Mgr Morerod: «En tant qu'évêque, on reste responsable de ses prêtres»

Vaud: un prêtre licencié, parce qu’il aurait touché le genou d’une femme, est menacé d’expulsion. Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) s’exprime sur le cas et sur le programme d’accompagnement des prêtres étrangers que son diocèse développe depuis 2018.

Propos recueillis par Annalena Müller, kath.ch / adaptation Grégory Roth

Le prêtre exerçant dans le canton de Vaud a été licencié. Désormais, il est même menacé d’expulsion. Comment réagissez-vous?
Charles Morerod: Premièrement, le cas est toujours en cours. Et je précise: je n’ai jamais dit que le prêtre en question devait partir. Deuxièmement, comme il est incardiné dans un diocèse extra-européen, j’ai décrit la situation – telle que je la connais – à son évêque local. Je lui ai également demandé ce qu’il souhaitait faire si les accusations étaient avérées.

«Si un prêtre est incardiné à l’étranger, mon devoir est d’en informer son évêque d’origine»

Ce prêtre n’était-il pas sous votre responsabilité?
En tant qu’évêque, on reste responsable de ses prêtres incardinés. Peu importe où ceux-ci sont envoyés. Mais si un prêtre est incardiné à l’étranger et qu’il n’est plus tenable ici, il est de mon devoir d’en informer son évêque d’origine. Celui-ci prend alors une décision. Pour «mes» prêtres, c’est-à-dire lorsqu’ils sont ordonnés dans mon diocèse, étrangers ou non, j’en suis responsable. Et s’ils sont impliqués dans une affaire d’abus sexuels, tant qu’il n’y a pas de preuves, je ne peux pas les révoquer.

En Suisse, les corporations ecclésiastique sont les employeurs civils de la plupart des prêtres. La responsabilité revient donc à la «Fédération ecclésiastique catholique romaine du canton de Vaud» (FEDEC) dans le cas du prêtre licencié…
La FEDEC dispose effectivement de son propre service juridique qui examine le cas. Je n’ai pas les mêmes possibilités, ne serait-ce que parce que l’évêché ne dispose pas d’un budget comparable. Et il n’est pas non plus nécessaire, puisque très peu de personnes sont directement employées par l’évêché. Dans le diocèse de LGF, les employeurs ecclésiastiques sont les collectivités cantonales, mais aussi les unités pastorales, voire les paroisses elles-mêmes, parfois. Les réalités sont tellement différentes d’un canton à l’autre que je laisse les employeurs gérer selon leur propre fonctionnement.

«Nous envisageons de prolonger la durée de l’accompagnement des prêtres qui nous arrivent de l’étranger»

Comment le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg prépare-t-il les prêtres étrangers à travailler en Suisse?
Les prêtres qui nous arrivent de l’étranger sont accompagnés durant leur première année. Ils se rencontrent tous les mois pour discuter de choses générales, mais aussi de problèmes concrets. Actuellement, nous travaillons à augmenter le nombre de ces rencontres. Nous envisageons également de prolonger la durée de l’accompagnement. D’ailleurs, tous les prêtres qui arrivent doivent suivre cet accompagnement, quelle que soit leur origine. Cette année, quelques prêtres viennent d’Afrique, un de Pologne et deux de France.

Quel est le but de cette offre d’accompagnement?
On les familiarise avec les habitudes de l’Église suisse. Il y a quelques particularités dans ce pays. Le système dual, par exemple. En Suisse, le prêtre a toujours affaire à une autre instance. En tant qu’employeur, l’Église cantonale a une très grande influence. Dans les domaines du travail et du droit du travail, elle en fait parfois plus que l’évêque. En Suisse, les laïcs assument également des responsabilités. Leur travail pastoral va de pair avec celui du prêtre. Beaucoup de prêtres étrangers l’ignorent. Selon leur région d’origine, les bonnes relations œcuméniques que nous entretenons ici entre nous sont nouvelles et inhabituelles pour de nombreux prêtres. Ils viennent parfois de régions où les mouvements anticatholiques sont très forts. Dieu merci, c’est différent chez nous.

«Au-delà des différences culturelles, il y a des choses plus subtiles, comme des nombreuses nuances dans les relations.»

L’offre existante ne semble pas suffire si certains prêtres ne savent pas qu’il ne faut pas toucher quelqu’un lors d’une conversation…
Il est illusoire de penser qu’un prêtre va prendre conscience du jour au lendemain de toutes les différences culturelles grâce à quelques discussions. Surtout là où les différences sont importantes. C’est complexe parce qu’on ne se rend pas compte soi-même des choses plus subtiles, des nombreuses nuances dans les relations. Cela ne vaut pas seulement pour un prêtre d’Afrique ou d’Inde. Mais aussi pour vous et moi.

Avez-vous un exemple personnel à donner?
J’ai vécu plusieurs années en Italie et j’ai appris à bien connaître la vie là-bas. Mais il a quand-même fallu des années pour que mes confrères suisses et moi-même remarquions que nous n’avions pas le même contact avec les employés de notre foyer qu’avec les frères venant d’autres pays. La culture suisse est plus égalitaire que beaucoup d’autres. Cela vaut également pour l’image que les clercs ont d’eux-mêmes et pour les relations avec les laïcs et les laïques.

«La conscience des différences culturelles doit grandir des deux côtés»

La prise de conscience est donc un long processus…
Oui. Et il comporte de nombreuses nuances. Dans les deux sens. Donc, même si un prêtre d’un autre pays sait théoriquement qu’en Suisse, on communique avec réserve et distance. Et même si – de son point de vue – il communique de manière beaucoup plus distante que ce qui serait normal pour lui. Il se peut alors que sa communication soit perçue différemment par les autochtones. La conscience des différences culturelles doit grandir des deux côtés.

Le nouveau code de conduite peut-il également aider?
Nous l’espérons. Le code n’a pas le même objectif que la charte contre les abus sexuels, que les aumôniers du diocèse de LGF doivent déjà signer depuis 2019. Contrairement à la charte, le nouveau code de conduite aborde également les abus de pouvoir. C’est important. Le code ne laisse plus de place à l’ambiguïté. Nous avons repris, en grande partie, le code de Coire.

«Un prêtre doit pouvoir aborder la question de la sexualité, comme lors de l’entretien de préparation au mariage, mais la vie intime d’une personne ne le concerne pas.»

En comparaison avec le code de Coire, pourquoi la version de Fribourg alémanique est nettement moins stricte lorsqu’il s’agit de l’influence des agents pastoraux sur la sexualité des fidèles?
Mon impression est que l’équipe fribourgeoise a tenu compte des réactions négatives de certains prêtres du diocèse de Coire. En ce qui concerne la sexualité, un prêtre doit pouvoir l’aborder lors de l’entretien de préparation au mariage par exemple. La sexualité vécue est un élément central du mariage pour qu’il soit valable. Pour le reste, la règle est la même dans mon diocèse: la vie intime d’une personne ne concerne pas le prêtre. Si un prêtre cherche à en parler, c’est du voyeurisme, une forme de violence spirituelle. Il est également absolument clair qu’aucun prêtre, aumônier ou agent pastoral ne peut recommander des «thérapies» contre l’homosexualité. Ce serait non seulement faux, mais aussi dangereux. (cath.ch/kath/anm/gr)

Rédaction

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/mgr-morerod-en-tant-queveque-on-reste-responsable-de-ses-pretres/