À Mossoul, après Daech, la résurrection de Notre-Dame de l’Heure

Dans quelques semaines, les mythiques cloches de Notre-Dame-de-l’Heure sonneront de nouveau dans le vieux Mossoul. Les travaux en cours devraient même permettre à l’un des lieux chrétiens les plus emblématiques de l’histoire récente de la Mésopotamie de reprendre ses offices d’ici Noël 2023. L’Unesco est en passe de remporter son pari, celui de faire «revivre l’esprit de Mossoul» en restaurant le couvent des Dominicains qui a marqué des générations de Mossouliotes de toutes les communautés.

Benoit Drevet, à Mossoul pour cath.ch

S’il y a bien une image d’Épinal qui colle à la peau de Mossoul, c’est le minaret penché de la mosquée Al-Nouri et le clocher du couvent Notre-Dame de l’Heure qui se font face et surplombent la vieille ville, au carrefour des deux principales artères de la ville, sur la rive droite du Tigre. Ce n’est donc pas un hasard si le couvent Notre-Dame-de-l’Heure, actuellement en phase de restauration sous financement des Émirats arabes unis, est inclus dans le plus grand projet de restauration l’Unesco jamais conçu, Revive the spirit of Mosul («Faire revivre l’esprit de Mossoul», voir encadré).

Son campanile abrite la première horloge de Mésopotamie, installée au début des années 1880, un cadeau de l’impératrice Eugénie à l’église latine des frères Dominicains de la province de France. Canoniquement ouverte en 1850, Notre-Dame-de-l’Heure rayonne depuis lors culturellement grâce à la première imprimerie de Mésopotamie une décennie plus tard. De celle-ci sortira la première Bible en arabe et la première grammaire kurde. C’est aussi un lieu d’éducation pionnier où verront le jour la première école de filles puis d’institutrices de la région en plus d’une école de garçons. Un couvent qui abrita également à l’époque un consulat général de France et un hôpital.

Notre-Dame-de-l’Heure, a été endommagée durant l’occupation de Daech | © Roberto Simona

C’est pourtant pour son horloge et ses cloches qui sonnent tous les quart-d’heure que Notre-Dame-de-l’Heure est restée fameuse dans chaque foyer mossouliote. Au point de donner son nom au quartier central du vieux Mossoul, connu sous le nom d’Al-Saa’a (»l’heure» en arabe). «Ce qui marque les gens dans le paysage visuel c’est le clocher mais dans le paysage sonore c’est le son des cloches, c’est l’identité du quartier», confirme le frère Olivier Poquillon, mandaté par les Dominicains pour le suivi des travaux de l’Unesco.

Notre-Dame-de-l’Heure, rayonnante puis martyrisée

Une horloge, «aujourd’hui ça nous fait marrer, c’est un truc de grand-mère, mais à l’époque c’était de la haute technologie, il y avait une course technologique entre les empires, notamment les Ottomans, les Britanniques et les Français pour démontrer, leurs capacités», explique le frère dominicain, régulièrement sur place depuis trois ans.

Dotée de quatre cadrans aux quatre points cardinaux, «elle est visible par tous de son quartier, avec l’idée que l’heure est un don de Dieu et est la même pour tous», poursuit-il.

Seulement, Notre-Dame de l’heure n’est plus un lieu d’office et son silence se fait pesant depuis 2014 et la prise de Mossoul par Daech. Paradoxalement, elle échappe aux destructions car Daech fait de son enceinte stratégique et protégée un véritable quartier général au sein de la capitale irakienne de son califat. L’église abrite un tribunal, une prison souterraine où nulle lumière ne peut rentrer et le couvent attenant est transformé en centre de formation pour djihadistes.

Le lieu est sévèrement endommagé par les combats de la libération de Mossoul, en 2017. Difficile d’imaginer les émotions qui traversent Olivier Poquillon, ancien habitant des lieux en 2003-2004, lorsqu’il se rend sur les lieux après la libération: «On a eu gros travail de déminage. (…) Il y a eu un pillage systématique. Les livres qu’on n’a pas pu emporter ont été détruits, volés. Les cloches avaient disparu. Les pierres au sol étaient toutes déchaussées et tous les câbles électriques arrachés», décrit-il.

Le réfectoire n’a pas survécu aux combats et le mécanisme d’horlogerie et ses quatre cadrans ont également disparu. Des programmes de formation de Daech, des équipements de combat ou encore des ceintures d’explosifs jonchent le sol. Mais la possibilité d’un renouveau existe : les fondations ont tenu bon malgré la cinquantaine d’impacts de roquettes et le clocher n’a pas été dynamité, contrairement à celui de la mosquée Al-Nouri.

«Son clocher, représente le paysage de Mossoul, sa diversité»

«Un clocher sans cloche ça n’a pas de sens, sans horloge non plus, pour une église qui s’appelle Notre-Dame de l’Heure», fait remarquer à juste titre Olivier Poquillon, pressé d’en finir avec des travaux qui devraient durer jusqu’au dernier trimestre 2023. 

«Nous espérons qu’à Noël prochain cette église sera à nouveau fonctionnelle», confirme Omar Al-Taweel, Mossouliote pur jus et ingénieur en chef de l’Unesco du site. Il se montre «extrêmement fier» de participer à ce projet symbolique à plus d’un titre: «Notre-Dame de l’Heure, grâce à son clocher, représente le paysage de Mossoul, sa diversité et comment était Mossoul dans le passé avec des gens vivant en paix et heureux ensemble, avec des origines et des religions différentes, témoigne-t-il. C’est cela l’identité de Mossoul et nous espérons que la ville redeviendra ce qu’elle était.»

«Le plus important pour moi, c’est de travailler à la fois pour la reconstruction de Notre-Dame-de-l’Heure et pour mes collègues chrétiens ici, à Mossoul», abonde Akeel Ahmed, entrepreneur mossouliote engagé par l’Unesco en tant que spécialiste du travail de la pierre. «En tant que musulman chiite, je suis très fier de participer à cette reconstruction, en particulier car cette église a une grande histoire», souligne le quarantenaire parti s’exiler dans la plaine de Ninive dès l’occupation de Mossoul par Daech.

Dans le quartier, Yassin Ahmad, tenancier d’un café à la soixantaine bien entamé se remémore «la vie impossible sous Daech, où il n’y avait même pas de quoi se nourrir», et se félicite d’entendre bientôt le son des cloches qui lui rappelle son enfance. Il insiste sur les liens qu’il a gardé avec les amis chrétiens qu’il fréquentait alors dans cette ville à l’histoire multiconfessionnelle.

Le retour des cloches sonnera-t-il le retour de l’exode des chrétiens de Mossoul?

Mais des chrétiens, il n’y en n’a maintenant presque plus à Mossoul. Majdi Naqash, 46 ans, est l’un des rares à avoir tenté le grand retour: «J’ai décidé de revenir car je suis seul et ma maison est ici. Il y a seulement quatre ou cinq familles chrétiennes qui sont revenues dans le quartier de Notre-Dame-de-l’Heure. Les autres familles chrétiennes qui sont rentrées à Mossoul sont restées sur la rive gauche du Tigre», déplore-t-il, se disant sans illusion sur un retour de la plupart des familles chrétiennes qui ont fui le fléau de l’extrémisme.

Le revêtement en marbre des murs de l’église est en cours de remplacement. Les dalles bleues, blanches et rouges visibles sous la voûte sont remplacées par des dalles dans des tons allant du blanc au noir. | © Benoît Drevet

La période Daech a été un traumatisme pour ses semblables dont de trop nombreux souvenirs restent, ici, à exorciser pour leur donner l’envie d’un retour. «Il ne faut pas oublier que la communauté chrétienne a été victime d’un nettoyage ethnique systématique», souligne le frère Olivier Poquillon pour qui les trois missions originelles de Notre-Dame-de-l’Heure axées autour de la religion, de l’éducation et de la culture sont l’essence de la construction d’un monde pluriel. «On essaye de refaire de cette maison de prière un lieu qui irrigue les communautés», reprend-il, loin de se décourager.

Ouvriers chrétiens et musulmans

Sur place, le chantier bat son plein: près de 80 ouvriers irakiens, musulmans comme chrétiens, s’affairent. Des bruits de perceuses, de soudures ou de marteaux résonnent à tout va. La maçonnerie est presque terminée tandis que le réseau électrique et d’assainissement est en cours d’installation. Les deux coupoles de l’église ont retrouvé leur parement de pierre et sont chacune ornée d’une croix en métal, depuis Noël. Saccagé, le sanctuaire de la Vierge Marie, lieu de prière œcuménique, est en cours de reconstruction. Un sobre marbre noir et blanc rappelant les couleurs dominicaines est en train de recouvrir les murs intérieurs de l’église. Le clocher dont l’entrée détruite a été méthodiquement refaite sera bientôt de nouveau surplombé pas sa caractéristique fleur de lys, elle aussi disparue.

Surtout, les cloches, baptisées «en l’honneur des trois archanges qui sont des figures des trois monothéismes», Michel, Gabriel et Raphaël, devraient bientôt faire leur retour tant attendu. Fondues en Normandie en décembre, elles emprunteront de nouveau le chemin entre la France et l’Irak en compagnie de l’horloge, comme près de deux siècles auparavant. Elles ont d’ailleurs été démoulées dans la fonderie Cornille Havard, début décembre, sous le regard de l’ambassadeur d’Irak en France, Wadee al-Batti, et de la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay. Des cloches que le vieux Mossoul devrait entendre résonner de nouveau d’ici Pâques. Comme le signal du retour à la vie d’avant, certes, avec des cicatrices en plus mais, avant tout, avec du baume au cœur. (cath.ch/bd/bh)

L’Unesco veut faire «Faire revivre l’esprit de Mossoul»
Les chiffres donnent le tournis mais sont à la hauteur des destructions subies par la vieille ville de Mossoul, sur la rive Ouest du Tigre, lors des combats engagés par l’armée irakienne et la coalition internationale pour en déloger Daech en 2017. A sa libération, en juillet de cette année-là, l’Unesco estime que 80% du vieux-Mossoul est pare terre.
Cinq ans après, se balader dans Mossoul pour qui a connu sa splendeur peut relever du chemin de croix. «Quand je vois des photos du Mossoul visité par Gertrude Bell au début du XXe siècle, oui je verse une petite larme ça c’est sûr», déplore le spécialiste du patrimoine de Mossoul, l’architecte français Guillaume de Beaurepaire. Pour financer son projet «Revive the spirit of Mosul«, lancé en 2018, l’Unesco s’appuie sur les Émirats arabes unis, l’Union européenne et quelques autres mécènes, avec un fonds abondé à hauteur de 105 millions d’euros.
Pour son projet phare dans le monde, l’agence onusienne s’occupe notamment de redévelopper la vie culturelle de Mossoul, son programme éducatif et de reconstruire et restaurer certains de ses monuments les plus importants, comme le couvent dominicain Notre-Dame-de-l’Heure. Les travaux sont encore plus importants pour l’église syriaque catholique Al Tahira et la mosquée Al Nouri – d’où Al Baghdadi avait proclamé le califat de l’État islamique – ainsi que son minaret penché, Al Hadba, complétements détruits. La plupart des travailleurs employés par l’Unesco sont des Irakiens alors que l’Unesco estime avoir créé plus de 3000 postes pour ce qui est le plus grand projet de son histoire. BD

Rédaction

Portail catholique suisse

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