaine de minutes aux journalistes qui l’ont accompagné lors de son voyage à Bahreïn, du 3 au 6 novembre 2022. Église en Allemagne, Liban ou encore crise des abus dans l’Église et droits des femmes ont été parmi les thèmes évoqués par le pontife de 85 ans.

Un «moralisme vêtu de christianisme» en Allemagne

Répondant à des journalistes germanophones qui lui demandaient son regard sur la situation de l’Église dans leur pays – marqué par un courant synodal qui demande une réforme profonde de l’institution – le pontife a encouragé l’Église en Allemagne à une «religiosité simple», critiquant «un moralisme vêtu de christianisme». Il a déploré la perte du «sens religieux du monde» à cause de l’éloignement du «Saint Peuple de Dieu», et a incité à trouver l’inspiration «dans les racines». 

Le pontife a en particulier déploré l’émergence de «discussions aux conséquences théologiques» dont les thématiques ne sont pas centrales, notamment quand celles-ci deviennent «moralisantes», conjoncturelles ou «politico-ecclésiastiques». «La racine de la religion, c’est la gifle que te donne l’Évangile», a-t-il insisté, assurant que c’est à cette source que les pasteurs devaient trouver «le courage apostolique». 

François a une nouvelle fois rappelé que l’Allemagne «a une grande et belle Église protestante», affirmant ne pas en vouloir «une autre» parce qu’elle «ne sera pas aussi bonne que l’autre». «Je la veux catholique», a-t-il insisté, demandant cependant aux catholiques allemands d’entretenir «une fraternité avec l’Église protestante».

L’appel du pape aux politiciens libanais

Interrogé sur le Liban par un journaliste arabophone, le pape François a confié que la situation de ce pays, qui traverse actuellement une grave crise économique, politique et sociale, était «une douleur» pour lui. Il a aussi rappelé la présence de très nombreux réfugiés dans ce pays «si généreux».

Le pontife a ensuite lancé un appel fort aux politiciens libanais: «Laissez de côté vos intérêts personnels, regardez le pays et mettez-vous d’accord». «D’abord Dieu, ensuite la patrie, après les intérêts», a-t-il martelé, déclarant que personne, lui compris, ne pouvait prétendre être le sauveur de ce pays «en ce moment». 

«Soutenez le Liban, aidez-le pour qu’il remonte cette mauvaise pente, que le Liban retrouve sa grandeur», s’est exclamé ensuite le pape François. S’adressant aux journalistes, il a demandé à ces derniers de prier pour le pays du Cèdre et de faire «croître la conscience» de sa situation actuelle.

Affaire Mgr Santier: le pape évite la question et enjoint à la honte

Questionné par I.MEDIA sur la possibilité de rendre les sanctions publiques dans l’Église catholique alors que l’Église en France est secouée par l’affaire Santier, évêque ayant commis des abus sexuels dans les années 1990, le pape François n’a pas répondu précisément à la question. Il a rattaché l’apparition de ce genre de cas à ce qui existait dans l’Église avant le «scandale de Boston», une affaire d’abus révélés par la presse américaine en 2002.

L’évêque de Rome a insisté sur le fait que l’Église était «décidée» à «tout clarifier» concernant les abus, soulignant le travail courageux effectué par le cardinal archevêque de Boston Sean O’Malley à la tête de la commission pontificale pour la protection des mineurs. Il a cependant reconnu que certains dans l’Église catholique n’avaient pas le courage du haut prélat américain et cédaient parfois à «la tentation des compromis».

Le pape François a confié avoir reçu le signalement de «deux plaintes récemment» de cas d’abus «qui ont été couverts» et «mal jugés par l’Église». Il a expliqué avoir «immédiatement» commandé une nouvelle enquête, insistant sur l’importance de la «révision» des «cas mal gérés». «Nous faisons ce que nous pouvons, nous sommes pécheurs», s’est-il enfin excusé.

Le pontife a insisté sur la nécessité de «ressentir» de la honte, affirmant qu’il s’agissait d’une «grâce» sans laquelle on ne pouvait lutter contre les abus. «Je crois que l’Église ne peut pas rester sans honte», a-t-il affirmé, déclarant qu’elle «doit avoir honte des choses laides, de la même manière qu’elle rend grâce à Dieu des belles choses qu’elle fait». 

Italie: le pape souhaite «le meilleur» au nouveau gouvernement

«Je lui souhaite le meilleur», a confié le pape François à propos du nouveau gouvernement italien entré en fonction le 23 octobre dernier. Pour la première fois dirigé par une femme, Giorgia Meloni, le gouvernement de coalition des droites a des positions éloignées du pape François sur la question des migrants. 

Le pontife a toutefois souhaité que les oppositions collaborent positivement à l’action du gouvernement. Il a appelé chacun à «la responsabilité», faisant à nouveau remarquer que l’Italie avait eu «20 gouvernements» depuis l’an 2000 et qu’il fallait mettre un terme à cette «farce».

Droits des femmes, une «lutte continuelle»

Interrogé par une journaliste américaine sur la situation des femmes en Iran, le pape a affirmé que le combat pour les droits des femmes est «une lutte continuelle», reconnaissant que «l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas encore universellement trouvée». Il a notamment condamné la «tragédie de l’excision», mais aussi plus généralement le «machisme», expliquant que ce phénomène était notamment fort dans son pays d’origine, l’Argentine. «Ce machisme tue l’humanité», s’est-il exclamé.  

«Dieu n’a pas créé l’homme pour ensuite lui donner un petit chien pour s’amuser», a déclaré François. Se félicitant du message «révolutionnaire» de saint Paul sur la relation entre homme et femme, il a affirmé qu’une société qui n’était pas «capable de rendre à la femme sa place n’avance pas» et «s’appauvrit».

Saluant l’attitude et le travail des femmes économistes et politiques qu’il a rencontrées, il a insisté sur l’impact positif qu’avait eu la mixité au Vatican. Le pontife a notamment mis en avant la nomination de l’économiste Marianna Mazzuccato à l’Académie pontificale pour la vie, nomination qui avait été critiquée en raison du positionnement de la Britannique en faveur de l’avortement. 

Ukraine: la calamité des armes

Concernant l’Ukraine, le pontife a expliqué qu’il faisait «un travail d’approche, pour chercher des solutions» et effectuait des «rencontres discrètes» notamment pour libérer des prisonniers. Il a dénoncé la «cruauté» à l’œuvre dans cette guerre, citant comme responsables des «mercenaires, des soldats qui viennent faire la guerre comme une aventure». 

«Aujourd’hui la plus grande calamité est l’industrie des armes», a dénoncé le pape François, expliquant que c’était une tendance des «empires» de lancer une guerre ou de vendre des armes quand ils «s’affaiblissent». Dénonçant les nombreux conflits qui frappent le monde – Birmanie, Yémen, Syrie –, il a invité une nouvelle fois à utiliser l’argent des armes pour éradiquer la faim dans le monde.

Le pontife a dit sa grande estime personnelle pour «l’humanisme russe», décrivant notamment l’écrivain Fiodor Dostoïevski comme une inspiration pour les chrétiens aujourd’hui. Il a aussi confié avoir été enfant de chœur à l’âge de 11 ans auprès d’un prêtre ukrainien à Buenos Aires, qui lui avait appris à servir la messe et les chants en ukrainien. «Je suis au milieu de deux peuples que j’aime bien», a-t-il affirmé.

Bahreïn: une terre d’ouverture

Le pape a salué l’ouverture d’esprit des Bahreïnis. «Dans votre pays, il y a une place pour tous. Et le roi m’a dit que chacun peut faire ce qu’il veut, que si une femme veut travailler elle le peut, une ouverture totale», a-t-il lancé à une journaliste musulmane bahreïnie qui le remerciait et lui confiait prier Allah pour sa santé.  

«Sur le plan religieux, j’ai été frappé par le nombre de chrétiens des Philippines, du Kerala [Inde], qui sont là. Ils vivent dans le pays, ils travaillent dans le pays», a expliqué le chef de l’Église catholique. «La parole clé c’est le dialogue, et pour dialoguer il faut partir de sa propre identité, avoir une identité», a-t-il déclaré à propos de la communauté catholique locale.

Sur son amitié avec le grand imam d’al-Azhar

Le pape François a raconté la façon dont sa relation d’amitié était née avec Ahmed el-Tayeb, le grand imam d’al-Azhar, qu’il a une nouvelle fois retrouvé lors de son séjour à Bahreïn. Avec son «ami» musulman, il a d’ailleurs reparlé de la façon dont le Document sur la Fraternité humaine signé à Abou Dabi en 2019 était né.

Ainsi, 3 ans plus tôt, alors que l’imam d’al-Azhar était reçu en visite protocolaire au Vatican, le pape François a eu l’idée soudaine de l’inviter à déjeuner. «On s’est assis à table […] et nous avons pris le pain, nous l’avons rompu et l’un l’a donné à l’autre en geste d’amitié», s’est souvenu le pape François dans l’avion.

De ce «déjeuner amical» est né le Document, a-t-il encore ajouté, persuadé que «le Seigneur [a] inspiré ce chemin». «Je ne savais même pas comment le grand imam s’appelait [auparavant]», a-t-il d’ailleurs confessé.

Pour résoudre la crise des migrants, il faut aider l’Afrique

Interrogé sur la crise des migrants, le pape François a convenu qu’il s’agissait d’un «défi». Il a rappelé que les migrants devaient être «accueillis, accompagnés, promus et intégrés». 

Le chef de l’Église catholique a aussi insisté sur le fait que la Grèce, Chypre, l’Espagne et l’Italie ne pouvaient supporter à elles seules la charge de la gestion des migrants en Europe. Pour lui, c’est à l’Union européenne de prendre en main une «politique de collaboration et d’aide». 

Rappelant que la Méditerranée était devenue un «cimetière», il a par ailleurs estimé que l’UE devait bâtir «des plans de développement pour l’Afrique ». Il a dénoncé une certaine «hypocrisie» qui consiste à ne vouloir résoudre le problème qu’à partir de l’Europe. « Si nous voulons résoudre le problème des migrants une fois pour toutes, résolvons celui de l’Afrique», a-t-il martelé, pointant du doigt la «force colonialiste» de l’Europe qui empêche le développement véritable de l’Afrique. (cath.ch/imedia//bh)

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