« Ma nation a besoin de ce message sur la justice »
Legnica – Gorzow Wielkopolski, 2 juin 1997 (APIC) Le pape Jean-Paul II a lancé lundi à Legnica un réquisitoire sans appel contre « l’exploitation » de l’homme par le travail dans le système libéral, avec ses conséquences sociales désastreuses. L’après-midi, à Gorzow Wielkopolski, il a exhorté les Polonais à un témoignage plus visible de leur foi, à l’image des premiers martyrs polonais dont il célébrait la mémoire.
Plus de 300’000 personnes (500’000 selon certaines sources) n’ont cessé d’interrompre le pape par des applaudissements quand il a prononcé son homélie, centrée sur la question sociale. A Legnica, méditant sur l’Eucharistie, il a expliqué très vite que le « partage du pain eucharistique » doit aboutir au « partage du pain quotidien », qu’être fidèle au Christ, c’est « porter au monde une nouvelle justice, celle du royaume de Dieu », que la foi « doit trouver son expression dans la vie sociale ». L’Eglise le répétera tant que subsiste « la plus petite injustice », sinon « elle ne serait pas fidèle à la mission de justice qui lui a été confiée par le Christ ».
L’Eglise doit parler, elle parlera
« Les temps changent, les circonstances évoluent, a observé Jean-Paul II, mais il reste toujours des gens qui ont besoin de la voix de l’Eglise et de celle du pape, afin que soit exprimées leurs angoisses, leurs douleurs et leurs misères. Ils ne peuvent être déçus. Ils doivent savoir que l’Eglise et le pape sont avec eux. » C’est pourquoi « le pape parlera – il ne peut pas ne pas parler – des problèmes sociaux » dans une Pologne qui « a besoin de ce message sur la justice ». En effet, « dans cette période de construction de l’Etat démocratique et de développement économique, toutes les carences sociales de notre pays apparaissent ».
Et le pape de citer les catégories les plus touchées: les familles nombreuses, les personnes âgées, les mères isolées, les orphelins « qui n’ont pas de quoi manger et se vêtir », les malades « qui ne peuvent être soignés faute de moyens », les sans abri « dont le nombre ne cesse de grandir ». Jean-Paul II a appelé l’Eglise, qui fait « déjà beaucoup » dans le domaine social, à redoubler d’effort, avant de s’adresser directement au gouvernement:
« C’est un devoir qui incombe spécialement à ceux qui exercent le pouvoir. Ceux qui sont en charge du bien commun doivent établir des lois et diriger l’économie pour que ces phénomènes douloureux de la vie sociale trouvent leur juste solution ».
L’exploitation des travailleurs
Le pape est entré ensuite dans une longue considération sur la détérioration des conditions de travail, là où il est encore assuré: « Combien se retrouvent face au drame du chômage suite à la réorganisation des entreprises et des structures agricoles ? Combien de personnes sont tombées, y compris des familles entières, dans une pauvreté extrême ? […] Le chômage est le signe du sous-développement social et économique des Etats ! »
Jean-Paul II a en outre dénoncé l’attitude de ceux qui considèrent le travailleur comme « un instrument de production », ce qui est « une forme d’exploitation »: « Aucun droit n’est garanti au travailleur, soumis à un telle précarité et à une telle peur de perdre son emploi qu’il se trouve pratiquement privé de toute liberté de décision. Cette exploitation se manifeste aussi dans des horaires de travail tels que le travailleur se trouve privé du droit au repos et de la disponibilité pour le bien spirituel de la famille. A cela s’ajoutent un salaire injuste, la négligence dans le domaine des assurances sociales et de l’assistance sanitaire. Quant aux femmes, les cas ne sont pas rares où toute dignité de la personne leur est niée ».
Après ce réquisitoire, le pape a répété que « l’homme ne peut être réduit à un instrument de production », que le travail est fait pour l’homme et non l’homme pour le travail ». Et il a appelé les chrétiens à « éclairer leur conscience face à toute espèce d’injustice et à toute forme d’exploitation évidente ou masquée ». Il s’est adressé surtout aux employeurs: « Ne vous laissez pas abuser par la vision d’un profit immédiat, sur le compte des autres. Préservez-vous de toute forme d’exploitation. Sinon, tout partage du Pain eucharistique deviendra pour vous une accusation. »
Aux salariés, il a demandé de faire leur travail « de façon responsable, honnête et précise ». Observant en conclusion que « tous les croyants sont responsables de la forme de la vie sociale », il les a appelés « à ne pas avoir peur d’assumer la responsabilité de la vie sociale dans notre patrie ».
Dans une Silésie déshéritée
Ce discours à la frontière du politique était attendu des Polonais. La presse de lundi rapporte ainsi les propos du président Kwasniewski, à propos de son entretien avec Jean-Paul II le jour de son arrivée: « Le pape s’est montré très intéressé par les questions sociales. Il a posé beaucoup de questions sur le chômage, la pauvreté et l’insertion des jeunes ». L’axe social du discours papal s’explique également par la proximité de Legnica avec la Silésie.
Productrice de charbon, cette région, l’une des plus riche de Pologne dans les années 60-70, en est aujourd’hui l’une des plus pauvres, avec un taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale, de l’ordre de 5 %. L’agriculture y fut aussi immédiatement collectivisée lors de son annexion à la Pologne après la guerre, et l’absence de propriétés et d’initiatives personnelles rendent aujourd’hui les salariés de ces structures agricoles collectives totalement sans défense.
L’exemple des martyrs
Lundi après-midi, le pape était à Gorzow Wielkopolski, à 200 km au nord de Legnica, lieu où les cinq premiers martyrs de Pologne – des ermites – trouvèrent la mort en 1003. Lors de la célébration de la parole, le pape a appelé ses compatriotes à témoigner de leur foi dans tous les milieux, familles, écoles, lieux de travail. « Il faut confesser Dieu par une participation intense à la vie de l’Eglise […], a-t-il déclaré, mais aussi en assumant sa responsabilité dans la vie publique. »
Il a demandé aux Polonais de mettre la prière au centre leur vie, à participer à la messe dominicale et à placer toutes leurs préoccupations dans une perspective de foi. « En regardant l’exemple de martyrs, a expliqué le pape, vous n’aurez pas peur de rendre témoignage. Vous n’aurez pas peur de la sainteté. Vous aurez le courage d’aspirer à la pleine mesure de l’humanité. […] L’homme a une peur naturelle non seulement de la souffrance et la mort, mais aussi des opinions différentes, spécialement celles qui sont diffusées par des moyens de communication tellement puissants qu’ils risquent de devenir des moyens de pression ».
Or, a-t-il conclu, « la dignité de la conscience » est « indestructible », elle est « plus importante que tous les profits extérieurs », a-t-il conclu. (apic/cip/imed/pr)
webmaster@kath.ch
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/pologne-jean-paul-ii-denonce-les-derives-du-liberalisme/