APIC Interview
« Je ne regrette rien car j’ai eu une vie remplie »
Jean-Claude Noyé pour l’agence APIC
Paris, 12 juin 1997 (APIC) Co-fondateur de « La Vie catholique illustrée », de « Télérama », créateur de « l’Actualité religieuse dans le monde », Georges Gourdin, aujourd’hui âgé de 98 ans, est une des personnalités les plus remuantes et les plus connues du catholicisme français. Editorialiste, écrivain, parfois pamphlétaire, homme politique, éditeur, Georges Hourdin a traversé le siècle. Pour le correspondant de l’APIC, il raconte quelques-unes des étapes de la vie de l’Eglise, avec une indignation toujours intacte mais un cœur apaisé.
APIC: Vous avez toujours eu une certaine liberté de ton par rapport à l’Eglise. A quoi vous êtes-vous heurté dans vos relations avec elle?
G.H : J’ai joué ma vie sur le christianisme. J’ai toujours essayé d’être chrétien et de vivre les Evangiles. La foi m’a eu, si j’ose dire. Pour répondre à votre question, le grand problème est que l’Eglise officielle s’est longtemps acharnée à maintenir une hiérarchie qui l’empêchait d’accepter la société moderne et démocratique, marquée par une culture scientifique et technique. Il y eu les moments précis de tension. Par exemple, après le lancement de « l’Actualité religieuse dans le monde », j’ai dû faire le voyage à Rome pour rassurer la hiérarchie catholique qui voyait d’un mauvais œil qu’on informe les catholiques du monde entier sans sa bénédiction.
APIC: Vous étiez militant déjà avant la deuxième guerre mondiale à l’époque du pape Pie XI. Quel souvenir en avez-vous ?
G.H.: Pie XI a soutenu à bout de bras nos idées. Il faut se souvenir que ce pape a condamné « l’Action française » de Charles Maurras, incarnation de la droite nationaliste et réactionnaire. Pie XI avait la même vision de foi que le Père Bernardot, un dominicain qui est à l’origine de notre groupe. C’est le fondateur, en 1919, de « La Vie spirituelle » puis de « La Vie intellectuelle », revue dont les positions étaient à l’encontre de « l’Action française ». En accord avec Pie XI, il voulait réconcilier la vie chrétienne et la vie civique.
APIC: Un des moments de tension a certainement été la condamnation des prêtres ouvriers en 1954 ?
G.H.: J’ai salué leur venue car ils représentaient une vraie amélioration, une adaptation de l’Eglise au siècle. Ils étaient en contact direct avec le côté dur de la civilisation moderne. Ces prêtres allaient en premières lignes. Dans cette expérience, il avait un essai de reconnaissance du changement de civilisation. Evidemment, mes amis et moi avons fort mal vécu leur condamnation en 1954. Nous avons essayé de les défendre. Le Père dominicain Chenu notamment a joué un rôle considérable. Ce spécialiste du Moyen-Age était capable de grandes colères. Je me souviens qu’il avait remis vertement en place l’émissaire venu spécialement de Rome . « Taisez-vous. Vous ne savez pas de quoi vous parlez! ».
APIC: Les dominicains ont joué un grand rôle dans votre vie!
G.H.: Et comment! Au fond si je suis resté dans l’Eglise, c’est grâce à eux, au Père Chenu en particulier. Il a été un admirable compagnon de lutte, y compris pour quantité de foyers ouvriers. Je pense à sa théologie du travail. Il est le premier à s’y être attelé. La vie dominicaine, c’est ma fatalité et mon amitié. J’ai toujours été ramenée à elle, y compris mes grandes indignations.
APIC: Par exemple?
G.H.: Que le Père Yves Congar ait été nommé cardinal à la veille de sa mort, en hâte, alors qu’on l’a longtemps empêché de travailler à l’œcuménisme! Les Pères Chenu et Congar ont fait honneur à l’Eglise pendant cette difficile période de son adaptation à la modernité.
APIC: Vatican II a été une étape décisive dans la vie de l’Eglise, dans son adaptation à la modernité.
G.H.: L’Eglise a elle aussi été marquée par le grand changement de l’aviation. Avant, venait aux conciles qui pouvait. Vatican II a pour la première fois été un concile de plein exercice. L’Eglise toute entière y était représentée. Je l’ai vécu intensément en suivant de près les travaux. Les conférences de presse étaient très importantes, elles permettaient à l’Eglise du monde entier de s’exprimer. Je me réjouis d’avoir vécu cette période qui a apporté une libération authentique avec des textes fondamentaux comme « Nostra aetate », la déclaration sur l’Eglise et les religions non chrétiennes.
APIC: Trente ans après, peut-on en mesurer l’impact ?
G.H.: Je n’ai jamais cessé de croire à la liberté religieuse, c’est pourquoi ce texte est à mes yeux d’une importance capitale. En reconnaissant que les religions de grande diffusion peuvent assurer le salut de leurs fidèles,- donc leur légitimité -, ce texte est à l’origine de la rencontre d’Assise et de tous les dialogues que l’on veut. Rappelons au passage que ce décret sur la liberté religieuse a été adopté avec difficulté, à quelques voix près.
APIC: Pour de nombreux observateurs, l’Eglise apparaît sur le déclin…
G:H.: On peut s’interroger sur le devenir de l’institution ecclésiale. Mais je n’ai jamais cru au déclin du religieux. Voyez l’essor du mouvement pentecôtiste, sorte de religion du XXIème siècle, comme l’explique le sociologue américain Harvey Cox dans son livre « Retour de Dieu ». Titre significatif car il avait publié dans les années 60 « La Cité séculière », dans lequel il évoquait au contraire la fin du religieux.
APIC: L’élection du pape polonais Jean-Paul II a marqué aussi une étape pour l’Eglise.
G.H.: Ce qui m’étonne, c’est que bien qu’il ait été en étroit contact avec les ouvriers et le monde laïc avant son ordination sacerdotale, à 26 ans, il soit à ce point partisan d’une théologie étroite, dominés par les problèmes relatifs à la transmission de la vie. Il a publié des textes innombrables, mais au fond, tous axés sur l’évangile de la vie. Comme si la chasteté était sa hantise et comme si la transmission de la vie était l’acte principal de la vie.
APIC: Cela nous ramène à la question controversée du célibat des prêtres
G.H.: Il n’y a pas que les prêtres catholiques qui ne soient pas mariés. L’ordination d’hommes mariés se fera inévitablement, étant donné la crise des vocations que connaît l’Eglise. Les apôtres eux-mêmes étaient mariés.
APIC: Toute votre vie a été marquée par l’amour de l’écrit, du livre…
G.H.: Il y a quelque 10’000 livres dans cette maison. Ils ont été pour moi, dès l’âge de sept ans, d’un réconfort permanent. J’en ai beaucoup lus et travaillés. Mais cela ne suffit pas à donner la science de Dieu, car ce serait trop facile. En ce moment, je lis « Voyage aux confins de la science ». C’est une lecture distrayante, car j’ai eu des ennuis de santé récemment.
APIC: Comment vivez-vous l’approche de la mort ?
G.H.: Je suis dans la main de Dieu. Je sais profondément que nous sommes appelés par un certain nom de toute éternité et que si, au moment de notre mort, nous ne répondons pas à l’appel, nous sommes du « mauvais » côté. Mais je pense aussi que nous serons tous jugés avec miséricorde. Voyez l’épître de Saint Jacques. Je ne regrette rien car j’ai eu une vie remplie. Sur le plan familial, j’ai sept enfants: Une tribu, une horde !
Professionnellement, je n’ai pas fait que des journaux. J’ai aussi écrit 40 livres et fait beaucoup de politique, comme membre de la commission exécutive du MRP, de 1945 à 1958. J’ai aussi été co-fondateur, puis président de « France, Terre d’Asile ». L’organisation de la cité concerne au premier chef les chrétiens. La majorité des catholiques votent à droite. C’est désespérant car je ne vois pas comment on peut être de ce bord et se réclamer de l’Evangile tout à la fois. (apic/jcn/aa)
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