Chanoine Alexandre Ineichen – Basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice
Lorsque je lis ce passage des Évangiles, je suis toujours un peu déconcerté, confus, voire embarrassé. D’une part, comme prêtre, on me désigne le plus souvent par le titre de père, moins souvent par celui de frère, mais on ne manque pas, dans les deux cas d’y ajouter une fonction, même honorifique, comme on le faisait à l’époque glorieuse des Soviets : on s’appelait alors tous « camarade », mais rapidement certains devinrent camarade-chef, camarade-général, et même camarade-président. D’autre part, comme enseignant, je devrais sur la matière à transmettre en savoir normalement un peu plus long que les élèves, puis du haut de ma science non seulement en imposer, mais surtout me sentir bien supérieur aux ignorants qui m’écoutent. Aussi Jésus ne se trompe pas lorsqu’il dit : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. (…) Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. »
Les faits récents révélés par les médias montrent combien certains pères abuseurs, manipulateurs, indignes, comme certains maîtres, ont agi en toute impunité dans la famille, la société, l’Église. Les victimes, de près ou de loin, ont donc raison de nous interpeller et peuvent légitiment en appeler à l’Évangile, et en particulier au passage que nous venons d’entendre. Suis-je trop sévère ? L’Évangile n’est-il qu’un prétexte ? Mais écoutez à nouveau le prophète Malachie, peu connu d’ailleurs. Rien de bien nouveau.
Dieu utilise nos réalités humaines pour nous dévoiler, nous manifester les réalités divines
« Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement. (…) Vous vous êtes écartés de la route, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude. »
Pourtant, Jésus, lorsqu’il nous a appris à prier, ne nous donne que le Notre Père afin que nous évitions de rabâcher des prières sans y mettre notre cœur. Pourtant, Jésus, tout au long de l’Évangile, est bien un maître qui enseigne à ses disciples et aux foules. Il y a quelques jours, à la Toussaint, assis sur une montagne, le Christ, « ouvrant la bouche, (…) les enseignait : Heureux êtes-vous. » Par ailleurs, naturellement, nous avons un père et avons ou avons eu des maîtres. Pour devenir ce que nous sommes, il est impossible de passer par un autre chemin. Notre Seigneur et notre Dieu le sait bien, c’est pourquoi il utilise nos réalités humaines pour nous dévoiler, nous manifester les réalités divines. Avec des exemples terrestres, il nous ouvre ainsi aux évidences célestes. D’ailleurs, il ne reproche pas aux scribes et aux pharisiens leur titre, mais qu’ils se les attribuent pour être remarqués des gens en élargissant leurs habits, en aimant être aux premières places dans les banquets et recevoir des gens le titre de Rabbi. Ce que Jésus leur reproche c’est de prendre la comparaison, leur titre pour la réalité. Ils se croient, non pas des images du père ou du maître, mais le Père par excellence, le maître de tout. Voilà leur folie, voilà leur orgueil. Il s’élève tout seul, sans le Christ, sans Dieu, mieux à la place de Dieu. Il ne reste alors plus qu’une issue : être des pères, des maîtres, abuseurs, manipulateurs et indignes.
L’Evangile nous rappelle à quelle humilité nous sommes appelés
Bien sûr, nous sommes tous concernés à des degrés très divers, mais l’Évangile de ce dimanche veut nous rappeler à quelle humilité nous sommes appelés, avec quelle modestie nous devons professer nos savoirs, avec quel respect nous devons avoir envers ceux qui nous sont confiés. Il y aura toujours des pères, des maîtres. Il y aura toujours des banquets avec des premières places. Il y aura toujours des titres et des responsabilités qui vont avec. Mais Jésus le rappelle, à temps et à contretemps : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » Être chrétien, c’est simple. Il suffit d’adhérer à ce beau programme qui seul peut nous faire grandir vraiment et avec authenticité.
Le seul véritable maître, c’est le Maître intérieur
En conclusion, laissez-moi vous partager un petit fait liturgique. Pour la fête de saint Augustin, la liturgie propose comme un des Évangile de la fête le passage que nous venons de lire. Ainsi notre père, fondateur de notre ordre religieux et de bien des ordres de l’Église latine, le maître de l’Occident fut celui qui toujours rappel que les réalités d’ici-bas, nos pères, ne sont qu’une image du Dieu très-haut, que le seul véritable maître, c’est le maître intérieur. D’ailleurs, plus nous approchons de l’image, plus celle-ci est dissemblable de la réalité. Dieu est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. En d’autres termes, acceptons les titres et les responsabilités qui vont avec, asseyons-nous aux premières places dans les banquets officiels, recevons des salutations particulières, mais n’y mettions jamais notre cœur et tout ce que nous disons, faisons-le et observons-le. Cela n’est que l’image, qu’une participation à quelque chose qui nous dépasse, à un Dieu qui est amour.
31e Dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Malachie 1, 14 – 2, 10 ; Psaume 130 ; 1 Thessaloniciens 2, 7-13 ; Matthieu 23, 1-12