Homélie du 19 novembre 2023 ( Mt 25, 14-30)

Abbé Boniface Bucyana – Eglise Saint-Joseph, Lausanne

Heureux qui craint le Seigneur

Heureux qui craint le Seigneur et marche selon ses voies. Le psaume 127 nous invite à trouver le bonheur dans la crainte. Il y a crainte et crainte. Il ne s’agit pas de la crainte qu’on confond souvent avec la peur. Bien au contraire ! Il s’agit de la crainte du Seigneur qui se décline avec le respect, l’adoration, la reconnaissance, la fidélité. Les plus anciens parmi nous se rappellent que par le passé, l’église a cultivé plutôt la peur d’un Dieu terrifiant, qui semble guetter nos faux pas pour nous punir avec violence !

Au lieu du Père miséricordieux, on le présentait comme le Père fouettard ! Cette stratégie a été relayé par les moyens de communication :  les média nous rapportent les travers, les violences, les accidents, les guerres, les calamités, les films d’horreur, etc. Et nous devenons des complices de la peur qu’on nous injecte pour la répandre à notre tour. Certaines politiques surfent souvent sur nos peurs et nous sommes transformés en des victimes consentantes ! Au lieu de suivre les voies de Dieu, qui conduisent à lui et à nos semblables, les voies de l’ordre, de la justice, de la vérité, nous nous engouffrons dans des voies sans issue, des voies de la peur de l’autre, du rejet du divin, du refus de la vérité. Les voies de Dieu sont dégagées de tout obstacle, mais les voies des hommes sont plutôt pavées de fossés de mensonge, de division, de méfiance, de monticules de haine, d’orgueil, de mépris, de racisme, etc. Comment craindre, adorer le Seigneur, le vénérer, et en même détourner les yeux des mains qui nous sont tendues, barricader les chemins qui mènent à lui, ou l’interdire de venir jusqu’à nous ?

Le Christ est le chemin qui libère de la peur

N’est-ce pas le Christ qui nous dit de lui-même : je suis le chemin, la vérité, la vie. Suivre ce chemin libère de la peur de se tromper ou de se fourvoyer. Suivre ce chemin c’est aller vers Dieu et vers l’homme. Emprunter ce chemin c’est faire confiance à Dieu avec une foi indéfectible et marcher avec bonheur sur les voies des béatitudes ! Cette foi est la source de toute confiance, la confiance en un Dieu devenu proche de nous, la confiance en soi-même, la confiance en sa femme comme épouse capable de perfection grâce à l’amour, la confiance en ses enfants en les accueillant et les respectant comme des enfants de Dieu qui nous sont prêtés au lieu de les abuser et les trahir.

Rester vigilant dans l’espérance

Une telle foi permet de rester vigilant, non pas dans la peur, mais dans l’espérance qui ne déçoit jamais, qui permet de vivre le présent avec sérénité et d’envisager les lendemains sans angoisse. Saint Paul nous avertit pour que le jour du Seigneur ne nous surprenne pas comme un voleur. Pour cela nous devons sortir de notre indolence, notre torpeur, notre insouciance, de notre amnésie spirituelle. Nous sommes des enfants de lumière. Alors, pourquoi opter pour les ténèbres du dedans et du dehors ! Nous devons veiller le jour et la nuit, avec persévérance et espérance, et ne pas baisser la garde au moindre couac ! 

Veiller dans l’espérance et avec espérance permet de ne pas succomber aux multiples sirènes qui voient dans le jour du Seigneur la fin du monde, au lieu de l’attendre comme un rendez-vous heureux avec un ami de toujours. Ceux qui cèdent à la peur y voient une catastrophe. Au lieu de passer de la peur provoquée à la panique généralisée, c’est le moment où jamais de redoubler de confiance et de vigilance dans la paix et dans la vérité, les yeux ouverts sur la réalité de notre monde, sur ses attentes essentielles et existentielles.

Nous avons tous un talent précieux : la vie qui est un don

La vigilance requiert une fidélité soutenue. Elle permet aussi de découvrir les talents dont le Créateur nous a dotés et qui restent inexploités à cause de notre paresse, notre indifférence. La recherche de ces talents s’accompagne de celle des voies et moyens de les faire fructifier et les mettre au service de nos frères et sœurs pour la gloire de notre Père et le bonheur de tous ses enfants. Dans tous les cas, nous avons tous, au moins, un talent ô combien précieux : c’est la vie. C’est un don, et non un dû. Elle nous est confiée et nous n’avons pas le droit de l’accaparer et d’en faire ce que bon nous semble. Le Maître de la vie est en droit de demander des comptes de notre vie et celle de nos semblables, et pourquoi pas de toutes ses créatures dont nous faisons partie. Quand il s’agit de nos intérêts, on déploie tout un arsenal, mais pour les intérêts de Dieu que sont le salut et le bonheur de tous, nous démissionnons avant de nous engager, ou notre engagement est conditionné et à durée déterminée.

Brandir ma vie, qui n’est pas ma propriété, en piétinant celle des autres, en saccageant la création, c’est créer la peur. Violer l’innocence des enfants, les traumatiser avec toutes sortes d’horreurs, écraser les faibles, c’est faire injure au Seigneur, c’est renoncer à la crainte du Seigneur et le chasser de nos cœurs et de nos vies. C’est comme le faire fuir de nos horizons, de nos projets, de nos relations vitales au-delà de nos différences. C’est lui casser les oreilles avec le fracas de nos armes, c’est le glacer en faisant couler le sang des innocents, dans nos guerres sans merci ni répit !

Craindre le Seigneur, c’est lui reconnaître le droit de nous aimer et d’être présent dans nos vies, de nous offrir le vrai bonheur déjà sur terre au lieu de nous bercer de ciels artificiels, d’illusions distrayantes.

En définitive, au moment où nous terminons l’année liturgique de la célébration, de la louange, de la vénération, nous n’avons pas à avoir peur, avoir peur de nous engager, avoir peur de Dieu, ayons plutôt peur de trahir son amour.  N’ayons pas peur de lui demander pardon, lui qui ne nous confond jamais avec notre péché. Il est toujours prompt à nous en délivrer tout en respectant notre liberté d’accueillir ou non sa miséricorde infinie.  

33e dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Proverbes 31, 10-31 ; Psaume 127 ;  1 Thessaloniciens 5, 1-6 ; Matthieu 25, 14-30

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