Mgr Claude Rault: le désert algérien a été sa cathédrale

Dans une société algérienne essentiellement musulmane où les chrétiens sont une infime minorité, «notre souci n’est pas de faire du chiffre, mais d’être une présence aimante, respectueuse de l’autre», confie Mgr Claude Rault, qui fut, de 2004 à 2017, évêque de Laghouat-Ghardaïa, dans le Sahara algérien. Le désert algérien a été la cathédrale du «Père Blanc» qui est de passage à Fribourg début mars 2023.

Jacques Berset, pour cath.ch

Missionnaire d’Afrique, Mgr Claude Rault, 82 ans, a vécu en Algérie depuis août 1970, avant d’être envoyé au Sahara en 1975, où il a longtemps sillonné en voiture la vaste étendue de désert, de sable et de cailloux de son diocèse de plus de deux millions de km2, un des plus vastes du monde. Et l’un des plus petits si l’on considère le nombre de catholiques, confie à cath.ch le «Père Blanc» originaire de Poilley, dans la Manche.

Inspiré par la figure de Charles de Foucauld

Inspiré par la figure de Charles de Foucauld, «l’ermite du désert», le missionnaire normand rappelle que l’ancien officier de cavalerie Charles de Foucauld (1858-1916), canonisé le 15 mai 2022, a vécu quinze ans dans ce diocèse avant de mourir assassiné à Tamanrasset, dans ce qui fut l’Algérie française.

Situé dans le désert, le diocèse de Ghardaïa, l’un des quatre diocèses d’Algérie – avec ceux d’Alger, d’Oran et de Constantine et Hippone – occupe 90 % du territoire national. Son territoire n’est pas vide de population puisque les oasis et villes qui le composent (Djelfa, Laghouat, Ghardaïa, Ouargla, Bechar, Tamanrasset, notamment), comptent quelque 4,2 millions d’habitants.

A l’époque de la colonisation française, le diocèse comptait quelques centaines de fidèles, des Français principalement, et d’autres pieds-noirs européens, qui étaient commerçants, militaires ou fonctionnaires. Ils sont partis dans le cadre des soubresauts de l’indépendance de l’Algérie, en 1962, comme ce fut le cas pour les autres diocèses.

Œuvrant désormais dans un milieu entièrement musulman, le diocèse est animé par une soixantaine de membres permanents: l’évêque – depuis 2017 un autre Père blanc, le britannique John Gordon MacWilliam – , des prêtres, des religieux et des religieuses, dont certains sont issus de la Famille Spirituelle Charles de Foucauld, et quelques laïcs, «tous engagés dans la pastorale de la rencontre avec nos frères et sœurs musulmans».

«Nos fidèles, c’est l’ensemble de la population algérienne»

«Nos fidèles, c’est l’ensemble de la population algérienne… Nos activités sont orientées vers le service humanitaire et culturel et le partenariat avec la population qui nous entoure, essentiellement musulmane».

La communauté chrétienne est surtout formée par les migrants sub-sahariens, car les étrangers, employés des sociétés pétrolières, vivent isolés dans les quartiers de résidence propres à leur société, sans famille. «C’est un autre monde! Ils ne viennent pas dans nos paroisses, ils sont pratiquement inaccessibles, car ils travaillent non-stop. Et quand ils ont un temps de congé, ils rentrent dans leur pays, en France, aux Etats-Unis ou ailleurs».

Sans-papiers venant d’Afrique noire

Les migrants d’Afrique noire sont assez nombreux dans les villes du Grand-Sud algérien. Souvent sans papier, prisonniers des réseaux de passeurs, ils survivent de petits métiers la plupart du temps dans les périphéries des villes. «Accumulant un petit pécule, avec le désir toujours présent de partir vers le Maroc ou la Libye, pour rejoindre l’Europe». Mais ils ne se manifestent pas toujours comme chrétiens et souvent ne savent pas qu’il y a une église.  

«Quand ils viennent dans nos petites paroisses, nous les accueillons, et ils y retrouvent leur liberté. Ils n’ont plus peur d’être embarqués par la police, car cette dernière ne rentre jamais dans nos locaux, mais nous ne les hébergeons pas. Ils ne sont pas très nombreux à venir, ce n’est qu’une petite minorité».

Evangélisation?

Questionné sur ce que peut signifier «l’évangélisation» dans ce contexte essentiellement musulmans, où la Constitution prévoit certes la liberté de croyance et d’opinion mais déclare l’islam religion d’État et interdit aux institutions de se livrer à un comportement incompatible avec la moralité islamique, Mgr Claude Rault souligne qu’en Algérie, l’Église catholique a une existence légale. «La liberté religieuse est reconnue, mais dans le cadre d’une loi assez restrictive».

Il y a ainsi plusieurs milliers de chrétiens évangéliques en Kabylie, qui mènent leur vie «dans la mesure où ils ne sortent pas du cadre légal». Pas question donc de faire du prosélytisme, de ramener l’autre à sa propre religion, de chercher à le convertir, souligne le missionnaire en terre d’islam.

«Nous sommes une Église de la rencontre, de la relation»

«Nous sommes une Église de la rencontre, de la relation. Nous avons des liens d’amitié très forts avec la population locale, des liens dans la foi au même Dieu unique! Quelques fois, des musulmans nous demandent de prier pour eux, et nous leur demandons aussi de prier pour nous. Il y a un grand climat d’amitié et de respect mutuel».

«Il arrive aussi que des chrétiens évangéliques algériens, pas si nombreux, sonnent à notre porte… Nous accueillons également des personnes individuelles qui, pour des raisons de conscience, veulent connaître Jésus. C’est un long chemin, mais cela n’aboutit pas nécessairement à un baptême».

Les religieux dans le diocèse n’ont pas de signes religieux. «Nous évitons de porter la croix, car elle est trop porteuse d’un poids historique qui a pesé très lourd du temps de la colonisation… C’est beaucoup plus important de témoigner de notre identité chrétienne à travers des comportements et des signes qui reflètent la charité du Christ qu’à travers des signes religieux!»

Une pastorale de la bonté, de l’amitié et de la fraternité

En effet, pour Mgr Claude Rault, l’évangélisation n’est pas seulement la diffusion d’un message oral, mais c’est le fruit du témoignage de toute une existence: «le fait de rayonner la force de l’Evangile par ce que nous sommes plus que par ce que nous disons. Le sens de la présence de l’Église en Algérie, selon les mots de Charles de Foucauld, est la pastorale de la bonté, de l’amitié et de la fraternité. Cela l’a démarqué par rapport à son temps. Pour lui, tous les hommes sont frères, hommes et femmes, tous enfants de Dieu! C’était une grande révolution pour l’époque. Il avait d’ailleurs appelé sa maison ‘La Fraternité’».

Une Eglise qui se vit «pleinement citoyenne»

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accordé le 27 février 2023 la nationalité algérienne à l’archevêque d’Alger, le dominicain français Jean-Paul Vesco, qui a beaucoup œuvré «pour que l’Église en Algérie ne soit pas quelque chose à part, mais une institution bien implantée dans la cité. C’est un signe fort pour notre Eglise qui se vit pleinement citoyenne». Pour le missionnaire d’Afrique, «notre infime présence, très humble, au sein de cette population musulmane, a trouvé sa place dans le paysage religieux algérien». (cath.ch/be)  

Oran le 9 décembre 2018. Messe d’action de grâce à la cathédrale Sainte-Marie d’Oran. Mgr J. P. Vesco. | © Bernard Hallet

Algérie, décennie noire
La guerre civile algérienne a opposé entre 1991 et 2002 le gouvernement algérien et des groupes d’autodéfense à diverses factions islamistes armées, faisant durant cette «décennie noire» plus de 150’000 morts et des milliers de disparus. «L’Église a donné sa part, avec 19 de ses membres assassinés». Parmi eux, les sept moines de Tibhirine tués au printemps 1996, et le 1er août de la même année, Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran, victime avec son chauffeur Mohamed Bouchikhi, d’une bombe devant son évêché.
«L’évêque martyr a mêlé son sang avec son ami, le jeune musulman de 21 ans… N’oublions pas que 119 imams ont aussi été assassinés par les terroristes islamistes pour les mêmes raisons que les victimes chrétiennes, pour avoir refusé de faire allégeance aux terroristes islamistes. Ainsi, nous n’avons pas été victime d’une population, mais victime avec une population!»
Mgr Claverie, six religieuses et douze prêtres et autres religieux, dont les sept moines de Tibhirine, ont été reconnus martyrs par le pape François le 26 janvier 2018, ce qui conduit à leur béatification le 8 décembre de la même année. Une cérémonie à laquelle ont participé les autorités civiles algériennes et des représentants religieux musulmans. Les autorités religieuses catholiques avaient participé la veille à une célébration à la mémoire des imams assassinés et de la population victime de la vague de violence des «années noires». JB  

Rédaction

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