Espagne: un rapport estime à 440'000 les victimes d’abus dans l’Eglise

Un rapport d’enquête indépendante publié le 28 octobre 2023 estime que 440’000 personnes ont été victimes d’abus sexuels dans un contexte ecclésial, en Espagne, depuis les années 1970. Des chiffres rejetés par le cardinal Juan Omella, président de la Conférence épiscopale espagnole (CEE).

L’enquête démographique a été menée sur 1000 personnes. Elle estime que 1,13 % de la population espagnole, soit plus de 440’000 personnes (extrapolés d’après la population de l’Espagne [38,9 millions en 2022]) ont subi des abus dans des environnements religieux. 0,6% des sondés, soit plus de 233’000 personnes, ont déclaré avoir été victimes d’un prêtre ou d’un religieux. L’enquête réalisée par l’institut de sondage espagnol GAD3 indique en outre que 11,7 % de la population espagnole a subi des abus sexuels dans l’enfance, le plus souvent dans le cadre familial.

Ces chiffres sont issus d’un rapport remis au Congrès des députés espagnols par le médiateur, portant le titre de ‘Défenseur du Peuple’, Angel Gabilondo, au terme des travaux de la commission indépendante créée en mars 2022. Il s’agissait de la première démarche dans ce pays pour évaluer le phénomène des abus sexuels dans l’Eglise catholique.

Une Eglise peu coopérante

L’Eglise en Espagne a été pendant des années réfractaires à une enquête approfondie. Bien qu’elle n’ait pas participé aux travaux de la commission, elle a tout de même accepté de lui remettre des informations issues des diocèses. L’institution a également lancé en février 2022 son propre audit externe, dont les premiers résultats doivent être connus en novembre.

Le rapport du médiateur a souligné la difficulté d’obtenir des chiffres concrets sur le fléau des abus et recommande une enquête de plus grande ampleur, remarque le quotidien espagnol El Pais. Une cellule d’écoute a mené des entretiens avec près de 500 victimes qui ont révélé « l’impact dévastateur des abus sur les individus ». « Des personnes se sont suicidées à cause de ces choses, des gens qui n’ont jamais pu refaire leur vie », a déclaré Angel Gabilondo.

L’étude s’est appuyée en partie sur les informations fournies par El Pais, qui a mené sa propre enquête sur le sujet. Mais le ‘Défenseur du Peuple’ a dénoncé une «collaboration inégale» au sein de l’Eglise. « Tous les évêques n’ont pas collaboré, certains nous ont même réprimandés », a-t-il assuré. L’Église n’aurait pas non plus fourni les noms et les détails pour chaque cas, ce qui a rendu impossible le recoupement des données avec d’autres sources afin d’obtenir une comptabilité unique et homogène.

Des chiffres mensongers?

Le médiateur a sévèrement critiqué l’Église pour sa gestion du problème. « Pendant de nombreuses années, la priorité a été de cacher les abus et les abuseurs, avec des comportements tels que le transfert des abuseurs dans d’autres paroisses ou écoles, voire dans d’autres pays », a déploré Angel Gabilondo. Il a évoqué des procédures canoniques, qui « ont montré d’importants déficits dans les droits des victimes, car jusqu’à présent elles ne font pas partie du processus, et leur voix n’a pas la place qu’elle mérite ».

Le cardinal Juan Omella, président de la CEE et archevêque de Barcelone, a estimé le 29 octobre sur ‘X’ que « les chiffres extrapolés par certains médias sont des mensonges et visent à tromper ». Cela ne préjuge pas du fait que «l’Église est à la fois sainte et toujours à purifier…», admet-il. «Tous les membres de l’Église, y compris ses ministres, doivent se reconnaître pécheurs (…) Nous ne nous lasserons jamais de demander pardon aux victimes et de travailler à leur guérison », écrit-il.

Réactions diverses dans l’Eglise

La perplexité du cardinal Omella ne représente cependant pas la réaction de l’Eglise espagnole dans son ensemble. La situation illustre «la fracture interne entre un secteur qui souhaite tirer les leçons du scandale et un autre qui cherche à le nier», note El Pais. Dans un communiqué, la Confédération espagnole des religieux, qui regroupe les principales congrégations du pays, affirme apprécier le travail du médiateur et s’engage à en examiner les propositions. Le diocèse de Vitoria, au nord du pays, a présenté ses excuses aux victimes d’abus sexuels et a soutenu que « l’essentiel est de les accompagner et de travailler pour la justice ».

La CEE a convoqué une assemblée plénière extraordinaire pour le 30 octobre. La session discutera également du retard de l’audit commandé par les évêques début 2022 au cabinet Cremades & Calvo-Sotelo pour enquêter sur les abus. Il était en effet prévu que les résultats de l’audit soient publiés avant ceux de ‘l’enquête Gabilondo’, ce qui n’a pas été réalisé. (cath.ch/elpais/ag/arch/rz)

Raphaël Zbinden

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