France: Un franciscain à la tête du Service des relations avec l’islam

APIC – Interview:

«Etre serein et vigilant pour améliorer nos rencontres»

Jean-Claude Noyé, pour l’Agence APIC

Paris, 9 décembre 1997 (APIC) C’est un fils de saint François qui succède à Gilles Couvreur, prêtre de la Mission de France, à la tête du Service des relations avec l’islam (SRI). Né en 1935, le frère Gwenolé Jeusset, OFM, a exercé son apostolat en Côte d’Ivoire de 1968 à 1987, où il a été responsable des relations avec les musulmans. De 1982 à 1993, il a été membre du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Il a visité plus de 40 pays d’Afrique et d’Asie où des franciscains vivent avec les musulmans. Ses explications sur l’avenir des contacts entre chrétiens et musulmans en France.

APIC: La dernière assemblée plénière des évêques s’est intéressé à la présence de l’islam en France. En tirez-vous un bilan positif?

G:J: Certainement. Les évêques ont consacré une journée complète à ce sujet. C’est significatif. Ensuite l’esprit m’a paru positif, je n’ai pas ressenti de blocages. Les conférences que Mgr Michael Fitzerald, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et de Mgr Joseph Doré, archevêque de Strasbourg, ont donné à cette occasion ont été féconds en remontées qu’il va falloir mettre au clair. On va vers un texte important sur les relations islamo-chrétiennes en France, à paraître après l’assemblée plénière de 1998. On ne sait pas encore cependant s’il sera publié sous l’autorité de la Conférence épiscopale ou du seul Comité épiscopal des relations interreligieuses. D’ores et déjà, le SRI vient de publier un dossier sur l’islam en France.

APIC : Mgr Fitzgerald a parlé à Lourdes d’un courant missionnaire de l’islam en Europe. Un vieux fantasme d’invasion qui resurgit?

G.J. : Il faut replacer cette phrase dans son contexte. Ce que Mgr Fitzgerald dit, c’est qu’il y avait divers courants de l’islam en Europe et que parmi ceux-ci existait ce courant missionnaire ou fondamentaliste, minoritaire au demeurant.

APIC :Tout de même, nombre de nos évêques n’ont-ils pas au fond une certaine «peur» de l’islam?

G.J. : Je n’en sais rien. En tous cas, je suis d’accord avec ce qu’a déclaré Mgr Louis-Marie Billé, président de la Conférence des évêques de France, à savoir «qu’il faut être à la fois serein et vigilant» quand cela s’impose. Il est normal que les musulmans désirent répandre leur foi. Mais c’est la manière de faire qui parfois est contestable. Il ne faut pas être naïf; on sait que des musulmans intégristes, en dehors des frontières françaises ont des relais dans l’Hexagone. Par ailleurs, il y a entre les Européens et les musulmans arabes une réalité historique de conflits. Je n’ai pas trouvé l’équivalent en Asie – sauf aux Philippines dans le Mindanao – ni en Afrique noire. Aujourd’hui il faut purifier notre mémoire. Les chrétiens doivent s’y employer mais nos partenaires aussi.

APIC : Annie Laurent, dans son livre «Vivre avec l’islam», a précisément accusé votre prédécesseur, le Père Gilles Couvreur, de naïveté…

G. J. : Force est de constater que ceux qui nous considère comme des naïfs refusent le dialogue avec les musulmans. Je vous renvoie à la Déclaration des évêques latins du monde arabe ( Mondo Migliore, 30 octobre 1997). «Nous sommes très sensibles au fait que plus d’un million de chrétiens sont privés du droit à la liberté religieuse en Arabie Saoudite…Ce qui garantit la dignité des musulmans quand ils sont minoritaires doit assurer celle des chrétiens là où ils le sont également. Cette fermeté devant l’injustice ne doit pas nous servir d’alibi pour retourner au temps des polémiques et de la défiance. Nous devons comprendre que dans un monde marqué par la globalisation, l’islam est perçu par certains comme un rempart qui les protège des injustices contemporaines.

APIC : Le temps d’un vrai dialogue interreligieux avec l’islam en France n’est pas encore venu?

G.J. : Plus que le mot dialogue, qui renvoie à une affaire de spécialistes, théologiens surtout, je préfère le mot rencontre. Il faut d’abord se rencontrer en profondeur les uns et les autres, vouloir que l’autre nous reconnaisse comme un frère. Alors le dialogue sera commencé sans qu’on s’en aperçoive. A l’évidence, ce n’est pas encore le cas pour les deux communautés, chrétienne et musulmane, en France.

APIC : La construction de mosquées rencontre beaucoup de réticences, chez les élus notamment. Le dossier de la formation en France des imams est également en panne. Comment se situent les évêques sur ces questions?

G.J. : Les élus traînent les pieds surtout pour des raisons électoralistes. Le jour où un nombre conséquent de musulmans voteront, les choses changeront. Ne serait-ce que par respect de la liberté religieuse, les évêques ne s’opposent pas à la construction de vraies mosquées et à la formation réelle et autochtone des imams – laquelle reste l’affaire des musulmans eux-mêmes – toutes deux susceptibles par ailleurs d’enrayer les dérives intégristes. Il est plus facile de contrôler la teneur des prédications dans une grande mosquéée que dans des locaux obscurs.

APIC : Le problème de la non-représentativité de la communauté musulmane envers les pouvoirs publics sera-t-il un jour résolu?

G.J. : C’est vrai que c’est très handicapant, tant pour les pouvoirs publics que pour les musulmans. Mais je les comprends. Leur communauté est très diverse par les origines et de surcroît, il n’y a pas en islam de hiérarchie forte, structurée comme telle. Je crois qu’il faudra du temps, de 20 à 30 ans, pour que l’islam soit pleinement français et non plus relié aux pays d’origine. C’est déjà beaucoup que les jeunes s’affirment comme musulmans français et non plus comme Marocains ou Algériens. (apic/jcn/ba)

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