« Nous écouterons votre message très attentivement car nous avons vraiment besoin de l’entendre », a lancé Vaclav Havel à l’aéroport de Prague en accueillant l’homme en blanc, voûté mais volontaire, qui entamait là sa troisième visite en ce pays, et la 76e de son pontificat. Dans l’avion, au moment de quitter Rome, Jean Paul II confiait aux journalistes qu’il se sentait « aussi bien qu’en France » quant à sa santé. Interrogé sur son sentiment vis-à-vis des évolutions en cours en Europe centrale, le pape a répondu : « Moi, déçu ! Je me sens plutôt content. Mais, sans illusion. Après tant d’années, on pouvait prévoir que la situation ne serait pas brillante ».
La République tchèque, presqu’un désert religieux
De fait, sur un plan religieux, la République tchèque ne brille pas. Le taux de pratique religieuse est passé de 7 a 5 % depuis la précédente visite de Jean-Paul II en 1995. L’Eglise connaît une division interne sur la stratégie à adopter à ce sujet. Elle est également en difficulté avec l’Etat tchèque, sur la question de la restitution des biens d’Eglise (autrefois confisqués par le pouvoir communiste) et, quant à la négociation d’un nouveau concordat.
Sur un plan politique, social et économique, la société tchèque se trouve dans une phase de désillusion après plusieurs années de croissance économique. La hausse des salaires a été stoppée. Une dévaluation de la monnaie pourrait avoir lieu. Après le miracle politique de 1989, le miracle économique ne se produit pas aussi bien que prévu. Autre frustration: l’entrée à part entière dans l’Europe, très désirée, se fait attendre.
Vaclav Havel rend hommage à saint Adalbert, mort il y a tout juste mille ans
Sans doute est-ce pour cette raison que le président Havel, dans son discours d’accueil, a immédiatement pointé sur saint Adalbert – dont le pape vient célébrer le millénaire de la mort à Prague. « Saint Adalbert, est souvent décrit, très justement à mes yeux, explique Vaclav Havel, comme le premier vrai Européen d’origine tchèque. Il rêvait d’une unité spirituelle pour notre continent. Il envisageait une Europe unie non par la force mais par l’acceptation des préceptes chrétiens. »
Commentant cette vision, le président Havel a poursuivi: « une telle communauté devait être fondée sur un renouveau spirituel et moral et sur la promptitude à embrasser des valeurs communes. C’est justement ce dont nous avons besoin aujourd’hui (…) ». Consacrant tout son discours à saint Adalbert, le président Havel a conclu: « L’héritage de saint Adalbert n’appartient pas à une foi ou à une opinion particulière mais à tous ceux qui sont soucieux de la dimension spirituelle de l’intégration européenne et qui ont conscience de leur responsabilité pour ce monde. La tradition de saint Adalbert ne divise pas les Tchèques, ni ne les oppose. Elle unit toutes les dénominations de notre peuple et sert de pont entre notre pays et nos voisins d’Europe centrale, comme avec les autres nations.(…) Ecoutons le message de saint Adalbert (…) l’Europe en a besoin. »
Hommage au cardinal Tomasek, ancien archevêque de Prague
Dans ce premier discours, Jean Paul II a rendu un hommage appuyé au cardinal Frantisek Tomasek, ancien archevêque de Prague, mort en 1992. « Il a espéré contre toute espérance », a souligné Jean-Paul II, en déclenchant dès 1987, une dizaine d’années de prières pour la préparation du millénaire de saint Adalbert. Une intuition « récompensée », estime le pape par « la canonisation d’Agnès de Bohème, par le processus de renforcement des principes démocratiques avant même la chute du mur de Berlin, par la restitution de la liberté à l’Eglise
après de longues années de persécution. (…) Il n’y a aucun doute, souligne le pape, l’histoire est dirigée par la main omnipotente de Dieu ».
La dimension œcuménique de ce voyage
Notant au passage que saint Adalbert était « le premier Tchèque d’importance vraiment européenne », le pape a parlé du « très important profil œcuménique » de ce voyage et de l’une de ses motivations profondes. « Je confie, a dit Jean-Paul II, que les motivations spirituelles de ma visite se trouvent aussi chez les personnes qui, pour des raisons diverses, se sentent éloignées de l’Eglise et de la religion en général. (…) J’ai toujours regardé avec un grand respect les sentiments intérieurs qui les animent. »
Indifférence religieuse et hédonisme condamnés
A la nonciature de Prague, où Jean Paul II recevait les quatorze évêques tchèques à dîner, le pape a énuméré « les défis » auxquels ils doivent faire face. Le premier d’entre eux, selon Jean Paul II, est « l’indifférence religieuse ». « Quarante années d’étouffement systématique de l’Eglise, d’élimination de ses pasteurs, évêques et prêtres, d’intimidations des personnes et des familles, pèsent gravement sur les générations actuelles. » Et le pape de citer « la moitié des couples divorcés, surtout en Bohème », « un des taux les plus élevés du monde » pour l’avortement, un fort phénomène de « dénatalité », « l’hédonisme », « la pornographie, la prostitution et la pédophilie ».
Encourageant les évêques à l’espérance, le pape les a invités à s’appuyer sur « la famille », « le terrain le plus adapté pour l’éclosion des vocations », sur la jeunesse, mais aussi sur le monde de la culture, car Prague a été un « phare de vie intellectuelle d’un rare prestige ». Il a également demandé aux évêques d’être proches des prêtres: « aimez vos prêtres, soyez proches d’eux. (…) Beaucoup ont souffert dans les prisons d’Etat (…) quant aux jeunes, ils peuvent être parfois tentés de se laisser aller à la routine, ou au découragement, à cause de la solitude ou de l’infiltration de certaines idées déjà largement diffusées en Occident. Soyez proches d’eux. »
Des relations Eglise-Etat toujours délicates
Concluant son discours sur le thème délicat des relations entre l’Eglise et l’Etat tchèque, le pape a proposé que soit mise en place une « commission mixte » Eglise-Etat pour régler la question de la restitution des biens de l’Eglise – 600 bâtiments sont en cause -, confisqués « arbitrairement » par le pouvoir communiste. « L’Eglise a le droit de vivre de façon autonome, a précisé Jean Paul II. Si elle demande ces biens, c’est parce qu’elle en a besoin pour répondre aux exigences inaliénables de sa mission. » Abordant enfin le thème de la négociation d’un nouveau Concordat entre l’Eglise et l’Etat, le pape a dit la disponibilité du Saint-Siège de jouer un rôle de médiateur pour parvenir à un accord « sur les droits et devoirs réciproques » (…) « huit ans après la chute du régime ». (apic/jmg/be)
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