Théâtre: Charles de Foucauld dans la lumière du désert

Dans le sillage de la canonisation de Charles de Foucauld (1858-1916), le 15 mai 2022, la pièce de théâtre «La lumière du désert» rendra hommage à l’ermite dans plusieurs lieux de Suisse romande. Portée par le comédien Jean Winiger, l’œuvre éclaire la vie et la pensée profondément universelles d’un saint qui parle encore pleinement à notre temps.

«Calme-toi Jean, tu en fais trop, on va tout reprendre depuis le début», lance Lorianne Cherpillod. Jean Winiger, vêtu de sa bure, maugrée, mais s’exécute. Plus de tendresse bourrue que de réel énervement entre la metteure en scène et l’acteur romand, qui se connaissent depuis longtemps. Ils se sont apprivoisés au fil de leurs nombreuses collaborations. L’excitation est palpable dans la petite salle de la paroisse lausannoise St-Joseph, où se déroulent les répétitions, alors que la première représentation, prévue à Fribourg le 12 novembre, approche à grands pas.

Un saint moderne

Pour connaître les lieux et dates des représentations

Lorianne et Jean, avec le musicien Augustin Lipp et sous la supervision de l’abbé Joseph Demierre, s’accordent pour faire résonner au mieux la voix de Charles de Foucauld. Le religieux français, canonisé le 15 mai dernier par le pape François à Rome, est mort assassiné dans le désert algérien en 1916. Il est connu notamment pour ses liens fraternels avec les populations locales, en particulier les Touaregs.

Jean Winiger en répétition pour la pièce «La lumière du désert» | © Raphaël Zbinden

L’idée de lui rendre hommage à travers une pièce de théâtre est née au sein de la Fraternité sacerdotale Jésus Caritas de Suisse romande, qui rassemble une vingtaine de prêtres diocésains. L’abbé Pascal Bovet lance alors le nom de Jean Winiger, un acteur de sa connaissance «inspiré», qui a l’habitude d’incarner des personnages religieux, dont, en 2017 à Fribourg, un Nicolas de Flüe très convaincant. L’abbé lausannois Joseph Demierre s’engage à coordonner la démarche. «Je connaissais très peu Charles de Foucauld, confie Jean Winiger à cath.ch. Pascal Bovet m’a remis un cabas de commission rempli de livres sur lui. J’ai été enthousiasmé par le parcours exceptionnel de cet homme et sa pensée très moderne».

Le comédien décide donc d’écrire lui-même le texte. Pour le mettre en scène, il fait appel à sa complice de longue date Lorianne Cherpillod. «C’était la personne qu’il fallait pour donner la vision scénique adéquate à cette histoire, pour transmettre au mieux la délicatesse des propos et la profondeur du message», assure le comédien d’origine fribourgeoise.

Trois arts

Une gageure face à la personnalité particulièrement riche et complexe de Charles de Foucauld, note la metteure en scène. Pour rendre cela, elle a fait appel divers types «d’ingrédients» dramaturgiques. Trois arts vont ainsi se combiner sur scène : le théâtre, la musique et l’art plastique. Cette dernière dimension sera apportée par des projections de tableaux réalisés par Pascal Bovet représentant le désert de façon non figurative.

Le musicien Augustin Lipp | © Raphaël Zbinden

Les séquences musicales, interprétées par Augustin Lipp et Samuel Favez sont des personnages à part entière. Les silences qui émaillent la pièce jouent aussi un grand rôle. «Tout ce qui est dit est extrêmement dense, il y a de sacrées réflexions au niveau de la quête de sens. Les silences servent à faire passer tout cela, à laisser aux personnes le temps d’intégrer le message. La musique et les silences invitent aussi à entrer en communion, comme Charles de Foucauld le faisait, avec la nature.»

Pensée universelle

La pièce se déroule la veille de l’assassinat du saint, le 1er décembre 1916 à Tamanrasset (Algérie). «Charles de Foucauld est là, en bure, avec sa barbe. A la veille de son décès, il va avoir besoin de se raconter, de se livrer, de faire une confession de lui-même, au public, aux musiciens, à la nature, à tout», explique Jean Winiger.

Dans le décor, figure la caisse renversée placée devant son ermitage, qui contenait de nombreux livres, notamment des recueils de poèmes, des écrits religieux, des dictionnaires et des ouvrages scientifiques. «Cela représente l’aspect extrêmement scientifique de cet homme», souligne Jean Winiger. Charles de Foucauld possédait en effet une curiosité intellectuelle insatiable. Il s’intéressait particulièrement à la culture touareg, qu’il respectait énormément.

Lorianne Cherpillod avec l’abbé Joseph Demierre | © Raphaël Zbinden

Une pensée ouverte et universelle que La lumière du désert entend spécialement mettre en avant. «C’est toute la modernité de Charles de Foucauld, relève l’abbé Demierre. Il fait partie de toutes ces figures qui ont mené aujourd’hui aux encycliques du pape François Fratelli tutti et Laudato si’.» «On sent bien que Charles de Foucauld est une semence du Concile, renchérit Jean Winiger. Il disait toujours: ‘Je suis le frère universel’.»

Un spectacle pour tous

Un spectacle pour catholiques, donc? Aucunement. «Il était très important pour nous que la pièce parle à tous, indépendamment de la religion ou de la croyance. L’expérience de Charles de Foucauld est la quête de sens, elle est universelle», assure Lorianne Cherpillod.

Mais aucune volonté, dans le même temps, d’évacuer l’aspect religieux. «Il parle tout le temps à Dieu, à Jésus, c’est impossible de laisser de côté une dimension spirituelle qui est centrale chez lui», relève Jean Winiger. Une spiritualité qu’il exprime toutefois, pour la metteure en scène, dans la simplicité et l’émerveillement.

Joseph Demierre confirme ainsi le «délicat» exercice de faire revivre la figure de Charles de Foucauld. «La difficulté est de rendre un cheminement intérieur si mystérieux, qui est à la fois une quête de sens et une transformation».

Augustin Lipp joue du cactus, avec en arrière-plan Jean Winiger | © Raphaël Zbinden

Testament spirituel

Un défi duquel Jean Winiger a pleinement pris la mesure. «Pour moi, jouer cette pièce, c’est un testament spirituel, c’est ma façon d’aller à la pureté avant d’aller dans l’au-delà», confie l’acteur né en 1945. «En même temps, c’est la pire chose que j’ai jouée dans ma vie, parce que c’est terriblement difficile», s’emporte le comédien connu pour son bouillant caractère. «Effectivement, c’est un vrai rôle de composition, parce que la personnalité de Charles de Foucauld, tout en calme et en contemplation intérieure, est à l’opposé de celle de Jean», s’amuse Lorianne Cherpillod. «Quand Jean prend un ton, je l’arrête tout de suite, je lui dit : ‘t’es pas dans le bon truc’». «Heureusement, Charles de Foucauld avait aussi beaucoup d’humour, ce qui permet d’alléger beaucoup l’atmosphère pour le spectateur, souligne Jean Winiger».

Au final, la pièce sera donc très variée, avec des moments drôles, d’autres émouvants, d’autres forts. «Ce sera très vivant et surprendra certainement tous ceux qui s’attendraient à quelque chose de barbant!», assure la metteur en scène. (cath.ch/rz)

Symphonie en cactus
La musique jouera un rôle central dans la pièce La lumière du désert. Elle y revêt trois fonctions, relève le musicien vaudois Augustin Lipp: elle joue une première fonction de décor, où il s’agit de sonoriser le désert, le sable, la chaleur, le vent… Le tout avec des instruments folkloriques orientaux, mais pas seulement, puisque la musique sera aussi créée par un…cactus. Un petit micro posé sur le végétal permet en effet d’entendre les vibrations de l’eau qu’il contient. Un dispositif mis au point par John Cage dans les années 1970.
Une seconde fonction de la musique consiste à exprimer la dimension émotionnelle du personnage. La troisième fonction est scénique: Augustin Lipp est présent sur scène avec ses instruments et représente l’ami touareg de Charles de Foucauld. «Avec tout cet ensemble mélodique, le but est de sonoriser ce qui est de l’ordre du ressenti, de l’intouchable, du miracle, de la grâce…», explique Lorianne Cherpillod. RZ

Raphaël Zbinden

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