De l’Afrique à Genève, une paroisse trait d’union

Ils sont d’origine africaine et se sont établis à Genève. Ils vivent leur foi au sein de la paroisse de leur quartier, mais aussi via les messes en français chantées en plusieurs langues de leur continent, proposées par la Communauté catholique africaine du canton.

Lucienne Bittar

L’homélie avait de quoi être détonante et elle l’est! Une vingtaine de paroissiens, des Congolais en majorité, sont rassemblés ce 5 février 2023 pour la messe à l’église St-Boniface, à Genève. Le pape vient de rentrer de RDC et du Soudan du Sud, d’où il a lancé son -déjà- fameux «Retirez vos mains du Congo, retirez vos mains de l’Afrique»! Des paroles qui forcément ont impressionné la Communauté catholique africaine de Genève (CACGe) et inspiré le sermon, à l’accent d’ailleurs, du Père nigérian Gabriel Ishaya. Il reflète les préoccupations sociopolitiques de l’Afrique, sujet à de «trop grands malheurs», et l’esprit de son Église.

Voguant entre appel à la justice internationale pour «un continent oublié» et invitation au discernement personnel, le prêtre souligne l’extrême richesse de la République démocratique du Congo et du Nigeria. «Et pourtant ces pays sont tout cabossés, lance-t-il. Qui en profite?» Pas question pour autant de pleurer sur son sort. «On doit nourrir l’espoir que, pour une fois, les paroles du pape toucheront les cœurs.»

Une paroisse, une famille

La percussionniste de la chorale Amani | © Lucienne Bittar

Animée par une chorale qui chante en français et en plusieurs langues du Congo, accompagnée par une percussionniste casquette sur la tête, la liturgie est vivante, chaleureuse, mais plus courte que d’habitude, «pour ne pas faire fuir la journaliste présente». Marchant le long des bancs, appuyant ses dires de gestes, le Père Ishaya interpelle ses «frères et sœurs», qui lui répondent par des Mmm appuyés. Les soucis des uns et des autres sont évoqués au moment des intentions.

Ici, tout le monde se connaît. À tel point qu’à la fin de la messe, le prêtre, tout en leur souhaitant la bienvenue, demande à deux visages inconnus de se présenter. Une jeune femme se lève, Lucie, du Sénégal. «J’ai essayé les messes de plusieurs communautés, mais je ne me suis pas sentie à ma place. Pour la première fois, j’ai enfin le sentiment d’être à l’Église, dit-elle. Pour moi la messe, ça doit bouger!» Une belle confirmation de la mission à laquelle est appelée cette paroisse genevoise pas tout à fait comme les autres, dont l’histoire remonte aux années 1980. Ses deux co-secrétaires, Dieudonné Olela et Thierry Mazamay, la relatent à l’unisson.

Le noyau originel

Les deux hommes font partie du noyau dur des étudiants zaïrois venus étudier à Genève et à l’origine de la CCAGe. Aujourd’hui, c’est avec leur famille qu’ils la fréquentent et y œuvrent bénévolement.

Né au Congo en 1963, à Bukavu, Dieudonné Olela a passé son bac au Collège des jésuites de la ville. Parti étudier à Kinshasa, il assiste à la fermeture de son université suite aux troubles qui secouent le Zaïre (actuelle République démocratique du Congo – RDC, ndlr). Il obtient alors, en 1984, une bourse des Œuvres pontificales missionnaires pour étudier la géologie à Genève. Aujourd’hui, il travaille dans le secteur bancaire, où il s’occupe de sécurité informatique. Thierry Mazamay, 66 ans, est arrivé pour sa part à Genève à l’âge de 21 ans en tant que requérant d’asile, avant de pouvoir étudier à l’Université de Genève. Il est directeur des finances au Pouvoir judiciaire.

Les messes à l’aumônerie universitaire

À cette époque, Genève accueille de nombreux zaïrois en qualité d’étudiants, de requérants d’asile fuyant le régime de Mobutu ou de diplomates. Le temps est à la méfiance politique et les trahisons ne manquent pas.

Un groupe plus soudé d’étudiants congolais et angolais se retrouve à la chapelle du Centre universitaire catholique de Genève (CUC), autour de l’aumônier Roger Berthouzoz. Ce dominicain valaisan avait passé quelques temps au Congo, comme le précise Dieudonné Olela. Il les prend sous ses ailes, facilitant l’inscription d’étudiants congolais qui fuient le pays, et les encadre. Mais surtout, il permet à ces jeunes habités par une foi vivante de se ressourcer dans la petite chapelle du CUC, lors de messes célébrées et chantées en langues africaines.

Mais le Père Berthouzoz quitte le CUC et l’aumônier qui lui succède a d’autres priorités. La petite «paroisse» d’étudiants africains perd son lieu de culte. C’est là qu’entre en jeu l’abbé Mulopo Tshingedji, un prêtre congolais qui prépare une thèse à Genève.

L’église St-Boniface prend la relève

«J’ai eu le premier contact avec cette communauté via l’abbé Mulopo, se souvient Dieudonné Olela. Il avait un petit bureau au foyer St-Boniface (quartier de Plainpalais) et s’était improvisé aumônier des catholiques d’origine africaine, des Congolais principalement, mais aussi des Angolais, des Camerounais et des Centrafricains. Il célébrait des messes, des baptêmes, des enterrements. Avec l’accord du vicariat évidemment! Il voulait regrouper les Africains non pas autour de leur nation, mais de leur confession catholique.»

Avec son décès, dans les années 90, une période de flottement s’en suit pour la CCAGe. «Il ne restait plus chez nous qu’une seule activité, celle de la chorale qui allait chanter par-ci par-là, y compris chez les protestants», raconte Thierry Mazamay.

Dieudonné Olela et Thierry Mazamay | © Lucienne Bittar

Répondre à un besoin de chaleur et de tradition

Or, au même moment, le canton voit fleurir les Églises de réveil (évangéliques). Les catholiques africains, de tradition souvent animiste et à la recherche de la chaleur africaine, se retrouvent à devoir choisir entre les Églises du réveil ou leur paroisse locale. Pas si simple! «Aller à la messe, au Congo, c’est une fête. C’est animé et chanté. Mais quand on va à l’église ici, parfois on s’endort et on se retrouve entre personnes âgées, explique Thierry Mazamay. On s’est dit que les Africains arrivant à Genève allaient automatiquement se diriger vers les Églises du réveil pour retrouver le sentiment d’être en famille et une certaine solidarité.»

Dieudonné Olela poursuit: «Ces Églises peuvent faire des dégâts, car n’importe qui peut se proclamer pasteur et fonctionner avec l’étiquette Église en une structure très indépendante et «opaque» tout en encadrant des fidèles. Nous avons voulu réagir, pour permettre aux Africains de vivre leur foi dans l’esprit de chez eux, mais au sein d’une communauté catholique. Le rite zaïrois (mis en place dans les années 80 par le cardinal congolais Malula, qui a cherché à restaurer le dialogue entre la dimension universelle du catholicisme et ses dimensions d’Églises locales, ndlr) est pratiqué parfois ici, à St-Boniface, grâce notamment au Père jésuite congolais Éphraïm et à l’abbé Lukelu de Vevey. Il permet de concurrencer un peu la chaleur des Églises du réveil. Ça nous fait du bien, car nous sommes toujours nostalgiques de nos pays d’origine.»

Officialisation de la communauté

Après une trentaine d’années de service plus ou moins informel, soutenue par Mgr Farine, alors vicaire auxiliaire du canton, la Communauté catholique africaine de Genève voit officiellement le jour en 2014, mais sans soutien financier de la part de l’Église cantonale, si ce n’est la mise à disposition de l’église St-Boniface. Des statuts sont déposés, un Comité et plusieurs commissions formés, dont une dévolue aux visites des malades.

Avec l’aide du foyer St-Justin de Fribourg, la CCAGe confie les messes dominicales à un tournus de prêtres -principalement d’origine africaine- issus de tout le diocèse ou doctorants à l’Université de Fribourg. Les 30 à 50 familles qui fréquentent la communauté versent chaque mois une petite contribution pour rémunérer les prêtres. En l’absence d’un prêtre permanent, la CCAGe est considérée comme une paroisse non territoriale. Les sacrements qui y sont pratiqués sont enregistrés auprès de la paroisse voisine du Sacré-Cœur.

«Notre but est aussi de fonctionner comme une famille solidaire. Quand il y a un décès ou tout autre événement qui touche un membre de notre communauté, on cotise. On se connaît bien. Certains d’entre nous depuis l’université! Mais c’est une communauté vieillissante. Les jeunes ont de la peine à prendre la relève, car l’horaire des messes en milieu d’après-midi les décourage… Ils viennent surtout à l’occasion des kermesses, des fêtes religieuses et des repas qui les suivent, de nos concerts, pique-niques, etc.» note Dieudonné Olela.

Le rôle de la chorale Amani

Pour se faire connaitre, la communauté compte sur Amani (la paix, en swahili), sa chorale «œcuménique». Elle chante en plusieurs langues africaines lors de messes catholiques ou de cultes protestants, de cérémonies de mariage et de concerts. «Le but est de vivre notre foi, mais aussi de présenter notre culture aux Genevois et à nos propres enfants, pour perpétuer la tradition, précise Thierry Mazamay. La chanson, on la pratique à tout moment. C’est dans l’ADN africain. Que ce soit dans les moments de joies ou de douleur. On accueille les gens, on leur rend hommage par le chant.» (cath.ch/lb)

Père Gabriel Ishaya, répondant de la Communauté africaine de Genève, église St-Boniface | © Lucienne Bittar

Un nouvel objectif
Depuis 2019, la communauté est reconnue par le Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, qui a nommé comme prêtre répondant le Père Gabriel Ishaya, missionnaire spiritain nigérian et curé modérateur de l’Unité pastorale genevoise Boucles du Rhône.
Le Père Ishaya s’est vu confier la tâche de rassembler les trois groupes catholiques africains de Genève et leurs chorales respectives: la Communauté catholique africaine, ici présentée, celle de la paroisse St-Pie X, composée principalement de Camerounais, Ivoiriens et Togolais réunis autour du français, et celle de la paroisse de Versoix, fréquentée par des Africains anglophones qui travaillent dans le monde des organisations internationales. L’idée, pour l’instant, est d’organiser des événements communs et de réunir les chœurs parfois, pour chanter dans des langues très diverses. LB

Lucienne Bittar

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