APIC – Interview
L’abbé Jean-Marie Pasquier, responsable de la Formation permanente en Suisse romande
« Joie et espérance » pour l’Eglise de demain,
au delà des déceptions et des difficultés
Bernard Bavaud, de l’agence APIC
Neuchâtel, 20 juillet 1997 (APIC) L’abbé Jean-Marie Pasquier, ordonné prêtre au début du Concile Vatican II, vient d’être nommé par les évêques de Suisse romande responsable du Centre catholique romand de formation permanente (CCRFP) à Lausanne. Ce prêtre diocésain souhaite que l’Eglise de demain soit plus libre et plus prophétique. Il aborde sereinement et avec franchise les questions controversées qu’affronte l’Eglise catholique en cette fin de siècle (affaire Haas, sacerdoce des femmes). Il se souvient aussi de Vatican II en tant que témoin privilégié. Son témoignage rejoint ainsi spontanément les interrogations actuelles que se pose le catholique ordinaire.
APIC: « Gaudium et Spes », Joie et Espérance, un mot-clef de Vatican II. Peut-on encore, comme prêtre, vivre aujourd’hui cette joie conciliaire?
J.M.P: Bien sûr, même si ce n’est pas toujours évident, comme on dit. Pour être concret, je citerai seulement une de mes joies récentes et qui me paraît significative. Nous venons de vivre à Neuchâtel la clôture du parcours « Barnabé », avec près de 40 laïcs. Eux-mêmes ont témoigné de la joie qu’ils ont eue, durant 3 ans, à redécouvrir la Parole de Dieu et à vivre ensemble une expérience de « faire Eglise ». Et bien! « Leur joie est devenue aussi la nôtre, les animateurs. La joie du prêtre, c’est la joie du peuple de Dieu! »
APIC: Après Vatican II, des catholiques espéraient une sorte de prolongement concret de ce qu’ils avaient vécu. Pour beaucoup d’entre eux, aujourd’hui, c’est la déception…
J.M.P : Non seulement je comprends cette déception, mais à bien des égards, je la partage. J’ai eu le bonheur de vivre, à l’âge de 28 ans, comme jeune prêtre étudiant à Rome, la dernière semaine du Concile en décembre 1965. Dans l’enceinte même de la basilique Saint-Pierre, grâce à la complicité du cardinal Charles Journet et de son secrétaire, le futur Mgr Mamie. Lorsque j’ai vu l’accolade oecuménique entre Paul VI et le délégué du patriarche de Constantinople, avec la levée des anathèmes entre les deux Eglises et quand j’ai assisté ému, sur la place Saint-Pierre, à la clôture du Concile avec la remise du message au monde, vraiment, je me suis dit: « Cette fois, c’est bon!: notre Eglise est redevenue Peuple de Dieu!, une Eglise en marche, une Eglise en route vers l’unité des chrétiens. Grâce à une mise en oeuvre de la collégialité entre les évêques, mais aussi à une plus grande autonomie des Eglises locales ».
Quand on voit la réalité en 1997, comment ne pas s’interroger?. Non qu’il faille absolument chercher un bouc émissaire. On connaît le refrain: « C’est la faute à Rome, au pape, à la Curie romaine, à l’Opus Dei ». Plus profondément, je crois que notre Eglise catholique occidentale – on devrait plutôt dire « notre chrétienté occidentale » – malgré le Concile, n’a pas eu la force de se renouveler en profondeur face à la sécularisation progressive de la société. Il faut peut-être accepter de traverser un certain désert et de mourir à pas mal de choses qui marquent nos institutions et qui ne sont pas nécessairement essentielles à l’Evangile ou vitales pour l’Eglise. Accepter de devenir une Eglise plus pauvre et plus spirituelle, qui revienne à la simplicité évangélique.
Mais ne noyons pas le poisson. Je reconnais qu’il y a des responsabilités, un peu à tous les niveaux, à l’origine de cette grande déception. Jean XXIII, en convoquant le Concile, avait voulu « un nouveau printemps » pour l’Eglise. On pourrait dire, pour parler humainement, que l’Esprit-Saint, ce souffle puissant et rénovateur, a de nouveau été « canalisé ». Ou pour reprendre les mots du théologien réformé neuchâtelois Jean-Louis Leuba: « L’Evénement » a de nouveau cédé le pas à « l’Institution ».
APIC: Comment vivez-vous « l’affaire Haas »?
J:M.P : Je la vis mal, comme tout le monde. Elle est vraiment un scandale au niveau de l’Eglise locale de Coire. Mais aussi pour l’Eglise qui est en Suisse. Un spectacle navrant: un évêque coupé de la grande majorité de ses fidèles et de ses prêtres, mais aussi en tension avec ses frères évêques. « L’affaire Haas » est également un malheur au niveau de l’Eglise universelle et de ses dirigeants. Car tout se passe – c’est mon impression – comme si on préférait en haut lieu laisser se prolonger une situation scandaleuse et pourrie, plutôt que de reconnaître que l’on s’est trompé. Il ne fallait pas nommer Mgr Haas à Coire et comme les évêques suisses l’ont demandé, à peine à mots couverts, il faut qu’il parte. Quand je pense « à l’efficacité » avec laquelle on a traité « l’affaire Gaillot », il y a bel et bien deux poids et deux mesures à Rome. Et puis finalement ce qui m’afflige, dans cette affaire, comme dans d’autres, outre les dégâts parmi les prêtres et les laïcs du diocèse de Coire, c’est qu’au niveau de l’Eglise universelle, on ne joue pas le jeu de la collégialité. Je ressens cela comme un mépris de la coresponsabilité des évêques et particulièrement de la Conférence des évêques suisses.
APIC: Dans la revue « Choisir », il y a quelques années, vous vous disiez favorable dans le futur à l’ordination sacerdotale des femmes dans l’Eglise catholique. Après le veto du pape sur la question, souhaitez-vous toujours cette réforme?
J.M.P : La situation a certes changé depuis la déclaration de Jean Paul II. Ma position personnelle, à l’époque, s’appuyait très fortement sur celle d’un grand théologien, devenu par la suite cardinal, le Père Yves Congar. Après la déclaration romaine au temps de Paul VI sur le même sujet, le théologien dominicain affirmait sereinement que du point de vue dogmatique, c’est-à-dire en interrogeant à la fois la Bible et la Tradition, « rien ne s’opposait à la l’ordination presbytérale des femmes ». Cette opinion, ne peut pas s’exprimer avec la même liberté aujourd’hui. Je continue cependant de penser, avec nombre de théologiens tout à fait sérieux et fidèles à l’Eglise, et aussi des évêques – mais qui en parlent beaucoup plus prudemment ou qui n’osent plus en parler – que cette question continue de se poser. Il faut tenir compte du contexte socio-culturel d’aujourd’hui comme de l’avis et de la pratique de nos frères protestants et anglicans. On ne peut pas ne pas la poser et s’interdire d’y réfléchir ou d’en parler.
Question pas totalement fermée
Dans une interview accordée à l’APIC, Mgr Rauber, ancien nonce apostolique à Berne, citait l’avis de Mgr Christoph Schönborn, archevêque de Vienne. Ce dernier déclarait que la l’accession des femmes au sacerdoce catholique pourrait tout au plus être encore discutée au niveau d’un Concile », ce qui prouve au moins qu’elle n’est pas totalement fermée. Le débat n’est pas clos, car la déclaration du pape ne pouvait engager son infaillibilité. Il aurait fallu pour cela que l’ensemble de l’épiscopat catholique soit effectivement consulté, ce qui n’a pas été le cas.
Ceci dit, on peut en effet discuter de l’opportunité et du moment de faire maintenant une telle réforme si l’on pense au choc et aux blessures que l’ordination des femmes ont provoqués en Angleterre. C’est une invitation à la prudence. En tenant compte cette fois-ci de nos frères orthodoxes. Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’accession des femmes au sacerdoce relève de l’exercice des droits humains fondamentaux. Il n’y a pas de droit absolu, ni pour l’homme ni pour la femme, d’accéder au ministère. Dans la nature, dans la société, dans la culture, dans la famille, on admet qu’il y a des différences entre l’homme et la femme qui ne sont pas discriminatoires. Il y a peut-être une autre manière de servir et d’exercer une influence importante, un poids, voire une « autorité » dans l’Eglise que celle de présider l’Eucharistie. Cela n’empêche pas que des femmes, en raison d’autres compétences, ou d’autres responsabilités, soient enfin reconnues comme égales des hommes dans l’Eglise.
APIC: Quelle est votre réaction face à la critique frontale du cardinal Ratzinger au Conseil oecuménique des Eglises (COE) lui reprochant son appui aux mouvements de libération en Amérique latine ces dernières années?
J.M.P.: Avec beaucoup d’autres catholiques, elle me choque et elle me peine. Même si, comme l’ont reconnu des dirigeants du COE, cette grave critique n’a pas été faite sous forme de déclaration officielle. Il reste néanmoins très choquant qu’un haut responsable de l’Eglise catholique, comme l’est le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, puisse se permettre un jugement aussi sommaire, aussi globalisant et négatif sur le COE. Je comprends la réaction très vive des chrétiens latino-américains, des réformés et du COE, mais aussi des catholiques. Ainsi le prêtre chilien Pablo Richard qui a déclaré à l’hebdomadaire catholique anglais « The Tablet »: « Moi-même, si je suis vivant aujourd’hui, c’est grâce à la solidarité du COE qui a été à mes côtés dans des moments graves de persécution, d’emprisonnement et de menaces de mort à la suite du coup d’Etat au Chili en 1973. S’opposer à des ’régimes de mort’, ce n’était pas un crime, mais au contraire, ce fut notre meilleur témoignage et notre plus grande gloire. Nous sommes les héritiers de l’Eglise confessante en Allemagne au temps du fascisme européen ».
Je crois que c’est tout à l’honneur du COE d’avoir agi comme il l’a fait. Il a soutenu des personnes persécutées sans appuyer directement un mouvement de guérilla. Mais son appui se place dans un mouvement général d’opposition à un régime dictatorial et militaire. Que mettons-nous sous les mots de « libération » ou de « subversion »? Je pense aussi que des évêques catholiques comme dom Helder Camara ou Pedro Casaldaliga au Brésil, Proano en Equateur, et Romero au Salvador, ont agi comme le COE. En prenant le parti des pauvres et des opprimés dans un régime dictatorial. Si on veut parler de « subversion », il faudrait se souvenir aussi que l’Evangile lui-même a suscité un élan « subversif » comme le dit si bien Marie dans son Magnificat: « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles ».
APIC: On parle d’un nouveau synode diocésain. Quelle est votre attente à ce sujet?
J:M.P. : Il ne s’agit pas d’un Synode au sens canonique du terme comportant beaucoup de règles complexes qui gêneraient notre liberté de mouvement. Nous ne voulons pas d’une réédition ou d’un « remake » du Synode 1972, même si c’était une expérience très belle. Nous souhaitons une démarche diocésaine dont le dernier nom est « AD 2000 », ce qui signifie, à la fois assemblée diocésaine et « Anno Domini », « Année du Seigneur 2000 ». Une démarche diocésaine que l’on continue d’appeler de « type synodal » dans la mesure où elle consiste à se mettre en route ensemble. Et c’est vrai qu’avec l’an 2000 nous vivrons, sans en faire un mythe, ce que la Bible appelle un « Kairos », c’est-à-dire un moment favorable qui pourrait devenir aussi un moment de grâce et de salut pour notre Eglise locale. Il me paraît urgent, au moment où l’on reparle de rapprochement intercantonal, de retrouver une conscience diocésaine, au delà de tout particularisme cantonal.
APIC: Votre espérance pour l’Eglise catholique de demain…
J.M. P. : Je vois l’espérance comme surgissant d’un expérience renouvelée de l’Esprit-Saint. Nous avons besoin de renouveler notre foi en l’esprit de Pentecôte. Revivre ce que Jean XXIII a voulu susciter avec Vatican II. Ce que nous avons vécu à travers les Synodes, le revivre aujourd’hui. L’esprit de Pentecôte qui libère la parole. Une parole plus libre et plus prophétique. Notre Eglise actuelle manque de « prophéties » et de prophètes, aussi parmi les évêques. Au moins qu’on laisse parler ceux qui ont ce charisme. Car il s’agit non seulement de rappeler la loi et les exigences morales, mais encore de donner sens et espérance à partir des réalités concrètes que les hommes et les femmes de chez nous vivent (chômage, exclusions de toutes sortes). C’est un peu ce que j’attends de cette assemblée diocésaine « AD 2000 ». Un acte ecclésial qui fasse événement, qui ne renforce pas seulement l’unité visible de notre Eglise locale mais aussi la diversité des manières d’agir, des ministères (avec la question des ministères féminins, au moins sous la forme du diaconat), la diversité des charismes. Vivre vraiment l’œcuménisme en sachant que les expériences des autres Eglises chrétiennes peuvent enrichir notre Eglise.
En voyageant pour rencontrer les membres des Fraternités Jesus-Caritas qui s’inspirent de la spiritualité de Charles de Foucauld, je trouve comme un antidote à la morosité qui caractérise souvent la vie ecclésiale chez nous, à cause du vieillissement des communautés et l’absence de jeunes dans nos paroisses. Dans des pays comme les Philippines, en Afrique centrale ou en Haïti, j’ai rencontré des Eglises qui vivent pauvrement, mais qui sont pleines de vitalité. Oui, une vraie joie qui nous permet de rééquilibrer notre pessimisme occidental.
Mon espérance, c’est mieux découvrir et valoriser « les semences du Royaume », ce qui est petit, qui ne se voit pas et qui est pourtant porteur d’ouverture et de vie pour l’Eglise à venir. Quelle merveille si nous pouvions relire nos vies d’hommes et de prêtres à la lumière d’une théologie renouvelée de l’Esprit-Saint. En nous alimentant à l’écoute de la Parole, dans l’adoration, nous favoriserions alors l’enracinement de l’Eglise dans une vraie mystique. Une mystique incarnée dans un engagement apostolique et social dans le siècle qui nous attend. (apic/ba)
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