Matthias Renggli: «Il faut éviter un regard unilatéral sur le Qatar»

Le prêtre suisse Matthias Renggli, vicaire à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis (EAU),  met en garde contre un regard unilatéral sur le Qatar et le Mondial qui va y débuter. Il a été interviewé par la radio catholique de l’archidiocèse de Cologne, Domradio.de, le 19 novembre 2022.

L’abbé suisse Matthias Renggli, vicaire à Abu Dhabi | DR

Vicaire suisse à l’église Saint-Joseph d’Abu Dhabi, l’abbé Matthias Renggli a été nommé par l’évêque Paul Hinder, administrateur apostolique du vicariat d’Arabie du Nord, pour tous les germanophones. En tant qu’aumônier basé à Abu Dhabi, il est également la personne de contact pour les germanophones résidant au Qatar.

Aux Émirats arabes unis, l’islam est la religion d’État. Dans quelle mesure les chrétiens peuvent-ils y vivre librement leur foi?
Matthias Renggli: Celui qui arrive ici a peut-être d’abord l’impression qu’il y a beaucoup d’obstacles et de barrières. Mais honnêtement, en tant que prêtre, j’ai ici une plus grande liberté de parole que chez moi en Suisse.

Ce que nous faisons ici en tant que catholiques dans l’Église nous appartient. L’État ne nous dicte pas ce qui est valable, ce que nous devons dire, quelles idéologies de genre nous devons suivre ou non. Nous sommes vraiment libres. Je dirais même que le christianisme s’épanouit sur ces terres musulmanes, pour le dire de manière piquante et franche.

En tant que chrétiens, nous sommes conscients d’être des invités dans un pays musulman. Mais en tant que tels, nous sommes tolérés et pouvons vivre notre foi librement, tant que nous ne convertissons pas les musulmans locaux. L’évangélisation parmi les autochtones n’est pas bien vue. Mais ce que nous faisons en tant que chrétiens, comment nous nous organisons, nous sommes assez libres à ce sujet.

«Je dirais même que le christianisme s’épanouit sur ces terres musulmanes, pour le dire de manière piquante et franche.»

La situation est-elle comparable au Qatar?
La situation des chrétiens au Qatar est un peu différente. Il n’y a que 200’000 catholiques là-bas, soit environ un cinquième du nombre de catholiques aux EAU. De ce que je sais, les chrétiens peuvent y pratiquer leur foi relativement librement. Au Qatar, l’obtention d’un visa pour un prêtre est assez compliquée. L’État regarde de près combien de prêtres sont présents pour combien de fidèles.

Ici, aux Émirats j’ai obtenu en 30 jours mon permis de travail pour trois ans et sur ma carte d’identité, il est même écrit «prêtre». Au Qatar, c’est un peu plus difficile, mais pas impossible. Je ne suis ici que depuis dix mois et je n’ai malheureusement pas encore pu visiter le Qatar en personne. Mais ce que j’ai entendu jusqu’à présent, c’est que là-bas aussi les églises sont florissantes et le christianisme déborde de force.

La Coupe du monde de football débute ce week-end, accompagnée de nombreuses critiques. Comment envisagez-vous ce grand événement?
Les critiques viennent surtout de l’espace européen. Je suis responsable de nombreuses personnes ici et elles se réjouissent toutes de l’arrivée de la Coupe du monde. On peut certainement avoir des avis partagés sur la genèse de cette Coupe du monde.

Mais personnellement, je pourrais aussi critiquer l’Occident, qui est en train de perdre ses valeurs et qui pense en même temps devoir montrer du doigt les points sensibles ici. Cette critique me semble un peu hypocrite. Elle est en partie justifiée, notamment lorsqu’il s’agit des droits de l’homme, et je la partage. Mais avant de pointer quelqu’un du doigt, je devrais d’abord regarder où j’en suis moi-même. Je veux vraiment donner une chance à cette Coupe du monde.

«Je pourrais aussi critiquer l’Occident, qui est en train de perdre ses valeurs et qui pense en même temps devoir montrer du doigt les points sensibles ici.»

Je vois les choses comme l’ancien président de la FIFA, Sepp Blatter, qui disait: «Nous allons chez les Arabes, nous allons chez les musulmans, c’est une chance énorme». Le football nous relie tout de même. De la même manière, nous essayons aussi de mettre davantage l’accent sur ce qui nous unit dans le domaine religieux. Je pense qu’il est tout à fait juste de critiquer la situation des droits de l’homme et les conditions de travail de certains groupes. Mais nous ne devons pas non plus passer à côté des opportunités à force de critiquer et de râler. 

Ne trouvez-vous pas difficile que la Coupe du monde tombe maintenant pendant l’Avent?
La Coupe du monde a été placée à cette période en raison des conditions climatiques. Les responsables ont fait un pas vers le monde arabe. Organiser une Coupe du monde ici en été serait un suicide. Avec des températures de 55°, les matchs n’aurait pu avoir lieu que dans des salles fermées. Le déplacement en hiver est donc une concession.

«Pendant le temps de l’Avent, c’est à chacun de décider comment il souhaite organiser cette période. Il n’y a pas de directive de l’Église.»

En tant que catholique, je vais célébrer l’Avent comme un moment de recueillement. Mais je ne trouve pas que cela soit contradictoire. Je peux aussi bien réserver des moments de prière que regarder des matchs de football. Je ne suis pas de ceux qui regardent absolument tous les matchs. Mais si la Suisse joue, je vais regarder. Comme ils jouent généralement tard le soir, cela pourrait être un défi pour moi en tant que prêtre. Il y aura certainement des nuits blanches.

Pendant le temps de l’Avent, c’est à chacun de décider comment il souhaite organiser cette période. Il n’y a pas de directive de l’Église. Dans la paroisse, nous avons réfléchi à la possibilité de diffuser les matchs en streaming et nous avons finalement décidé de ne pas le faire, parce que les restrictions Covid viennent d’être assouplies. Sinon, cela aurait été un événement gratuit auquel nous aurions invité tous les fidèles pour cultiver la communion.

Pensez-vous que l’intérêt du public pourrait faire bouger les choses dans le bon sens?
C’est difficile à évaluer. Dans le grand battage médiatique, le monde regarde de plus près la région. J’espère que cela entraînera une amélioration de la situation des droits de l’homme. Mais en ce qui concerne les droits de l’homme, mon expérience ici montre aussi que de nombreux travailleurs migrants et «expatriés» disent: «Chez nous, c’est pire qu’ici».

Ce que beaucoup décrivent comme une amélioration de leur qualité de vie est perçu comme de l’esclavage moderne, d’un point de vue européen. Il faut voir les choses dans leur ensemble. Les pays arabes permettent à de nombreuses personnes de s’élever. Compte tenu de notre contexte culturel, certaines choses nous semblent ici scandaleuses. Je suis clairement en faveur de l’attachement à nos idéaux. Nous nous sommes battus pour cela en Europe, c’est une performance culturelle et nous pouvons aussi essayer de porter ces idéaux dans le monde.

«Le dialogue ne signifie pas «j’ai raison», il signifie «je m’engage dans un discours». Il s’agit donc d’apprendre ensemble, et c’est à mes yeux le défi à relever.»

En même temps, Nous devons écouter notre interlocuteur et ce qui est important pour lui. Le dialogue ne signifie pas «j’ai raison», il signifie «je m’engage dans un discours». Il s’agit donc d’apprendre ensemble, et c’est à mes yeux le défi à relever.

C’est pourquoi, tout en critiquant la FIFA et la manière dont cette Coupe du monde a été organisée, je souhaite qu’elle n’apporte pas qu’un battage médiatique, mais de véritables rencontres. Je souhaite également pour les supporters qui feront le déplacement qu’ils soient à nouveau interpelés dans leur rencontre avec l’islam: «Je suis baptisé. Qu’est-ce que cela signifie au juste?» En ce sens, la Coupe du monde pourrait peut-être même contribuer à renforcer la foi chez nous en Europe. (cath.ch/domradio/gr)

Les catholiques dans les Émirats
«Ils sont entre 800’000 et un million aux Émirats arabes unis, soit environ 10 pour cent de la population totale, estime Matthias Renggli. Chez nous, à la paroisse Saint-Joseph d’Abu Dhabi, nous estimons qu’il y a jusqu’à 100’000 catholiques. La minorité chrétienne représente environ 12-13 % des habitants des Emirats, et parmi les chrétiens, les catholiques sont clairement majoritaires».
D’origine des catholiques dans les EAU
«Environ 95 % viennent d’Asie, principalement d’Inde et des Philippines. Dans l’ensemble, nous sommes une communauté hétéroclite, composée aussi de catholiques d’origine européenne et américaine, mais encore d’Afrique du Sud, par exemple. Tous ceux qui sont catholiques ici sont des «expats», c’est-à-dire qu’ils ont quitté leur pays pour venir travailler ici. On parle aussi souvent de travailleurs immigrés, mais je préfère parler «d’expats». GR

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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