Les évêques africains sont à la manœuvre pour avoir les JMJ

L’Afrique est le seul continent qui n’a pas encore accueilli les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). L’insécurité et la défaillance des infrastructures sont pointées du doigt. A quelques semaines du rassemblement de Lisbonne, les difficultés qu’ont les jeunes Africains à obtenir des visas pour le Portugal ravivent l’idée de JMJ africaines.

Max Savi Carmel pour cath.ch

Début juin à Lumubashi, République démocratique du Congo (RDC). Alors qu’il prend part au Congrès eucharistique national, Zéphyrin Ligopi ne pense qu’à une seule chose. «Avoir un maximum de visas pour Lisbonne 2023», avoue le secrétaire de la Commission épiscopale pour l’apostolat des laïcs. Le prêtre congolais a profité des rencontres épiscopales qui suivront l’événement pour évoquer le sujet avec les évêques du plus grand pays catholique d’Afrique, mais rien n’y a fait. «Je dois me contenter d’une quarantaine de visas», déplore celui qui, au départ, avait enregistré, avec enthousiasme, plus de 500 inscriptions.

«Une douche froide», concède cet optimiste impénitent qui espère que d’autres «qui ont déjà leur visa ou n’en ont pas besoin» viendraient gonfler la délégation congolaise. «Une centaine ne serait déjà pas mal», espère-il, alors que la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) évoque de plus en plus la perspective des JMJ sur le continent.

Des difficultés similaires d’un pays à l’autre

En Ethiopie, les Frère de St Jean du Prieuré d’Addis-Abeba portent dans la prière les 72 délégués qui représenteront ce pays en guerre aux JMJ de Lisbonne. Ces religieux qui ont en charge la pastorale des jeunes catholiques orientaux dans l’archidiocèse d’Addis-Abeba ne sont pas encore certains de disposer des visas pour toute la délégation. Une crainte que partageait encore début juin, à Lomé, Dominique Rosario Agbelenyo. Le coordinateur national de la pastorale des jeunes auprès de la Conférence épiscopale togolaise entame à peine les procédures de visas pour sa trentaine de participants et «prie pour que tous aient leur sésame».

A l’exception des Seychellois et Mauriciens, qui peuvent entrer dans certains pays de l’espace Schengen sans visa et donc au Portugal, la totalité des 51 autres pays africains nécessitent une autorisation pour se rendre à Lisbonne. D’ailleurs, le Maroc et la Tunisie ont, comme une dizaine de pays, renoncé à envoyer des délégations officielles au Portugal.

Mobilisés autour du Père François Saleh, les jeunes du diocèse de Tanger, s’organisent pour suivre les JMJ Lisbonne 2023 en direct depuis le Maroc | © Max Savi Carmel

Face aux problèmes de visas auxquelles s’ajoutent des contraintes financières, l’idée qu’un pays africain n’accueille à l’avenir les JMJ est plus présente que jamais chez les prélats du continent. A la CENCO, Mgr Donatien N’Sholé, l’influent secrétaire général, évoque de plus en plus le sujet avec les évêques. Et ce n’est pas le Père Dominique Rosario qui pensera le contraire. Il avait dû se résigner à se rendre seul à Panama en 2019, «faute d’argent et à cause des difficultés administratives» précise-t-il à cath.ch.

«Les JMJ africaines», bientôt?

Selon plusieurs sources à la Secrétairerie d’état, l’idée des JMJ en Afrique a été scrutée dès les années 1990 par Jean Paul II, l’initiateur de ce grand rendez-vous qui rassemble tous les deux ou trois ans les jeunes du monde entier autour du pape. Après l’édition de Manille en 1995, le cardinal Bernardin Gantin pensait déjà à une édition africaine et en parlait avec les dirigeants du continent qui défilaient dans son bureau à Rome. Pour le prélat béninois et ancien doyen du Sacré collège des cardinaux, «si les Philippines ont pu, l’Afrique en est capable».

D’ailleurs, l’annonce des choix du Panama (2019) et de Lisbonne (2023) avait déçu les évêques africains. Car, depuis 2011, le Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et Madagascar (SCEAM) avait exprimé à Stanislaw Rylko, alors secrétaire du Conseil pontifical pour les laïcs «la disponibilité de l’Eglise africaine à recevoir des JMJ». Le cardinal polonais, qui avait en charge l’organisation, s’était félicité de la «grande détermination de l’Afrique à accueillir de prochaines JMJ» et s’était mis à y travailler. Une décennie plus tard, les près de 300 millions de catholiques africains ont du mal à accepter l’argument du manque d’infrastructures.

«Nous avons organisé en Afrique du Sud la coupe du monde de football» constate Sr Anne-Marie Ekomo. La secrétaire de l’évêque d’Edea (Cameroun) estime que «rien n’empêche le continent d’accueillir les JMJ». L’inquiétude sécuritaire est vite balayée par le Père Ligopi pour qui «si l’Afrique se décide, elle en aura les moyens». Selon lui, «l’insécurité est un problème pour tous les pays» et l’Afrique ne fait pas exception.

«Kenya, Afrique du Sud, Nigeria, Ouganda, Tanzanie, Côte d’Ivoire, etc…»

Au niveau du SCEAM, l’idée a fait l’objet d’une mission confiée à une commission qui travaille depuis deux ou trois ans. Certains évêques proposent une «coorganisation par deux pays voisins» par exemple. «Une bonne solution», observe Alain Dossou-Yovo, correspondant de Radio Vatican au Bénin. Le Père Zéphyrin Ligopi est l’un des plus ardents partisans des «JMJ en Afrique».

Grande procession populaire à l’ouverture des rencontres épiscopales de Lubumbashi, début juin, au cours desquelles la question de la participation de la RDC aux JMJ a été longuement évoquée | © Max Savi Carmel

Selon le secrétaire de de la Commission épiscopale pour l’apostolat des laïcs, «Le Sénégal, l’Afrique du Sud ou encore le Nigeria sont des candidats sérieux». Il pense tout de même qu’il faille privilégier éventuellement les pays à forte communautés catholiques, «notamment la RDC, l’Ouganda ou la Tanzanie». Une option qui enchanterait bien François Saleh Moll. Jusqu’à fin juin, le prêtre en charge des JMJ à Tanger n’est pas certain de pouvoir assurer la retransmission en direct sur des écrans avec les jeunes catholiques du Maroc dont il assure la pastorale. Il veut «au moins pouvoir les connecter en direct pour suivre le pape».

Au-delà des infrastructures et de la volonté politique, l’Afrique devra compter également avec la distance qui la sépare de Rome. Car à 86 ans, et deux fois hospitalisé depuis le début de l’année, François est dissuadé par le service des voyages pontificaux «de prendre le risque des trop longs périples». Une recommandation qui retardera sans doute le rêve de tout un continent.

En attendant, pour Lisbonne, alors que l’Afrique, qui compte à elle-seule la moitié des nouveaux catholiques chaque année, s’attendait à envoyer entre 5’000 et 6’000 délégués officiels, elle se contentera tout au plus d’un petit millier. «Bien déçu», lâche l’abbé Zéphyrin Ligopi. (cath.ch/msc/bh)

Max Savi Carmel

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