France: Mgr Albert Rouet quitte la Commission sociale de la Conférence des évêques

APIC – Interview:

« Les puissances d’argent n’écoutent rien »

Par Jean-Claude Noyé, pour l’Agence APIC

Paris, 27 novembre 1997 (APIC) Mgr Albert Rouet, évêque de Poitiers, président de la Commission sociale de la Conférence des évêques de France pendant six ans, quitte cette fonction. Il a inauguré une méthode de travail qui vise à donner la parole à un large nombre d’acteurs concernés dans le respect et l’écoute. Son successeur, Mgr Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis, a dores et déjà fait savoir qu’il travaillerait dans le même esprit que Mgr Rouet. Entretien avec l’évêque de Poitiers sur son bilan à la tête de la Commission sociale.

APIC: Quel est l’impact réel des livres que la Commission sociale a publié? La parole de l’Eglise n’est-elle pas, aujourd’hui, de peu de poids? Notamment face aux puissances d’argent, à leur cynisme?

A.R. : Les puissances d’argent, enfermées dans leur certitude, n’écoutent rien. Pas plus la parole des politiques que celle de l’Eglise. Mais tous ceux qui sont en situation de souffrance et qui la vivent comme un poids, eux sont attentifs à une parole de liberté qui ouvre. Précisément parce qu’ils peuvent entrevoir que nous ne sommes pas dans un monde fait pour la fatalité. La révélation biblique, toute la lignée des prophètes et le Christ lui-même, se sont opposés à l’idolâtrie de l’argent. Il nous faut maintenir avec force que l’homme est plus important que l’argent. Pour en revenir à votre question, l’impact de nos documents se vérifie par les centaines de demandes de contact que nous recevons pour discuter et étudier nos textes. Des demandes qui peuvent aussi bien émaner de municipalités ou même de ministres.

APIC: A considérer que le néolibéralisme débridé est « l’ennemi public numéro un », ne convient-il pas que l’Eglise s’engage davantage et plus clairement au côté de ceux qui le combattent au nom du respect de l’homme?

A.R. : Le néolibéralisme n’est pas seulement une doctrine économique. C’est aussi un projet dont l’argument principal revient à dire: la seule réponse aux maux de la situation actuelle, c’est toujours plus de libéralisme. C’est aussi une mentalité: les lois économiques suivent leur cours, il ne faut pas s’inquiéter de leurs conséquences. On ne peut rien face à la donne mondiale, pas plus que devant un tremblement de terre .L’homme doit rythmer son existence sur la consommation. Face à cette vision du monde, somme toute peu structurée, posée là comme une évidence, il nous semble important d’abord de décrypter cette évidence, ensuite de montrer qu’elle n’est pas si obligatoire que cela et qu’on n’a pas à s’y soumettre aveuglément. Ce qui compte, c’est de permettre aux gens de comprendre leur situation, sans quoi ils ne sont pas libres et n’ont pas d’espérance. Il faut leur rendre l’intelligence de leur situation pour la maîtrise de leur histoire. Tel a été un des axes majeurs du travail de la Commission sociale.

Ceci étant, cela suppose une volonté politique forte et une utopie au sens du projet vers lequel on marche toujours. Je crois essentiel de redonner tout son honneur au fait politique. J’observe depuis quelque temps que des hommes politiques européens, de divers bords, le font et qu’ils cherchent à transformer la réalité.

APIC: N’est-il pas dommage que le pape ne se soit pas prononcé plus clairement au Brésil contre la spoliation des terres et pour un soutien au Mouvement des paysans sans terre (MST?

A:R. : Ce n’est pas à moi, mais aux évêques brésiliens qu’il revient de réagir et de voir jusqu’où on peut aller dans une parole responsable. Une parole qui va jusqu’au bout de ce qu’elle peut faire. Il faut bien voir la situation dans laquelle on parle. Une chose est de parler depuis Rome, une autres de le faire devant des foules considérables, à l’étranger.

APIC: « L’endroit où des hommes souffrent représente l’endroit révélateur du fonctionnement réel de notre société », avez-vous déclaré récemment à « La Vie ». Quel est le dysfonctionnement majeur de cette société dont beaucoup pensent qu’elle va droit dans le mur? La crise économique, le chômage, suffisent-ils à expliquer la « peine » de l’homme occidental?

A.R. : Vaste question. Une chose me frappe. Qui exprime aujourd’hui la mesure de l’homme? Qui dit ce qu’est un homme? Un citoyen consommateur, soumis à la loi des marchés ou même à sa loi personnelle? Ou bien, selon l’expression de Pascal, l’homme passe-t-il l’homme? Y a-t-il une parole d’espérance, une parole qualitative et pas seulement quantitative selon le slogan: « toujours plus, toujours plus vite et toujours plus loin ». A partir de là, on voit bien que la crise économique est aussi une crise de sens. Il y a aujourd’hui une crédulité fantastique car, de fait, on ne sait plus très bien ce qu’est un homme. On ne sait plus le situer, tant au plan spirituel, que du travail, de la santé. La grande souffrance, se trouve ici.

APIC: Faut-il conclure à la nécessité de réévangéliser l’Europe?

A.R : Oui, mais réévangéliser de manière très incarnée, pour que l’Evangile apparaisse comme une Bonne Nouvelle qui touche un point vital, comme un dialogue: on écoute et on répond. C’est essentiel.

APIC: Quelle impression vous a laissé la dernière Assemblée plénière de Lourdes? Certains observateurs affirment que rien ne s’y passe…

A.R. : . Il faut du temps pour que les choses mûrissent. Entre le moment où l’on sent une question de fond et celui où on peut en parler clairement, il y a une distance. C’est tout l’enjeu de la gestation du dialogue dans une assemblée. Il a fallu trois ans pour que nos travaux sur « Proposer la foi aujourd’hui » aboutissent. La diversité de nos sensibilités? C’est vrai que c’est la chose la plus difficile à partager, car il y va de la vision du monde de chacun, influencée par son histoire personnelle. Toutes choses qui échappent à la pure rationalité, alors que le débat se situe lui au niveau de cette rationalité. Ce qu’il nous faut, c’est entendre le témoignage des uns et des autres et nous enrichir avec.

APIC: Quel bilan tirez-vous de votre mandat à la Commission sociale?

A.R. : J’ai été passionné par ce travail parce qu’il rejoint la vie des hommes et qu’il montre combien l’Eglise vit avec eux. Le travail avec nos nombreux collaborateurs, engagés dans l’Eglise ou non, a été très enrichissant. La commission sociale a été vraiment un lieu de rencontre. Nos publications ont été bien reçues et je crois que celal tient précisément à cette large concertation, à ces approches croisées sur un sujet donné.

APIC: Quels chantiers vous paraissent prioritaires?

A.R : Mon successeur fera ce qu’il veut et c’est bien normal qu’il se sente libre. Il y a beaucoup de chantiers: le travail sur le quel il serait bon de revenir, mais aussi la politique, car le discrédit dans laquelle on la tient aujourd’hui n’augure rien de bon pour notre société. Il y a encore l’alcoolisme, sur lequel la commission sociale a travaillé en 1973-1975. Et la santé, de plus en plus technique. Quelle place fait-on à l’homme? Une question effectivement incontournable. (apic/jcn/ba)

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