Aux États-Unis, à la rencontre des derniers quakers

Aux États-Unis, le nombre de quakers (ou membres de la Société des Amis) avoisinerait  les 76’000. Originaire d’Angleterre et issu du christianisme, le mouvement rejette toute structure hiérarchique dans la religion, prône un égalitarisme strict, un pacifisme total et un monde durable. Malgré leurs thèmes, très actuels, ils périclitent aux États-Unis. À quoi ressemblent leurs rencontres et comment envisagent-ils leur avenir?

Reportage Alexis Gacon, aux États-Unis, pour cath.ch

Ce dimanche matin, la ville de Burlington, la plus peuplée du Vermont malgré ses 44’000 âmes, ne déroge pas de ses habitudes, tranquilles, paisibles. Les rives du lac Champlain, bondées en été, sont désertées par les joggeurs, sans doute rafraîchis par les premières gelées.

Mais une rue bordée d’érables brise le calme ambiant: à quelques encablures du front de lac, dans l’intérieur des terres, North Prospect Street n’a pas une place de libre. Un pick-up rouge tente de se garer, sans succès, tandis qu’une citadine essaie de trouver un interstice devant le numéro 173 de la rue. Hazel et sa mère parviennent à se faufiler à l’intérieur.

L’église quaker accueille les amis tous les dimanches matin | © Alexis Gacon

À ce numéro se trouve une église quaker. À l’intérieur, le hall embaume la pâtisserie et le café. Au bout du couloir, une petite salle de réunion, spartiate. Chaque dimanche s’y tient une rencontre entre les Amis, le nom que se donnent les membres du mouvement. Elle vient de commencer.

Une consigne rappelle d’éteindre son téléphone, sauf «si l’on est certain que Dieu utilise un portable». Une blague, certes, mais qui rappelle un des principes des quakers. Dans ce mouvement, issu du christianisme, il n’y a pas de clergé. La parole de Dieu n’est pas portée par des prêtres. Les quakers croient que la lumière divine est en chaque humain et que Dieu se révèle à travers les autres.

Les quakers tentent de suivre des valeurs cardinales au mouvement, appelées des «testimonies». Tout d’abord, la simplicité: ils vivent de peu, ne montrent pas leurs richesses et profitent de ce que leur offre la nature. Par exemple, le Friends Journal rejette l’idée d’offrir des jouets ou du matériel électronique en cadeau. Ensuite, la vérité, en la cherchant dans le silence. Puis l’égalité: dès la naissance du mouvement, ils prônaient que l’homme et la femme étaient égaux. Enfin, la paix, dans l’entraide.

Des groupes choisissent d’ajouter d’autres valeurs, formant l’acronyme SPICES (simplicité, paix, intégrité, esprit de communauté, égalité, et bonne gestion, stewardship, en anglais.)

Une consigne rappelle d’éteindre son téléphone, sauf «si l’on est certain que Dieu utilise un portable» | © Alexis Gacon

Des précurseurs des luttes sociales

Le mouvement quaker est né au 17e siècle, en dissidence chrétienne à l’Église d’Angleterre. C’est George Fox (1624-1691), fils d’un tisserand du Leicestershire qui en est à l’origine. Il rejetait la structure ecclésiastique de l’époque et était en quête d’une expérience «intérieure» de la religion. Pendant un procès, il aurait pressé le juge de trembler («to quake», en anglais) devant la Parole du Seigneur, ce qui aurait donné son nom au mouvement.

Persécutés en Angleterre, des dizaines de milliers de Quakers ont fui pour les colonies. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, leur sort n’est pas plus rose. Dans le puritain Massachusetts, aucun d’entre eux n’était toléré. Cinq quakers, connus comme les martyrs de Boston, furent notamment exécutés au milieu du 17e siècle. Les adeptes du mouvement trouvèrent refuge en Pennsylvanie, fondée par l’un des plus importants promoteurs du quakerisme, William Penn. Ils en prirent, un temps, le contrôle politique.

Au cours de l’histoire, ils se sont engagés dans plusieurs luttes sociales d’envergure. L’abolition de l’esclavage aux États-Unis est la plus marquante. Un quaker abolitionniste, John Woolman, organisait le boycott de produits fabriqués par des esclaves et avait contribué à convaincre des villes de dénoncer l’esclavage. La Pennsylvanie fut le premier état américain à passer l’Abolition act, qui interdit l’esclavage, en 1780.

Un éventail de croyances

Une vingtaine de Quakers – beaucoup de cheveux blancs, mais aussi quelques étudiants – sont donc réunis en cercle, en silence, au 173, North Prospect Street.

Dans son article Écouter le silence quaker (consacré à des quakers anglais), l’ethnographe Josiane Massard-Vincent s’interroge sur ce mode de rassemblement religieux: «L’assemblée quaker trouve-t-elle (…) sa singularité dans le seul silence? Élaborée et vécue à la fois subjectivement et en groupe, c’est une expérience sensible et sociale.» Si un des Amis se sent inspiré, il peut parler, mais ce n’est pas obligatoire.

Le silence n’est brisé qu’au bout de longues minutes, lorsqu’un «spoken ministry» (ministère parlé) prend la parole, une dame, dans la soixantaine. «J’ai combattu toute ma vie pour être une fermière. Les gens disaient: «pourquoi tu veux faire ça? Tu es une fille!» Faire partie des quakers m’aide à être ce que je suis. Quand tu ne fais pas ce qu’ils veulent, les gens te critiquent.»

Tous se rendent ensuite dans le hall de la bâtisse en bois pour échanger. Au centre: Abby | © Alexis Gacon

D’autres prennent la parole, brièvement, pour annoncer des événements à venir dans leur ville. Un homme dénommé McCandless raconte son «corps, en train de partir», mais se réjouit de voir des jeunes quakers à la rencontre «prêts à résoudre des conflits». Ces mots reviennent souvent. En 1947, les quakers reçurent le prix Nobel de la paix, en raison de la mise sur pied, pendant la Seconde guerre mondiale, du Secours quaker international. Le rassemblement prend fin, chacun serrant la main de son voisin.

Tous se rendent ensuite dans le hall de la bâtisse en bois pour échanger. En discutant avec plusieurs, tous ont leur conception bien à eux du mouvement. La plupart se considèrent uniquement comme des quakers, mais les études montrent que certains combinent les croyances. Plusieurs ont fui d’autres mouvements, explique Louis Cox, historien du mouvement.

C’est le cas de Sheryl, parmi les plus âgées de l’assistance. Pour elle, les quakers ont été un oasis de paix en quittant son église précédente: la Southern Baptist Convention, puissance évangélique aux États-Unis. «On n’avait pas le droit au cinéma, par exemple. Je ne supportais plus ça. Et aussi, le fait d’être directement connectée à Dieu, c’est important pour moi. En tant que quaker, je suis guidée par Dieu, et non par un prêtre.» Ce qu’elle aime aussi, c’est ce sentiment d’appartenir à un mouvement où chacun est très impliqué localement. «Beaucoup mettent sur pied des actions pacifistes», dit-elle, enthousiaste.

Abby Matchette, qui coordonne les rencontres du dimanche, est quaker car son père l’était. Mais elle a eu besoin de découvrir d’autres courants religieux, comme le bouddhisme, avant d’y revenir. «J’aime la volonté des Amis de s’écouter pour s’entendre, malgré nos différentes visions du monde.»

Après la rencontre, une intervenante, qui a travaillé en Israël, vient discuter de la manière d’arriver à un processus de paix avec la Palestine. Une quaker lui parle de l’importance de «l’écoute profonde», une écoute qui n’attend pas juste que l’autre ait fini pour réagir, mais qui cherche vraiment à comprendre les deux parties. «C’est intéressant, ça va prendre du temps», réagit l’intervenante.

Quel avenir pour les quakers?

Qu’est-ce qui unit les quakers, après tous ces siècles? L’immense cheesecake à la confiture, partagé en fin de rencontre, qui ferait de l’ombre (beurrée) aux Saint-Nicolas romand, met visiblement tout le monde d’accord. Mais quoi d’autre?

Ce que Sheryl (à g.) aime aussi, c’est ce sentiment d’appartenir à un mouvement où chacun est très impliqué localement | © Alexis Gacon

Josiane Massard-Vincent s’interroge, dans son article, sur «la quasi impossibilité de définir la croyance quaker tant est extrême l’hétérogénéité des convictions (…) parmi les Amis, par-delà le principe quasiment acquis d’une «présence divine» en chaque être vivant». Puis elle ajoute: «le sens du culte tient à la présence des Amis dans le monde, présence faite de positionnements publics et d’action sociale (…).»

Est-ce que ce mélange est suffisant pour plaire aux masses? Les Quakers étaient plus de 120’000 à la fin des années 1960 aux États-Unis, et ne sont plus que 75’000 désormais. La question de leur survie à long terme en Amérique du Nord se pose. «Il y a des forces profondes en Amérique qui deviennent dominantes, les gens sont intéressés dans l’argent, la compétition. Et les Quakers, par nature, ne sont pas motivés par cela. On est en dehors du capitalisme. On prend peu de place, on est silencieux, on ne parle pas de nous dans les médias. L’époque nous marginalise»,songe  Sheryl.

Pourtant, «les thèmes que les Quakers développent sont actuels», clame Louis Cox. «Ce n’est pas un mouvement du passé. Toutes les questions qui se posent sur la paix, la planète, se posent en ce moment. Mais la société est individualiste et c’est dur de ramener du commun.» (cath.ch/alg)

Rédaction

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