Un penseur et un théologien lucide face aux totalitarismes

Fribourg: Deux gros volumes perpétuent la pensée du cardinal Journet

Fribourg, 9 décembre 1998 (APIC) Même si le cardinal Journet ne figure plus aujourd’hui parmi les théologiens à la mode, son œuvre est un apport majeur à la pensée catholique du XXe siècle, notamment dans son affrontement avec les totalitarismes fasciste et nazi. Un double projet éditorial vient à point nommé pour mettre ou remettre en lumière la figure du prêtre genevois décédé en 1975. Ami du philosophe Jacques Maritain et du pape Paul VI, le cardinal Journet a eu une influence certaine sur les travaux du Concile Vatican II.

Les éditions saint Augustin, à St-Maurice, et la Fondation Cardinal Journet, à Fribourg, ont lancé un projet d’envergure avec l’édition des oeuvres complètes du cardinal. Quant au Centre d’Etudes Jacques et Raïssa Maritain, à Kolbsheim, en Alsace, il a offert son concours pour la parution de la correspondance de l’abbé Journet avec le philosophe Jacques Maritain.

Charles Journet fut sa vie durant ce que l’on appelerait aujourd’hui un théologien engagé, n’hésitant jamais à exprimer sa pensée non seulement dans le domaine théologique, mais aussi social et politique. .

Les historiens s’intéresseront surtout à la parution du 3e volume de la correspondance Journet-Maritain qui présente 301 lettres échangées entre les deux hommes entre 1940 et 1949. Avec une clairvoyance que peu d’hommes d’Eglise ont eue à l’époque Journet et Maritain ont saisi dès les années 30 la perversité fondamentale du nationalisme, du fascisme et de l’antisémitisme. Ils dénonceront successivement l’Action française, les dictatures de Mussolini, de Salazar, de Franco, de Pétain et bien sûr d’Hitler. Ils refuseront toute idée de collaboration avec le fascisme, dont le danger est tout aussi grave que celui du communisme athée. Alors que dans de larges milieux catholiques le fascisme est volontiers considérer comme un rempart contre le bolchévisme.

Menacé par la police fédérale, censuré par son évêque

Ce qui vaudra aux deux hommes de sérieux ennuis. Maritain vivra plusieurs années d’exil aux Etats-Unis, tandis que Journet sera dans le collimateur de la police fédérale et entrera en conflit de son évêque Mgr Marius Besson. La police fédérale avait d’ailleurs ordonné l’arrestation du prêtre qui n’a dû sa liberté qu’au refus de la police fribourgeoise d’exécuter cet ordre, confirme Mgr Pierre Mamie, ancien évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, et président de la Fondation Journet.

En annexe du volumineux ouvrage, Mgr Mamie publie d’ailleurs l’intégralité des échanges de lettres entre le professeur de séminaire et son évêque. Il s’agit d’un conflit entre la vertu de prudence et celle de courage. Mgr Besson illustre parfaitement la neutralité helvétique de cette époque. L’abbé Journet défend la résistance intellectuelle qui inspira « Témoignage Chrétien » à Lyon et les Cahiers du Rhône, explique-t-il. Mgr Besson, suivant en cela la censure helvétique interdira formellement à son prêtre de faire paraître des textes susceptibles de choquer l’Allemagne hitlérienne. La commission Bergier chargé d’étudier l’attitude de la Suisse durant la deuxième guerre mondiale ne s’y est pas encore intéressée, mais elle devrait le faire, estime Mgr Mamie

Publication des œuvres complètes

Le deuxième projet éditorial concerne l’édition des œuvres complètes du cardinal. Les éditeurs ont choisi de rééditer en premier « L’Eglise du verbe incarné », l’ouvrage central de l’abbé Journet, depuis longtemps épuisé, avec en supplément un volume de textes inédits sur ces questions. Par cette aventure éditoriale, lourde financièrement et techniquement, les Editions Saint Augustin veulent apporter leur contribution à la préservation du patrimoine spirituel du XXe siècle, souligne le directeur Marc Larivé. Il s’agit d’un travail de mémoire et de réappropriation des courants intellectuels qui ont permis l’éclosion de Vatican II. Journet a parfaitement sa place parmi les De Lubac, Congar, ou von Balthasar. 26 livres ont été publiés du vivant du cardinal, accompagnés d’une vingtaine de brochures et de quelques 300 articles.

Ce travail d’édition de longue haleine vise un public assez restreint constitué par les spécialistes et les bibliothèques, reconnaît Marc Larivé. Et de reprendre l’interrogation du cardinal Garrone : « A-t-on une idée suffisante de l’ampleur de ses intérêts théologiques, philosophiques, littéraires, artistiques, sociologiques, de la qualité de ces ouvrages ? Le cardinal Journet est d’une clarté parfaite. » L’abbé Journet ne s’est jamais préoccupé de sa propre publicité, n’encaissant même jamais de droits d’auteurs sur ses ouvrages.

Enfin la revue « Nova et vetera » rend aussi hommage à son fondateur notamment à travers un article du professeur genevois Guy Boissard qui analyse la controverse entre l’abbé Journet et Mgr Besson en 1941-42 après les grandes rafles contre les juifs en France. (apic/mp)

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