Condamnés à mort, une lecture musicale pour se faire entendre

Comment faire sortir de l’oubli -cette mort avant la mort- les détenus qui attendent aux États-Unis leur exécution, parfois durant de très longues années et dans des cellules qui n’ont pas toujours de fenêtre? En faisant circuler et entendre leurs écrits. Une lecture publique de certains de ces textes est proposée à Lausanne, vendredi 25 novembre 2022.

La soirée Signé: un condamné à mort est organisée par Amnesty International, la communauté catholique Sant’Egidio, lifespark et l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT). Elle s’inscrit dans le cadre de la Journée mondiale «Villes pour la vie, villes contre la peine de mort». Célébré tous les 30 novembre, l’événement fait mémoire de l’abolition de la peine de mort dans le Grand Duché de Toscane en 1786 (premier État à avoir aboli la peine de mort).

De la correspondance épistolaire à l’amitié

Ces textes de prisonniers et prisonnières seront lus par la comédienne Rita Gay et soutenus par la création musicale de Joséphine Maillefer. Cela fait plus de dix ans que cette compositrice lausannoise entretient une correspondance régulière avec un condamné à mort enfermé dans un centre pénitentiaire de Floride, via l’association lifespark. Les volontaires ne choisissent pas leur correspondant… ni leur chef d’accusation. La relation n’est donc pas gagnée d’avance.

Dans ce cas précis, une amitié s’est rapidement nouée entre Joséphine Maillefer et cet homme dont la peine a été finalement commuée en prison à vie. Elle lui a rendu visite une fois, en 2014, peu de temps après le début de leur correspondance, un voyage qui lui a pris deux jours. «Quand un ami vous dit, ‘j’ai envie de te voir’, on répond à l’invitation.» Aujourd’hui âgé, il est atteint de diabète et d’une légère démence. «Des petites choses commencent à partir, mais il m’écrit toujours. C’est beau. Notre relation est très directe.»

Leur redonner une présence dans le monde

De cette expérience, entre autres, est née en 2014 Inmates’ Voices – Voix de Détenus, dont Joséphine Maillefer est co-fondatrice. L’association crée, développe et promeut divers projets artistiques donnant voix à des prisonniers. L’objectif est de sortir ceux-ci de l’ombre, de leur redonner de la visibilité, en faisant circuler leurs paroles hors des murs des pénitenciers.

Le spectacle Signé: un condamné à mort est né durant la crise du covid. Il a été joué une première fois en 2021 à la maison de quartier de la Pontaise. Les organisateurs ont proposé aux détenus de s’exprimer sur la pandémie, d’écrire sur ce qui les fait rêver ou les touche dans leur vie. «Évidemment, ils  sont parfois sortis des cases, souligne la compositrice. Cela amène beaucoup de couleurs. Certains textes sont poétiques, d’autres plus narratifs, plus simples. Ils partagent des souvenirs, des peines, des joies et parlent de la mort.»

Au spectateur de tirer ses conclusions

Les arrangements musicaux, créés et joués par l’artiste sur un clavier électronique et un shruti (un instrument de musique indienne), n’ont pas pour but d’appuyer les textes mais plutôt d’ouvrir une autre fenêtre. À l’unisson d’ailleurs de la démarche qui relève plus du domaine du sensible que de la thèse. Il ne s’agit pas pour les organisateurs de dénoncer la peine de mort, mais de laisser le spectateur tirer ses propres conclusions.

La vibration des mots

«L’acte de parole» est au cœur de la démarche de Rita Gay, qui a fondé en 1992 l’association Surparoles. «Les mots sont comme des cailloux. Si on pénètre à l’intérieur de leur structure, si on les casse en les disant à haute voix, on crée un espace vibratoire qui leur permet de voyager jusqu’à l’autre. De toucher l’autre», explique-t-elle. «Tant qu’on continue à nommer les choses, elles restent vivantes.»

Sur le site de Surparoles, on trouve cette citation de circonstance de l’écrivaine valaisanne Gilberte Favre, tirée de son livre Des étoiles sur mes chemins (2011): «J’aime les mots pour leur présence, leur musique, leur signification, leur mémoire. Tout ce qu’ils évoquent et qu’ils cachent, parce qu’ils chantent. (…) Ils sont la vie et s’ils savent dire la mort, ils sont -de par nature- la négation de la mort.» (cath.ch/lb)

Paroles de condamnés, couloir de la mort, Floride
«Si j’avais une fenêtre dans ma cellule d’où je pourrais voir n’importe quelle époque de mon passé, je reviendrais au moment d’avant ma naissance… Parce que c’est la seule étape de ma vie où je n’ai jamais connu de division, la seule fois où je ne voyais pas de race, de couleur ou de croyance religieuse… Une époque où l’obscurité était un réconfort et où l’innocence était ma nature… Le moment précieux où je n’allais pas être jugé par quelqu’un dont le point de vue serait aussi déformé que le mien… Un moment où mon esprit n’avait pas encore décidé de ce qui était bien ou mal… Un moment où mes choix ne pouvaient pas déterminer mon destin, car je n’avais pas de choix à faire… C’est la seule vision dans laquelle je pouvais voir la vérité, un point où j’étais vraiment moi, et c’est le seul moment où j’ai été vraiment libre…»

«J’aime beaucoup voir de beaux couchers et levers de soleil. C’est quelque chose qui me manque vraiment, enfermé dans le couloir de la mort depuis près de 30 très longues années. Et sans fenêtre dans la cellule. Quoi qu’il en soit, lorsque vous voyez un très beau et unique coucher ou un lever de soleil spécialement beau, PENSEZ À MOI.
Je suis capable de voir un Arc-en-Ciel, quand d’autres se plaignent ou pleurent à cause de la pluie.»

Ces textes, parmi bien d’autres, seront lus vendredi 25 novembre, à 19h, à la Maison de quartier Sous-Gare, à Lausanne. LB

Lucienne Bittar

Portail catholique suisse

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