Dimanche des médias: «Parler avec le cœur. Selon la vérité»

«Parler avec le cœur. Selon la vérité, dans la charité» Tel est le titre du message du pape François pour le dimanche des médias 2023. Quelles impulsions ce document peut-il donner au travail concret des journalistes? Echanges avec André Kolly, président de Cath-Info et Gérard Tschopp, membre du comité.

Dans son message, le pape François reprend l’injonction de l’apôtre Paul aux Ephésiens à parler selon la vérité dans l’amour (Ep 4,15). Il invite à communiquer avec le coeur.
André Kolly:
Parler avec le coeur vaut pour l’ensemble de la vie, pas seulement pour les professionnels des médias, mais aussi par exemple pour les médecins. Nous avons tous rencontré des personnes qui ne savent pas faire de discours, mais qui parlent avec le coeur et sont capables ›d’emporter le morceau’.
Mais dans le domaine journalistique, il me semble que cela ne tient pas suffisamment compte de la distinction des genres. L’investigation n’obéit pas aux mêmes règles que le commentaire ou le compte-rendu. Il est vrai que s’il n’y a pas un minimum de connivence du journaliste avec le sujet, cela semble difficile.

La présence catholique dans les médias est essentielle


Gérard Tschopp: La recherche de la vérité reste le premier enseignement du journaliste. Nous sommes là pour transmettre une réalité le mieux possible. Cette recherche doit aller jusqu’au bout et comme le précise le pape François, ›même si elle est parfois inconfortable’. Toute vérité n’est forcément facile à dire et surtout à entendre.
C’est pourquoi le pape souligne qu’il faut la donner avec le coeur et dans la charité. Pour moi cela implique en priorité être ouvert et ne pas avoir de préjugés, de parti-pris. Nous sommes tous des personnes avec des opinions et des idées, mais la séparation des faits et du commentaire participe de cette vérité à laquelle nous sommes appelés. Il est difficile d’être charitable ou cordial envers des ’salauds’, mais une certaine forme d’empathie dans le sens d’essayer de comprendre l’autre doit rester possible.

«Quand il y a du coeur, il y a généralement un plus.»

André Kolly

Sans la citer nommément le pape évoque la situation de la guerre en Ukraine et le défi qu’elle représente pour les médias.
AK: Certains journalistes ont été exemplaires en Ukraine, à la fois pour dire les choses, tout en parlant avec le cœur. C’était beau à voir et à recevoir. Quand il y a du coeur, il y a généralement un plus. Je suis toujours plus frappé par la polarisation, dans le monde politique en particulier, mais aussi plus largement. La parole tient essentiellement de l’idéologie et plus du tout du coeur, ni même du respect de la réalité. Nous savons d’avance ce que vont dire ceux qui sont du clan du pour, ou du contre. C’est très pervers.

Gérard Tschopp dénonce la manipulation | © Bernard Hallet

Le pape dénonce précisément «toute forme de propagande qui manipule la vérité, la défigurant à des fins idéologiques».
GT: La manipulation consiste à vouloir imposer à l’autre sa vision du monde. Les conditions du dialogue ne sont alors plus réunies. Cela vaut d’autant plus aujourd’hui avec la multiplication des possibilités de manipulation et pas seulement l’intelligence artificielle, mais aussi les ›usines à trolls’ qui prolifèrent. En regardant les médias russes actuels, je suis affolé de les voir devenir des moyens de propagande exclusive.

Comme antidote, le message invite à «discerner dans la complexité du monde où nous vivons».
GT: Le premier de nos guides doit rester: ›comment s’exprimer pour que les gens puissent se faire leur propre opinion?’ Il faut commencer par les considérer comme des personnes intelligentes, leur montrer les faits et leur donner les moyens de les interpréter. Permettre à l’autre d’exister ›charitablement’ est un principe fondamental. C’est la base du ›service public’ auquel, à mon avis, les médias de Cath-Info appartiennent.

AK: RTSreligion peut précisément continuer à exister parce qu’il fonctionne comme service public et non pas comme moyen de propagande ou de prosélytisme. Un élément à relever aussi est que le journaliste doit avoir conscience de l’effet de ses publications.

Le pape signale la responsabilité des professionnels des médias.
GT: Je pourrais dire que le journaliste a d’abord la responsabilité d’être compris. Les éléments factuels qui sont à la base de la vérité sont toujours multiples et jamais noirs ou blancs. «Car il nous faut de la nuance encore», écrivait Verlaine. La capacité à mettre en perspective à rendre compréhensible les choses complexes fait le talent du métier de journaliste.

«La pression du temps nous pousse paradoxalement à nous pencher sur des éléments qui ne présentent absolument aucun intérêt notamment sur les réseaux sociaux»

André Kolly

AK: J’ai fait une expérience intéressante dans une communauté religieuse où j’avais été invité pour parler de mon travail de journaliste. J’ai pris l’exemple du traitement des encycliques pontificales. Pour la première , j’avais fait appel à un professeur expert en la matière, en quatre volets d’une clarté parfaite. Pour la deuxième, j’avais pris deux interlocuteurs qui apportaient chacun leur nuance dans la lecture. Pour la troisième qui traitait de l’unité des chrétiens, j’ai fait appel à un protestant. Pour Veritatis splendor, il y avait une personne athée. J’essayais de montrer la variété des points de vue. J’ai été alors interpellé: «Cela ne tient pas! Vous devez présenter l’encyclique pour ce qu’elle est! Et pas des interprétations». J’ai répondu: «Vous avez parfaitement raison. D’ailleurs vous devriez demander au Vatican de supprimer deux des trois évangiles synoptiques, car ils divergent sensiblement sur de nombreux points!» Je n’ai plus été invité.

Pour André Kolly, la pression du temps est toujours plus forte | © Bernard Hallet

Les journalistes, y compris dans les médias chrétiens, sont toujours plus soumis à l’impératif de la vitesse d’une communication instantanée.
AK: La pression du temps joue un rôle toujours plus important. Mais un peu paradoxalement, elle nous pousse à nous pencher sur des éléments qui ne présentent absolument aucun intérêt notamment sur les réseaux sociaux. Or J’ai besoin d’une information qui me serve à développer mon opinion.

GT: La vie est un mouvement perpétuel. C’est une chose que le journaliste doit accepter. Il croit parfois avoir fait la meilleure enquête du monde. Mais dès le lendemain, un nouveau fait bouscule l’ancien. Ce qui caractérise notre époque est que les choses se transmettent de plus en plus vite. Le tri devient alors plus difficile. A quoi s’ajoutent la diminution des moyens et le besoin de multiplier les publications, sur les ondes, sur internet, sur les réseaux sociaux et sur le papier. Alors que dans le même temps la diversité de la presse se réduit!
La qualité des sources est un élément essentiel. Elle veut dire aussi le temps que l’on peut consacrer à la recherche. Reprendre un communiqué de presse en changeant que quelques mots, n’est pas vraiment un travail journalistique.

Le pape appelle en outre à rejeter «la tentation d’utiliser des expressions percutantes et agressives.»
GT: Je crois qu’il faut faire une distinction entre les deux termes. Etre percutant peut avoir un sens positif, avec la volonté d’interpeller, de faire bouger les choses, de secouer le cocotier. Etre agressif est différent, si l’on s’attaque aux personnes en attisant un sentiment négatif.

«L’incapacité de l’Eglise à se remettre en cause, à rassembler les fidèles, justifie, au moins en partie, les traitements négatifs des médias.»

Gérard Tschopp

AK: Je suis d’accord. Lorsque vous faites de l’investigation sur des sujets sensibles et délicats, vous pouvez arriver à la confrontation ou au moins à la dénonciation. Ce qui me gêne est d’avoir toujours le même procédé, d’être systématique.

Le message parle «des polarisations et des contra-positions dont malheureusement la communauté ecclésiale n’est pas exempte».
AK:
 C’est un bel aveu du pape François. Je le sens attentif et capable de sentir la complexité et d’écouter la répercussion de ses paroles. Ce n’est plus le catéchisme et la dogmatique, mais davantage le dialogue.
GT: Dans l’histoire de l’Eglise et notamment en Suisse, en particulier dans le diocèse de Coire, nous avons été confrontés à des histoires tout à fait objectives. L’incapacité à se remettre en cause, à rassembler les fidèles, justifie, au moins en partie, les traitements négatifs des médias. Des choses sont choquantes. L’Eglise peut aussi s’en prendre à elle-même par rapport à sa cécité relativement forte et durable sur des questions de société.
A cela s’ajoute la problématique des abus qui a détourné de l’Eglise énormément de personnes, en particulier les femmes. Cela peut être troublant pour un journaliste catholique.

François de Sales (1567-1622)

Evoquant la figure de saint François de Sales (1567-1622), patron des journalistes, le pape rappelle que «la communication ne doit jamais être réduite à un artifice, à – nous dirions aujourd’hui – une stratégie de marketing».
AK: Il y a deux métiers: celui de porte-parole et celui de journaliste. C’est une distinction nécessaire, même si beaucoup de communicants sont d’anciens journalistes.

GT: Il y a cependant quelque chose de fondamental: il faut être lu, vu et entendu et compris. Le journaliste doit donc être une bon communicant dans le sens où il doit faire la vérité telle que nous l’avons définie tout à l’heure.

AK: François de Sales ne s’est certainement jamais senti comme journaliste. Mais au XVIIe siècle, l’évêque de Genève avait compris qu’il faillait communiquer autrement que les réformateurs hyper-agressifs comme Farel. Avec douceur et amabilité, on pouvait progresser davantage que par la force.

«Avec ses lettres, ses libelles glissés sous les portes, ses brochures, François de Sales s’est adapté aux circonstances.»

Gérard Tschopp

GT: Avec ses lettres, ses libelles glissés sous les portes, ses brochures, François de Sales s’est adapté aux circonstances et a fait évoluer son discours dans un environnement qui n’était pas favorable à la prédication de la foi catholique.

Dans sa conclusion, le pape François invite les gens des médias à exercer leur profession comme une mission.
GT: Oui, mais mission ne veut pas dire missionnaire. Si nous travaillons dans une publication religieuse, nous avons tout intérêt à partager un certain nombre de points fondamentaux. Mais cette identification ne doit pas nous empêcher d’être de vrais journalistes.

AK: Les textes romains sur la communication le reconnaissent explicitement: ‘le langage des médias n’est pas celui de la chaire’. (cath.ch/mp)

André Kolly, président sortant de Cath-Info a été d’abord attaché de presse du Synode des catholiques suisses de 1972. Il est arrivé à la radio en 1976 d’abord comme journaliste puis directeur du Centre catholique de radio et télévision (CCRT) de 1988 à 2009.

Gérard Tschopp après une carrière de trente ans de journaliste radio a été directeur de la Radio Suisse romande (RSR) jusqu’en 2010 et président de Reporters sans Frontières suisse de 2014 à 2020.

Maurice Page

Portail catholique suisse

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