Cardinal Ambongo: le pape François «a la passion des jeunes»

La question de l’éducation des jeunes est une priorité pour l’Église en Afrique, mais aussi pour l’Église universelle: une conviction que défend le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa (RDC) et proche collaborateur du pape François.

Propos recueillis par Camille Dalmas/I.média

Pour l’incarner, il accompagne une délégation de la «Fondation internationale Religions et Sociétés» afin de présenter au pape le Pacte éducatif africain, un document à destination des diocèses pour les aider à agir en faveur d’une meilleure éducation. I.MEDIA l’a interrogé lors d’une présentation du Pacte organisée à Rome par l’ambassade de Belgique près le Saint-Siège.

Le Pacte éducatif africain est inspiré du Pacte éducatif mondial (2020) promu par le pape François, et a été lancé lors du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) à Kinshasa en 2022. Comment ce Pacte éducatif africain peut-il répondre à ce que vous décrivez comme une «crise de l’éducation en Afrique»?
Card. Fridolin Ambongo: Nous sommes très fiers et reconnaissants envers le Saint-Père qui a eu cette lumineuse idée de Pacte éducatif mondial. L’année passée à Kinshasa, s’est tenu un symposium pendant lequel nous avons réfléchi sur ce pacte mondial dans le contexte de l’Afrique.

Le Pacte éducatif africain est le résultat de cette rencontre. Dans ce pacte, nous avons tenu compte de la diversité des situations en Afrique. Mais nous avons aussi noté des points de convergence. Le principal point commun, c’est que nous essayons tous de mettre la personne humaine au centre de l’éducation. Si on est animé par le souci de former nos enfants pour que demain ils deviennent des hommes et des femmes dignes de ce monde, il est évident que nous nous retrouvons.

Aux côtés du Pape François, le cardinal Fridolin Ambongo, archévêque de Kinshasa et président du Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et Madagascar (SCEAM) | © Sceam

Quelles sont vos attentes vis-à-vis du pape?
Nous attendons de lui un encouragement sur la voie que nous nous sommes déjà donnés. Mais pas seulement nous en Afrique, parce que l’éducation est globale. Il faudrait aussi que lui, en tant que chef suprême de l’Église universelle, puisse sensibiliser les autres Églises, parce que si nous faisons les choses chez nous en Afrique, et qu’il n’y a pas de répercussions dans les autres Églises, ça n’aura pas beaucoup d’impact. Par exemple, l’immigration qui part de chez nous est provoquée à cause des signaux envoyés par l’Occident, qui font croire aux jeunes que l’Occident est le paradis. Une fois arrivés ici, ils découvrent que ce n’est pas le cas, et parfois même, que c’est l’enfer. Nous pensons donc qu’il faudrait que les Églises sœurs de l’Occident puissent rentrer dans la même logique, de telle sorte que nous envoyions le même message à nos jeunes et à tous les jeunes du monde entier.

Quel rôle peut jouer l’Église africaine pour promouvoir une éducation plus «intégrale», plus liée aux réalités territoriales et culturelles, comme le promeut le pape François?
Nous devons revenir au point de départ: pourquoi éduque-t-on? Pour cela, nous avons à puiser dans la culture africaine. Chez nous en Afrique, l’éducation à la vie se faisait par ce qu’on appelait l’initiation. On emmenait l’adolescent dans la forêt, où il était éduqué à l’art de vivre dans une société donnée. De sorte que quand on sortait de là, après six mois, après une année, on était prêt à rentrer dans la vie adulte. Aujourd’hui l’école a remplacé les lieux d’initiation. Malheureusement, nos jeunes, quand ils terminent leur école aujourd’hui ne sont pas du tout préparés à affronter les défis de la vie. C’est pour cela que nous disons que notre système éducatif ne correspond pas aux besoins de notre société.

«Malheureusement, nos jeunes, quand ils terminent leur école aujourd’hui ne sont pas du tout préparés à affronter les défis de la vie.»

Si nous revenons à l’essentiel, il faut partir des besoins de la vie, des défis qui attendent les jeunes, les métiers auxquels ils doivent se préparer, et avancer en fonction de cela. De telle sorte qu’une fois les études terminées, on devient utile à la société. Or, aujourd’hui, ça n’est pas le cas chez nous. L’amour des diplômes fait qu’on est souvent prêt à payer beaucoup pour passer des classes, mais à la fin, quand on est confronté aux besoins de la société, on brille par son incompétence. Parce qu’on n’a pas été préparé. Et sur ce point, nous pensons que l’Église peut jouer un rôle, en rendant consciente la société de ce problème et en aidant à former les jeunes aux besoins qui se présentent, pas seulement pour pouvoir aller à l’université.

Une question importante pour penser l’éducation africaine est la relation entre l’Église et l’État. Qu’attendez-vous de la part des hommes politiques en matière d’éducation?
Il y a clairement des choses que l’Église en Afrique attend de l’État, parce qu’il demeure le pouvoir organisateur de l’éducation. Pour cela, il doit aussi mettre des moyens à disposition de l’Église. L’Église vient avec le savoir-faire, avec la motivation, avec sa vocation d’éduquer, mais il appartient à l’État de mettre des moyens à sa disposition.

«Quand l’éducation devient source de business, qu’on crée des écoles pour gagner de l’argent, alors là nous sommes à côté des réels objectifs.»

Le constat en Afrique, c’est que dans certains pays, le budget consacré à l’éducation est conséquent. Mais pour d’autres, cela représente parfois à peine un tiers du budget employé pour le fonctionnement de la présidence. Voilà pourquoi nous pensons que nous devons revenir à l’essentiel. L’essentiel, c’est d’abord l’enfant qui est là, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est un être humain qui est appelé à grandir; à devenir un homme au sens plein du mot. Si nous partons de ce point commun, au niveau de l’Afrique, nous avons déjà un dénominateur commun pour l’éducation. Mais quand l’éducation devient source de business, qu’on crée des écoles pour gagner de l’argent, alors là nous sommes à côté des réels objectifs.

Le cardinal Ambongo avec le pape François lors de la visite du pontife en RDC en février | © Vatican News

Vous dénoncez le poison de la corruption qui ronge le milieu éducatif de votre pays. Le 2 février dernier, dans le grand stade des Martyrs de la Pentecôte, le pape François avait lancé un appel mémorable sur ce point. Pensez-vous que son message ait été entendu?
Je crois que le pape a donné le ton à Kinshasa. Nous étions tous là, tous les évêques du Congo, dans un stade de plus de 100’000 jeunes qui répondaient aux provocations du Saint-Père comme un seul homme! Il a porté haut nos valeurs. Quand le pape à dit: «Non à la corruption», c’est toute la foule qui scandait en réponse: «Non à la corruption, non au tribalisme!, non aux anti-valeurs!» Je crois que là, le pape a mis en application son pacte autour des valeurs. Pour nous, cela a été une motivation, un encouragement. Et nous continuons à réfléchir sur les suites à donner à ce que le pape avait dit – notamment sur l’image des «cinq doigts» qu’il a employée, chaque doigt représentant une valeur. Les jeunes ont bien retenu son message.

«C’était remarquable quand il [le pape] est venu chez nous: le jour où il a rencontré nos jeunes, on ne le reconnaissait plus, il était rajeuni, redynamisé.»

Vous sentez une attention du pape pour les jeunes, et pour les jeunes africains en particulier?
C’est un souci permanent chez le pape François. On voit qu’avant de devenir pape, il a été pasteur. Le pasteur est celui qui est en contact permanent avec la jeunesse, qui connaît les difficultés et problèmes auxquels les jeunes sont confrontés. Une fois élu, il a gardé ce contact avec les jeunes. C’était remarquable quand il est venu chez nous: le jour où il a rencontré nos jeunes, on ne le reconnaissait plus, il était rajeuni, redynamisé. Il battait des mains, il provoquait les jeunes. C’était un moment extraordinaire. Je pense que c’est un charisme chez lui: il a vraiment la passion des jeunes.

Un autre enjeu éducatif pour l’Église en Afrique est celui de la formation des jeunes séminaristes ou des jeunes novices. Par exemple, votre pays compte plus de 4.000 séminaristes. Quels sont les défis qui se présentent à eux, et aux formateurs religieux de RDC?
Là encore, il faut faire attention aux manques en matière d’éducation de base, celle qui doit préparer le jeune homme ou la jeune fille à porter des valeurs. Nous ressentons cela dans les séminaires et les noviciats: c’est dire l’urgence de mieux préparer nos jeunes dans notre société. Pour nous, il est très important de travailler à la qualité de la formation que nous donnerons aux prêtres de demain. Si nous ne faisons pas attention, nous risquons de nous retrouver seulement avec des prêtres qui ont suivi la formation pour accéder à un statut social, mais qui ne comprennent rien de la vocation d’un vrai prêtre. (cath.ch/imedia/cd/bh)

I.MEDIA

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/cardinal-ambongo-le-pape-francois-a-la-passion-des-jeunes/