Actualité: La nouvelle législation religieuse restrictive destinée à protéger les « religions traditionnelles » de la Russie de l’invasion des sectes représente une menace à peine voilée contre la petite minorité catholique. L’Eglise catholique, dont la présence reconnue sur sol russe est pluriséculaire, a été pratiquement liquidée sous Staline. Elle a refait surface ces dernières années. La loi controversée, adoptée en juin par la Douma, le parlement russe, avec le soutien de l’Eglise orthodoxe russe, est pour le moment bloquée par un veto du président Eltsine. Le préambule de cette nouvelle loi définit l’orthodoxie comme une part inaliénable de l’héritage historique, spirituel et culturel de la Russie. L’islam, le bouddhisme et le judaïsme sont également mentionnés, mais l’Eglise catholique et les protestants – luthériens ou baptistes – ne font pas partie de cette liste et courent le risque d’être assimilés, dans la procédure d’enregistrement des communautés prévue par la loi, à des sectes importées de l’étranger. La pression sur les prêtres, religieuses et laïcs étrangers au service de la petite communauté catholique se fait déjà sentir.
Menaces sur la liberté religieuse dans l’ex-patrie du communisme
En plein essor, l’Eglise catholique en Sibérie craint pour son avenir
Jacques Berset, Agence APIC
Novosibirsk, 15 août 1997 (APIC) « Vous avez tout à fait le droit de manifester, mais allez un peu plus loin; vous devez respectez la liberté de culte des catholiques », lance, un brin nerveux, l’officier de police en uniforme. Il tance la vingtaine de manifestants orthodoxes qui distribuent des tracts anti-catholiques à l’entrée de la toute nouvelle cathédrale de Novosibirsk. La petite minorité d’obédience latine de la métropole de Sibérie occidentale, sortie prudemment des catacombes, doit-elle à nouveau craindre pour son avenir ?
Le dimanche 10 août, jour de la consécration solennelle de la cathédrale de la Transfiguration du Seigneur, la dizaine de policiers postés en face de l’édifice de briques rouges n’aura pas à intervenir. Défiant une fine pluie froide, les manifestants, hommes et femmes d’âge moyen et plutôt bien mis, dénoncent le « prosélytisme catholique ». Pacifiquement, bien sûr!
La vaste Sibérie, avec sa population composée de multiples nationalités et communautés, est d’ailleurs sans doute la région la plus pacifique de l’ancienne URSS: elle ne connaît ni conflits religieux ni problèmes ethniques. Du moins pas encore…
La « vraie foi », l’orthodoxe, est menacée…
Les manifestants interpellent avec leurs pancartes les nombreux fidèles se rendant à la messe. Ils tiennent un discours militant, se disent prêts à se battre pour la « vraie foi », l’orthodoxe, « menacée par la pénétration étrangère qui met en danger l’âme russe ». Une âme orthodoxe, tentent-ils d’expliquer aux fidèles d’origine allemande, polonaise ou lituanienne – plus rarement russe – qui ne s’attardent pas trop. « Ne suivez pas la croisade latine », lance un jeune barbu cravaté et cheveux attachés en catogan. Une autre refuse l’invitation d’un fidèle à participer à la fête, arguant que les catholiques sont des « hérétiques ».
La réconciliation et l’unité ne sont pas pour demain
Son voisin souligne qu’il n’a rien contre les catholiques comme tels. Il manifeste seulement sa solidarité avec ses frères orthodoxes « persécutés et chassés de leurs églises » par les catholiques uniates en Ukraine occidentale. Il ne connaît pas de saints dans l’Eglise russe prônant la réconciliation entre catholiques et orthodoxes. L’unité ne serait de toute façon possible à ses yeux que si l’Eglise catholique renonçait à ses propres innovations apparues après les premiers Conciles. Cette démonstration relève de l’initiative personnelle d’orthodoxes de la ville de Novosibirsk, tient-il à nous préciser: « Nous ne sommes pas mandatés officiellement par notre Eglise ».
Invité aux festivités, Mgr Sergij, l’évêque orthodoxe du lieu, s’est fait excuser. Il a tout de même envoyé un délégué pour le représenter. Prêt au dialogue avec les catholiques, il est soumis dans son propre camp à de rudes pressions. Mgr Sergij s’est fait même violemment attaquer dans la presse – qui a publié une lettre ouverte d’une page entière signée par un groupe de 96 chrétiens orthodoxes – pour avoir parlé des catholiques en termes de « frères ».
L’heure n’est pas à la confrontation
Chez les fidèles, l’heure n’est pas à la confrontation mais bien à la fête. Venue de la région, parfois aussi des confins du diocèse à plusieurs milliers de kilomètres de distance, la foule catholique s’est fait compacte dans l’enceinte de la cathédrale. Elle attend l’ouverture solennelle des portes par Mgr Joseph Werth, le jeune administrateur apostolique de Sibérie, suivi d’une dizaine d’évêques et d’une centaine de prêtres, venus en majorité de l’étranger. Les hôtes admirent la belle facture de la nouvelle curie épiscopale, qui devient le centre des catholiques de Sibérie.
Un vieux Polonais, casquette vissée sur la tête, une médaille militaire soviétique rouge frappée de la faucille et du marteau agrafée à son paletot élimé, a les larmes aux yeux. Il attendait un tel événement depuis près de 70 ans… Sous-officier de l’armée rouge pendant la guerre, il a conservé la foi de ses ancêtres, déportés en Sibérie du temps du tsar.
De mémoire de Sibérien, jamais rien vu de tel
De mémoire de Sibériens, en effet, on n’avait jamais vu un tel rassemblement de prêtres catholiques en ornements liturgiques. Quand en 1991 le pape Jean Paul II nomme Mgr Werth évêque de Sibérie, ce jésuite du Kazakhstan – dont les parents furent déportés de la République socialiste soviétique autonome des Allemands de la Volga à l’époque stalinienne – n’avait que 38 ans.
A son arrivée à Novosibirsk, il y a tout juste six ans, il n’y avait en Sibérie en tout et pour tout plus que trois prêtres… Pour un territoire quasiment 300 fois plus vaste que la Suisse. Sa « cathédrale » n’était qu’une petite chapelle en bois bâtie grâce à la ténacité d’une poignée de chrétiens du lieu. Mgr Werth le souligne: les catholiques de Russie sont des autochtones, pas des étrangers.
Une présence pluriséculaire liquidée sous Staline
L’Eglise catholique est en effet présente depuis le XVIIe siècle au-delà de l’Oural. Elle fut alors introduite par des marchands, des artisans et des ingénieurs d’origine polonaise, allemande ou lituanienne. Plus tard vint la masse des immigrés allemands invités dès 1763 à s’établir comme colons en Russie par l’impératrice Catherine II la Grande, elle-même d’origine allemande. Avec la garantie du libre exercice de leur religion, qu’il s’agisse d’évangéliques, de catholiques ou de mennonites. En 1937, pourtant, l’Eglise catholique avait été pratiquement « liquidée » au niveau de ses structures, la dernière église fermée et le dernier prêtre fusillé ou mort au goulag. La foi n’a pu se maintenir que clandestinement, dans quelques familles vivant dans la suspicion et la crainte d’être dénoncées par des voisins ou des proches.
Après la répression, la divine surprise de la perestroïka
Dans les années 60, quelques prêtres, notamment des jésuites lituaniens de passage, distribuaient les sacrements. Pour ne pas se faire prendre, ils restaient anonymes, n’étaient pas annoncés, se déguisaient parfois en femmes… Après plus d’une décennie de démarches, la petite communauté de Novosibirsk réussissait à se faire enregistrer légalement en 1981, ce qui permit d’acheter une maison et de la transformer en lieu de prière. Pourtant en 1984 encore, un prêtre d’origine ukrainienne, le Père Josef Swidnicki, payait de trois ans de camp son zèle missionnaire dans la région de Novosibirsk.
L’arrivée surprise de la perestroïka permit aux individus d’origine catholique – dont on estime en Sibérie le nombre entre 1 et 2 millions – Polonais, Allemands, Lituaniens, Ukrainiens, Lettons… – de se montrer peu à peu au grand jour. A mesure d’ailleurs que la structure de l’Eglise – construction de lieux de culte, mise en place de structures pastorales – se faisait plus visible et plus solide. Pour la plupart élevés dans l’athéisme le plus strict et profondément russifiés, ils ont souvent perdu toute notion de leur langue maternelle et de leur culture d’origine.
Les dures contraintes économiques poussent à l’émigration
Au début à Talmenka, témoigne Thomas Höhle, 37 ans, un prêtre venu d’Allemagne de l’Est il y a plus de 4 ans, les gens ne croyaient pas que cela allait durer: ils observaient la chapelle en construction, puis s’en approchaient; quand ils ont vu que la milice n’intervenait pas pour la faire détruire, ils ont pris confiance. Ils ont commencé à entrer pour poser des questions, découvrant qu’ils étaient eux aussi d’origine catholique. C’est ainsi que chaque jour de nouveaux arrivants demandent le baptême et leur adhésion à la paroisse catholique.
Le curé de Talmenka, à trois heures de route au sud de Novosibirsk, regrette cependant qu’une partie des piliers de sa paroisse – des déportés d’origine allemande – aient déjà émigré en Allemagne au cours de ces dernières années. Pas étonnant quand on sait qu’une grande partie des jeunes traîne dans les rues, sans travail et sans perspective d’avenir. Les retraités n’ont pas touché leur maigre rente depuis des mois, les instituteurs ne sont plus payés depuis avril dernier… Les quelque 300’000 roubles du salaire mensuel ? De toute façon largement insuffisants pour couvrir les besoins de base de la plus modeste des familles. « Je vis avec ces gens depuis plusieurs années, mais pour moi cela reste un mystère de savoir comment ils survivent. Grâce à leurs jardins, peut-être ? ». Une bonne moitié des membres de sa communauté sont déjà partis s’installer en Allemagne…
Des Russes se font baptiser
Il arrive aussi, plus rarement, que des personnes issues de familles autrefois orthodoxes, mais éduquées dans le plus pur athéisme, s’approchent de l’Eglise catholique. Elles déclarent y trouver davantage d’ »intelligentsia » que chez les orthodoxes, dont le clergé hâtivement reconstitué est souvent conservateur et insuffisamment formé. L’Eglise orthodoxe dénonce alors « urbi et orbi » le « prosélytisme catholique », notamment dans les médias. La partie catholique rétorque qu’elle ne fait qu’accepter des demandes de personnes auparavant sans religion: « leur choix individuel doit être respecté ». Dialogue de sourds à propos de la notion de liberté religieuse et des droits de la personne humaine.
Une structure ecclésiastique fragile
Aujourd’hui, grâce à la solidarité internationale, l’Eglise catholique en Sibérie compte 65 prêtres, 69 religieuses et de nombreux catéchistes et volontaires laïcs venus des quatre coins du monde, permettant des activités pastorales dans plus de 200 endroits. L’évêque ne dispose cependant que de 18 églises et d’une trentaine de locaux de prière. Pour desservir un territoire de 12,8 millions de km2. Le diocèse mesure en effet 10’000 km d’Est en Ouest et 3’500 kilomètres du Nord au Sud!
A près de 3’400 kilomètres à l’Est de Moscou, Novisibirsk compte quelque 2 millions d’habitants. Dans la métropole de Sibérie occidentale, une douzaine de prêtres catholiques, en majorité étrangers, desservent trois lieux de culte: la cathédrale de la Transfiguration, sur la rive droite du fleuve Ob, tenue par les jésuites (environ 300 participants à la messe dominicale), l’église de l’Immaculée conception, tenue par les franciscains, sur la rive gauche (près de 200); quelque 25 fidèles se réunissent autour d’un prêtre une fois par semaine dans un appartement du quartier des académiciens d’Akademgorodok, qui compte 100’000 habitants.
Le cactus uniate, à des milliers de kilomètres
A considérer ces chiffres plus que modestes, il est difficile de comprendre les réticences du Père Alexandre Remorov, l’un des proches collaborateurs de Mgr Sergij, qui nous reçoit au siège de l’éparchie orthodoxe de Novosibirsk et de Berdsk. Le fait qu’il soit un chaud partisan de la nouvelle législation religieuse s’explique notamment par la volonté de l’Eglise orthodoxe de faire pièce aux sectes qui pullulent dans la région et achètent les consciences avec de l’argent. Si son Eglise n’a rien contre les catholiques, explique-t-il, le peuple orthodoxe est remonté contre eux, en raison des tensions religieuses entre catholiques uniates et orthodoxes en Ukraine.
Ce pays a beau être situé à des milliers de kilomètres, l’Eglise orthodoxe est une. D’autant plus qu’une importante communauté orthodoxe ukrainienne vit à Novosibirsk. La parenté restée sur place lui parle des « persécutions » que leur font subir les catholiques de rite byzantin, lorsqu’ils récupèrent les églises gréco-catholiques attribuées autrefois aux orthodoxes par Staline.
Transmettre la seule foi orthodoxe, pour éviter le clivage de la nation russe
Quant à la proposition de foi chrétienne à offrir à une population athée à la recherche de repères spirituels et moraux, le Père Alexandre estime que le moyen « le plus éthique » est de lui transmettre la foi orthodoxe. Il est à ses yeux impératif de ne pas l’éduquer dans des modes de penséée étrangers au génie russe, mais bien plutôt dans la tradition orthodoxe millénaire. « On évitera ainsi de causer des clivages dans la nation russe et de diviser la société ! »
Cette vision restrictive, qui inspire la nouvelle législation religieuse, n’est pas sans conséquences: les prêtres, religieuses et laïcs étrangers au service des catholiques de Sibérie ne reçoivent plus désormais que des visas d’une durée de trois mois, pas toujours faciles à renouveler. La possibilité existe d’étouffer ainsi dans l’œuf tout développement, voire de détruire les structures ecclésiales existantes, de façon sournoise, par des moyens administratifs tout à fait ordinaires.
La mauvaise volonté des autorités de Novosibirsk pour mettre leur tampon sur l’invitation de Mgr Werth adressée à trois journalistes suisses romands – qui a longuement retardé l’obtention d’un visa – leur a fait toucher du doigt la réalité que vit aujourd’hui la minorité catholique. Visiblement, les autorités locales attendaient la tournure u débat sur la nouvelle loi religieuse, qui devrait tout de même être amendée suite au veto du président Eltsine. Un président, interpellé à ce propos par le pape Jean Paul II et attentif aux pressions américaines. Il s’est dit prêt à renvoyer la loi devant la Cour constitutionnelle si la Douma ne modifiait pas les passages qui violent la Constitution russe et les traités internationaux signés par la Russie. (apic/be)
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