«Mère Teresa et moi»: une leçon en forme d’interrogation sur la vie

Avec «Mère Teresa et moi», le réalisateur helvético-indien Kamal Musale propose un portrait profond de la sainte de Calcutta. Sur les écrans de Suisse romande à partir du 7 décembre 2022, le long métrage fait voir deux destins parallèles appelés à se rapprocher.

De passage à cath.ch, à Lausanne, Kamal Musale est revenu sur ce projet qui l’occupe depuis plus de dix ans.

Comment est né le film «Mère Teresa et moi»?
Kamal Musale:
 La fondation Zariya m’a approché déjà en 2012 pour faire ce film. Je suis aujourd’hui basé en Inde, où j’ai beaucoup filmé la pauvreté et la misère. Quand on m’a abordé, j’ai tout de suite pensé que cela me permettrait de faire un film sur la compassion.

Kamal Musale est une réalisateur helvético-indien | Maurice Page


Je me suis également rappelé d’un interview vue à la télévision française dans laquelle il était question de la perte de foi vécue par Mère Teresa. Cela m’était resté dans un coin de la tête. En faisant quelques recherches, je me suis aperçu que cette question était plus abyssale qu’on l’imagine.

Au départ, vous n’aviez donc pas d’attachement personnel particulier pour Mère Teresa?
Je ne suis pas catholique, ni même religieux, mais la religion et la transcendance sont des thèmes qui m’intéressent. Mère Teresa est quelqu’un de très emblématique et je pouvais l’aborder sans obligation, sans parti-pris, sans visée hagiographique.
La plupart des films sur Mère Tersa montrent une femme forte, enjouée, faisant des blagues, une sorte de superwoman, capable de résoudre tous les problèmes. Mais je crois que ce personnage là n’a pas existé. Après avoir lu pas mal de choses sur elle et rencontré des gens qui l’ont connue, je me suis aperçu que nombre de récits tenaient plutôt du mythe. Je me suis centré sur des réalités et des faits peu discutables. Je me suis aussi appuyé sur ses fameux écrits intimes publiées après sa mort.

Elle y raconte précisément ses doutes et sa nuit de la foi.
Elle a commencée à travailler dans les slums de Calcutta, après avoir reçu ‘un appel dans l’appel’ et avoir lutté pendant deux ans pour que ses supérieurs admettent son projet de quitter le couvent. Mais à peine a-t-elle commencé à travailler dans le bidonville que Jésus arrête de lui parler. Ce qui a commencé à créer le doute en elle, puis le désespoir et une perte de foi qui durera jusqu’à sa mort. Mais qu’elle à choisi de cacher à son entourage, sauf à quelques rares personnes dont ses trois confesseurs.

Mother Teresa and me bande annonce

Je trouve fascinant que même en ayant perdu la foi , elle continue son travail de servir les pauvres. C’est un témoignage d’abnégation formidable. Habituellement, les personnes qui ont des doutes arrêtent ce qu’elles font, que cela soit une relation, un travail, un projet, un engagement. Elle continue. Visiblement aussi parce qu’elle a un caractère très têtu avec des idées fixes.
Là où une autre personnalité se serait ouverte sur ses tourments intérieures, Mère Teresa se tait et s’isole. C’est la grande différence avec l’autre personnage du film, la jeune Kavita qui apprend à s’ouvrir, à partager, à révéler ses conflits et ses doutes. Ce qui relie les deux est le sentiment d’abandon. En parler ouvre Kavita à la compassion et à l’amour du prochain. En s’aimant elle-même, elle apprend à aimer l’autre.

Un film qui montre la misère | service de presse

Kavita et Mère Teresa mènent une sorte de dialogue parallèle.
Kavita est un personnage en contrepoint dans lequel on peut se reconnaître et s’identifier dans son sentiment d’abandon. Ce qui est plus difficile face à Mère Teresa qui souffre de l’abandon du Christ. Ce qui n’est pas une expérience commune. Si Kavita est un personnage de pure fiction, ses sentiments sont authentiques.
Un des messages est aussi celui de la réconciliation avec ses proches que l’on voit avec Kavita à la fin du film. A la question: ‘Que faire pour sauver le monde?’ Mère Teresa répondait volontiers: ‘Retournez chez vous et aimez votre famille et vos proches!’

Mère Teresa apparaît en noir-blanc et Kavita en couleur? 
C’est une idée de réalisation. Mère Teresa commence dans une forme de désaturation des couleurs, mais au fur et à mesure de sa ‘passion’, l’image se colore progressivement. A l’opposé Kavita, au départ assez superficielle, commence avec des couleurs vives saturées, pour aller vers des tons pastels. Dans la dernière partie du film, les deux couleurs se rejoignent dans les mêmes tonalités. Comme si les deux personnages étaient arrivées à une acceptation d’elles-mêmes.

La question de l’avortement occupe une place assez centrale dans le film.
Avec le thème de l’abandon, celui de l’avortement était intéressant, car Mère Teresa défendait une opposition très ferme sur cette question. Ce qui lui a valu bien des attaques. Pour le personnage de Kavita, cette question était importante. Lors du développement de l’histoire jusqu’à la fin, qui n’est pas révélée au spectateur, je laisse la place à la réflexion et l’imagination des gens. L’avortement et l’adoption sont des questions complexes. Mais la décision appartient à la conscience de chaque personne, selon son parcours de vie, en dehors de ‘dogmes’ politiques ou religieux. Je ne prends pas partie pour l’un ou l’autre, mais je propose la complexité des émotions et des situations.

La reconstitution de la maison des mourants à Calcutta | service de presse

Dans le film, tous les personnages principaux sont des femmes. Peut-on parler d’un film féministe?
Oui sans doute. Issu d’une mère suisse et d’un père indien, je suis né à Vevey et j’ai fait ma formation au collège de l’Abbaye de St-Maurice. Je vis en inde depuis 17 ans, mais je suis toujours choqué par la position des femmes dans la société, le manque de respect à leur égard et l’absence d’égalité. A travers ma société de production, j’ai toujours essayé de promouvoir des femmes. Dans ce film, les hommes ne sont pas gâtés c’est vrai. Ils sont tous plus ou moins lâches et égoïstes. Dans mes films, mes personnages principaux sont souvent féminins. Je m’identifie mieux à la façon dont elles vivent et expriment leur émotions.

Le film, à l’instar de l’Inde, a aussi un caractère interreligieux.
L’ancienne nounou de Kavita, en Inde, a érigé un petit autel domestique sur lequel reposent un Boudha, des divinités hindoues ainsi que le Christ et la Vierge. A Kavita qui s’en étonne, elle répond: «Hindous, chrétiens ou musulmans, nous recherchons tous la même chose, l’amour.» Pour moi c’est aussi un des messages importants du film.

Le projet a-t-il été mené en concertation avec les Missionnaires de la Charité?
J’ai rencontré des représentants des Missionnaires de la Charité de Mère Teresa. Ils m’ont fait visiter les lieux et j’ai eu des échanges avec eux. Mais très vite, avant même d’écrire le script, j’ai repris mon indépendance et ma liberté. Une fois le script terminé, j’ai passé un week-end avec un spécialiste de Mère Teresa pour tout vérifier afin qu’aucun reproche ne puisse m’être fait quant à la véracité des éléments matériels et des paroles de Mère Teresa.

C’est un projet de longue haleine.
Le projet me travaille depuis plus d’une dizaine d’années de l’idée au scénario, puis au script, à la réalisation d’un ‘pilote’ de 15 minutes, au financement et à la réalisation finale. Les fonds pour faire ce film ont été rassemblés uniquement par des donations. Comme il n’est ainsi pas nécessaire de rembourser sa réalisation, ses bénéfices iront directement à des ONG d’entraide en Inde. Mais je mets tout de suite en avant cet aspect, car la démarche est d’abord celle d’un film et non pas d’un outil de propagande ou de recherche de fonds.

On imagine un budget est assez important.
Le film a coûté 4 millions de francs. Le tournage s’est fait à 80% en Inde et le reste à Londres. Le tournage a eu lieu dans les studios de Bollywood à Bombay, où la maison des mourants a été entièrement reconstituée selon le modèle de l’époque. Quant au bidonville des années 1950, il a été reconstruit derrière le studio. Pour les figurants, j’ai du négocier avec le syndicat pour aller recruter dans des villages environnants, des personnes assez maigres pour représenter les mourants de Nirmal Hriday. (cath.ch/mp)

Kamal Musale
Cinéaste helvético-indien, Kamal Musale est un scénariste-réalisateur diplômé de la National Film and Television School en Angleterre. Il a réalisé plus de trente courts métrages, longs métrages et documentaires qui ont été présentés dans des festivals du monde entier.
Ses sociétés de production, Les Films du Lotus en Suisse, Curry Western Productions en Inde et Curry Western Entertainment Ltd en Angleterre, l’aident à créer ses films avec un contenu indien au goût occidental.

La Fondation Zariya
La Fondation Zariya a été créée en 2010 à l’occasion du centenaire de la naissance de Mère Teresa. Son objectif est d’alléger les souffrances des pauvres, des abandonnés, des malades et des mourants et d’élever le niveau de santé et d’éducation des jeunes dans le monde entier. C’est elle qui a commandité le film de Kamal Musale.

Les saintes ne sont pas parfaites
Les saintes ne sont pas parfaites. Pas moins que beaucoup d’autres, Mère Teresa a vécu des périodes de doutes et même de ténèbres de la foi. Avec intelligence, Kamal Musale dresse un portrait nuancé d’une mère Teresa authentique.

Commentaire Maurice Page

Au-delà d’un certain romantisme de la charité, il nous fait voir une mère Teresa dure avec elle-même et parfois avec les autres, mais vivant un abandon total à Dieu, malgré les difficultés, les doutes et la nuit de la foi.
La devise ‘J’ai soif’ qu’elle a donnée à ses missionnaires de la Charité est l’une des sept paroles du Christ en croix. Si elle révèle la volonté de voir le Christ dans les miséreux, elle exprime aussi sa soif intérieure d’un Christ qui se refuse à elle durant une grande partie de sa vie.
En face, le personnage de Kavita présente une jeunesse assez superficielle soudainement interpellée par une grossesse inattendue qui résonne comme une catastrophe. Eloignées dans l’espace, dans le temps et dans la foi, leurs deux histoires vont évoluer parallèlement avant de se rapprocher, puis de se rejoindre.
Souvent émouvant par le drame de la misère, la mort ou les sentiments personnels, le film sait éviter le pathos. Sans donner de leçons, le cinéaste invite à se poser des questions.
La direction et le jeu des actrices (puisqu’elles occupent tous les rôles principaux) les reconstitutions soignées et une esthétique de l’image très élaborée contribuent grandement à ce réalisme.
Kamal Musale ne livre que le minimum nécessaire de la vie et de l’action de Mère Teresa, mais il nous fait apercevoir une part du mystère de cette sainte, puisqu’il faut la considérer ainsi, aussi exigeante qu’attachante. MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

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