France: Sainte Thérèse de Lisieux Docteur de l’Eglise, pourquoi?
Mille et une raisons
Lisieux, 23 septembre 1997 (APIC) La nouvelle était dans l’air depuis longtemps déjà, elle était largement attendue à Lisieux et ailleurs. Elle est tombée, confirmée plus que révélée lors des Journées Mondiales de la jeunesse en août dernier, de la bouche même de Jean Paul II. Le 19 octobre prochain, Journée mondiale pour les Missions – dont la sainte est la patronne -, le pape déclarera sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte-Face Docteur de l’Eglise. La « petite » Thérèse de Lisieux deviendra ainsi la 33e Docteur de l’Eglise, la troisième femme à recevoir ce titre.
Dans un entretien accordé au bulletin de la Conférence des évêques de France – SNOP – Mgr Guy Gaucher, auteur du récent livre « Histoire d’une vie – Thérèse Martin », parle du sens de cet événement. L’évêque auxiliaire de Bayeux-Lisieux explique pourquoi la spiritualité carmélitaine a permis que soient reconnus trois Docteurs de l’Eglise. Cette interview peut s’inscrire en complément au reportage que l’Agence APIC a consacré à sainte Thérèse de Lisieux, en mai dernier.
G. Gaucher: Remarquons que les trois Docteurs du Carmel le sont au XXe siècle. Pie XI avait refusé le Doctorat de sainte Thérèse d’Avila (XVIe siècle) en 1923 et celui de sainte Thérèse de Lisieux en 1932 parce qu’elles étaient femmes. Il avait déclaré Docteur de l’Eglise saint Jean de la Croix en 1926, 334 ans après sa mort.
Le paradoxe c’est que la vie carmélitaine est une vie contemplative, cachée, cloîtrée, apparemment à l’écart du monde. Mais les profondeurs de la vie spirituelle rejoignent l’homme au cœur de son existence, dans sa relation vécue avec Dieu. Ces trois maîtres sont devenus universels, leur influence dépasse très largement le Carmel et apporte à l’Eglise entière et au monde des trésors de sagesse théologique et spirituelle.
Parmi les 32 Docteurs de l’Eglise aujourd’hui, y a-t-il des figures qui soient comparables à sainte Thérèse de Lisieux?
G. Gaucher: A part sainte Catherine de Sienne, laïque consacrée, morte à 33 ans, je ne vois pas de Docteur de l’Eglise comparable à sainte Thérèse de Lisieux, morte à 24 ans. En ouvrant, en 1970, l’accès au Doctorat à des femmes qui n’ont pas écrit des traités construits de théologie, le pape Paul VI a bousculé les critères traditionnels du Doctorat dans l’Eglise puisqu’il y introduisait des « rudes », des femmes qui n’avaient pas accès au « savoir », jusqu’ici réservé aux hommes (Catherine de Sienne était illettrée).
En quoi une telle distinction va-t-elle renouveler la recherche théologique actuelle?
G. Gaucher: Il faudra que la théologie tire les conséquences de ces faits. Depuis 27 ans, la nomination de deux Docteurs féminines est passée quasi inaperçue. Peut-être que le Doctorat de la « petite » Thérèse – que le Père Urs von Balthasar appelait « la grande petite Thérèse » – va enfin provoquer un débat: « Qu’est-ce que la théologie? » Est-ce que ces femmes sont théologiennes? » En 1973 déjà, le même Urs von Balthasar demandait que la théologie masculine intègre les apports spécifiques des saintes femmes mystiques. Par ailleurs, les travaux universitaires sur Thérèse de Lisieux, déjà importants, vont se multiplier avec l’arrivée des nouvelles générations.
Quelle connivence voyez-vous entre Thérèse de Lisieux, morte à 24 ans, et la jeunesse d’aujourd’hui? En quoi peut-elle servir de modèle pour les jeunes actuellement?
G. Gaucher: Il y a des années que dans la pastorale du pèlerinage de Lisieux, nous constatons l’impact de Thérèse auprès des jeunes. Les plus préparés aux JMJ à Paris l’ont montré. Le livre « Thérèse et les jeunes » en est un exemple parmi d’autres. Une génération fragilisée familialement et affectivement (Thérèse a été dix ans blessée par le deuil de sa mère), une génération souvent sinistrée spirituellement qui cherche un amour absolu (Thérèse a totalement investi sa vie dans l’amour de Jésus), des jeunes avides de sainteté au quotidien (Thérèse ouvre ce chemin dans la vie ordinaire, avec à la fois des « désirs infinis » et un réalisme aigu sur son impuissance personnelle), un langage évangélique simple, compris de tous, un message de proximité qui est d’abord un témoignage de vie, tout cela – et d’autres réalités encore – fait de Thérèse une sœur très présente dans la vie des jeunes. Il faut évidemment ajouter que ceux qui la prient expérimentent son aide dans leur vie.
Quel sens le pape a-t-il voulu donner à ce Doctorat au moment de la préparation du Jubilé de l’an 2000?
G. Gaucher: Pour l’instant, nous n’avons sur les intentions du Saint-Père que le texte dense et synthétique du 24 août, à la fin de la messe à Longchamp. Son discours du 19 octobre prochain à Saint-Pierre de Rome sera plus explicite. Pour ma part, et je ne suis pas le seul, j’utilise habituellement l’enseignement thérésien pour préparer le Jubilé de l’an 2000. Toute la catéchèse de ces trois années préparatoires: le Christ, l’Esprit, le Père, s’alimente aisément au message thérésien (un livre va sortir sur sa Christologie). De même pour les trois sacrements et les trois vertus théologiques envisagés.
Quelles sont les prochaines manifestations prévues – à moyen et à long terme – après cette remise de Doctorat?
G. Gaucher: Après 65 ans d’attente, cette déclaration du Doctorat de Thérèse de Lisieux est si rapide qu’on ne peut prévoir les conséquences à long terme. Pour l’instant, disons que la clôture du Centenaire de son « entrée dans la Vie » (30 septembre 1897) célébrée à Lisieux, en France et partout dans le monde, va prendre une coloration particulière: « la plus grande sainte des temps modernes » (Pie X) n’est plus seulement « la plus grande thaumaturge des temps modernes » (cardinal Pacelli, devenu Pie XII, elle est maintenant Docteur de l’Eglise (Jean Paul II).
Il va falloir développer la connaissance de son enseignement, chemin de l’Evangile pour le IIIe millénaire. Tous les colloques universitaires programmés dans le monde devront en tenir compte. Pour tout cela, nous disposons d’un instrument de travail incomparable: l’Edition critique des Œuvres complètes de sainte Thérèse, en 8 volumes, et la Concordance de ses œuvres. Sans oublier, bien sûr, la remarque de Thérèse: Jésus est le « Docteur de l’Eglise ». (apic/snop/pr)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/france-sainte-therese-de-lisieux-docteur-de-l-eglise-pourquoi/