Le pape Pie XII « calomnié », estime l’historien jésuite Pierre Blet
Rome, 2 novembre 1997 (APIC) A l’heure où Jean Paul II reconnaît que la résistance de beaucoup de chrétiens face à l’antisémitisme des nazis « n’a pas été celle que l’humanité était en droit d’attendre de la part de disciples du Christ », l’historien jésuite Pierre Blet s’insurge contre les accusations régulièrement portées contre l’attitude du pape Pie XII pendant la deuxième guerre mondiale. Si Pie XII n’a pas fait de déclaration solennelle contre l’Holocauste, cela ne veut pas dire qu’il ne s’est pas fortement engagé en faveur des victimes, souligne-t-il dans une interview au quotidien « L’Avvenire ».
Auteur d’un récent livre sur « Pie XII et la seconde guerre mondiale d’après les archives du Vatican » (Perrin 1997), le Père Pierre Blet est le seul survivant des quatre jésuites chargés en 1964 par Paul VI d’étudier les archives secrètes du Vatican relatives à la seconde guerre mondiale. Le résultat de leurs travaux a été publié entre 1965 et 1982 en douze volumes intitulés « Actes et Documents du Saint-Siège relatifs à la seconde guerre mondiale ».
« Les historiens modernes passent sous silence le rôle du pape dans les relations internationales, surtout pendant la période qui a précédé la guerre et pendant celle-ci, explique le Père Blet. On prend très peu en considération ce que le Saint-Siège a fait pour empêcher le déclenchement de la guerre en 1939 et le rôle joué par Pie XII pour aider les victimes.
Pie XII, à travers ses discours, ses appels aux gouvernants et aux gouvernements et sa diplomatie secrète, s’est engagé comme personne d’autre pour empêcher la guerre et pour rétablir la paix. Très peu se souviennent qu’il avait proposé en mai 1939 une conférence à cinq avec l’Italie, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Pologne pour empêcher le conflit. »
Pie XII n’était pas philogermanique
De même, le jésuite s’insurge contre les accusations de sympathie philogermanique qui circulent à l’encontre de Pie XII : « C’est faux. Un document du Foreign Office démontre que Pie XII était en contact avec les généraux allemands qui voulaient renverser Hitler. Le pape avait transmis à Londres, la proposition des généraux allemands qui voulaient renverser le dictateur et qui demandaient des garanties pour une paix honorable. Mais les Anglais ne se sont pas fiés à cette proposition qu’ils ont laissé tombée. Par ailleurs, un document trouvé dans les archives de l’Ambassade de France près le Saint-Siège à Rome démontre que Pie XII avait fait secrètement parvenir en mai 1940 aux ambassadeurs de France et d’Angleterre les dates de l’offensive allemande dans les Ardennes. C’était une information d’une importance capitale que Pie XII n’a eu aucune hésitation à communiquer. »
L’accusation la plus lourde contre Pie XII concerne son silence face à l’Holocauste. Le Père Blet explique que le pape savait qu’une déclaration publique devait être évaluée en fonction de l’intérêt de ceux qui souffraient le plus. La Croix-Rouge était arrivée à la même conclusion : `les protestations ne servent à rien et pourraient même nuire aux personnes que l’on veut aider’.
Robert M.W Kempner, « deputy chief » américain au Tribunal de Nuremberg contre les crimes de guerre avait d’ailleurs déjà écrit que « tous les arguments et écrits, éventuellement utilisés par l’Eglise catholique contre Hitler auraient uniquement provoqué un suicide. L’exécution des juifs aurait été suivie par celle des prêtres catholiques », rapporte le Père Blet.
On reproche également à Pie XII d’avoir peu fait pour aider les réfugiés juifs. Une accusation qui fait bondir le père Blet : « Il s’agit d’une calomnie. Les volumes 8,9 et 10 de nos travaux sont remplis de documents émanant de la communauté hébraïque où les rabbins de la moitié du monde, et autres réfugiés, remercient Pie XII, et l’Eglise catholique pour les aides et pour ce qui a été fait en leur faveur. Par ailleurs le père Robert Leiber, secrétaire de Pie XII, m’a confirmé que le pape avait utilisé sa fortune personnelle pour secourir des juifs poursuivis par le nazisme. En Croatie, en Hongrie, en Roumanie, les nonces, sur requêtes directes du pape, on réussi à empêcher des déportations. Dans son message de Noël 1942, Pie XII avait dénoncé `les centaines de milliers de personnes qui sans aucune faute, et seulement pour leur nationalité et leur race, sont destinées à la mort’. Le 2 juin 1943, il est revenu sur ce thème lors d’une allocution au consistoire : `à cause de leur nationalité et de leur race, des gens sont destinés à l’extermination’. Le pape avait alors averti que `personne ne peut continuer à violer les lois de Dieu impunément’. »
L’encyclique contre le racisme n’était pas prête
Interrogé sur l’encyclique contre l’antisémitisme, commandée par Pie XI et jamais publiée par Pie XII, la réponse du Père Blet est nette : « C’est une hypocrisie. Il est vrai que Pie XI a fait préparer une encyclique contre le racisme en général, sans avoir spécifiquement précisé l’antisémitisme. Pie XI a demandé une première version au père jésuite John LaFarge, un spécialiste des questions raciales de l’époque et qui se trouvait à Rome. LaFarge a travaillé sur ce texte qu’il a remis au Général de la Compagnie de Jésus qui l’a ensuite communiqué à la rédaction de la Civilta Cattolica. J’ai eu l’occasion de lire le manuscrit. Il est évident que l’encyclique n’était pas au point. Il s’agissait seulement d’une première version dont beaucoup d’aspects étaient intéressants mais absolument pas publiables en l’état. LaFarge écrivait en effet : `il est juste de réfuter le sentiment d’antisémitisme mais ceci ne signifie pas que l’Eglise ne puisse pas prendre des précautions à l’égard des juifs’. Je n’ose pas imaginer ce que l’on aurait dit aujourd’hui si Pie XII avait consenti à la publication d’un tel texte. » (apic/imed/mp)
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