Frère Marc de Pothuau – Abbaye d'Hauterive, Posieux, FR
Christ-Roi de l’univers
Jésus est-il roi ? Jusqu’à son dernier souffle, il entretiendra l’ambiguïté. L’Église en couronnant l’année liturgique de la solennité du Christ, Roi de l’univers ne nous pousse-t-elle pas à la méprise ? Célébrer le Christ-Roi ce matin, serait-ce consacrer nos prétentions catholiques : la régence de l’univers, le monopole de la vérité, l’expertise humaine et même de la sainteté ? Et tout cela, au risque d’un manque évident d’humilité. Notre éprouvante difficulté à accepter les humiliantes révélations actuelles dans l’Église, ne nous montre-t-elle pas qu’il faut célébrer cette royauté de Jésus avec prudence ? Le Christ-Roi est un homme déchiré et défiguré, dénudé et victime de multiples abus, les plus cruels et dégradants qui soient.
Jésus est le jouet de tous
Le dialogue dramatique que rapporte saint Luc dans cet évangile se déroule entre des agonisants. Chaque mot compte. Pour chaque inspiration ils doivent prendre appui sur leurs pieds et leurs poignets cloués au bois provoquant ainsi d’atroces souffrances. Paroles donc dans un souffle exténué au milieu du brouhaha d’une foule ameutée pour ce spectacle. Car si à Rome, ils ont du pain et des jeux, dans ce coin perdu de l’empire, ils n’ont seulement droit de temps en temps qu’à des crucifixions. La foule aime voir du sang, fixer son regard sur l’horreur, entendre gémissements, cris et scandales pour sortir de la monotonie des jours tristes et sans espoir. Ce dialogue d’agonisants est donc à peine audible au milieu des hurlements de dérision, et des surenchères de moqueries faciles autant que féroces. Á l’affiche de cette veille de grand Sabbat ? La crucifixion du roi des juifs ! L’ironie de Pilate a trouvé en ce titre un moyen d’humilier l’arrogance des grands prêtres pour se venger de l’avoir obligé à cette exécution. Les romains se moquent ainsi de Jésus et à travers lui des juifs. Les chefs des juifs, de leur côté, se défoulent sur ce prétendu sauveur enfin neutralisé. Jésus est le jouet de tous, et même de son voisin qui gâche ce qui lui reste de vie pour le provoquer avec le cynisme du désespoir : N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi !
La douceur de Jésus : une étrange puissance
Au milieu de ce sinistre théâtre cependant, l’autre larron rencontre en Jésus l’innocence du juste : Il n’a rien fait de mal, lui ! Non seulement une innocence, mais plus encore : une royauté, le rayonnement mystérieux de sa personne, une liberté paisible et lumineuse. Quand tu viendras dans ton Royaume, souviens-toi de moi. La noblesse de Jésus perce à travers leur opprobre commun. Il l’a entendu prier : Père, pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font. Serait-ce là le secret qui lui permet de souffrir sans que jamais son regard ne se brouille de haine ? Au contraire, chaque nouvelle humiliation dévoile quelque chose de cette étrange puissance qu’est sa douceur. Cette douceur l’apaise lui, le cruel bandit et le dévoile à lui-même. Elle révèle en lui – au-delà de ce qu’il a fait et qui mériterait une telle fin – comme un autre monde, un autre destin et même un autre moi. Un roi qui serait un autre lui-même, plus profond, plus présent, plus consistant, plus innocent, l’innocence même ; celui-là que découvrira l’arrogant Saul sur le chemin de Damas en l’universelle victime de ses exactions. Pourquoi me persécutes-tu ? Ainsi devenu l’apôtre Paul, celui-ci déclarera aux Colossiens : Tout est créé en lui, par lui et pour lui, et aux Galates : Ce n’est plus moi qui vit mais Christ qui vit en moi. Le Christ en se vidant de son sang a silencieusement rempli l’univers de son innocence. Tout subsiste en lui : tout créature trouve en lui sa consistance, tout vivant son chef et son destin.
Jésus est notre roi, notre moi
C’est ainsi que Jésus est roi, et pas seulement des juifs donc, mais de l’univers entier : ciel et terre, du visible et de l’invisible. Un roi qui ne cherche jamais le pouvoir mais qui accepte au contraire de porter toutes les responsabilités. Un roi qui vient de l’intérieur nous délivrer de notre peur et de notre dureté, de notre haine et de notre mépris. C’est ainsi que Jésus est notre roi. C’est ainsi que Jésus est notre moi : notre être véritable, le mystère lumineux de notre innocence, la source cachée de notre joie, de notre liberté, le secret de notre paix et de notre unité.
Solennité du Christ, Roi de l’univers
Lectures bibliques :
2 Samuel 5, 1-3 ; Psaume 121 ; Colossiens 1, 12-30 ; Luc 23, 35-43
https://www.cath.ch/homelie-du-20-novembre-2022-lc-23-35-43/