2023, l'année du rêve asiatique du pape François

La volonté d’une ‘réorientation’ de l’Église vers un horizon d’évangélisation propre à l’Asie aura été un des fils rouges de la dixième année du pontificat de François, de par ses voyages, ses déclarations et ses initiatives diplomatiques tournées vers le continent le plus peuplé du monde.

«Nous avons besoin de nous ‘décentrer’, de faire un voyage vers l’Orient, de nous mettre à l’école d’un mode de vie spirituel et ecclésial qui peut revigorer notre foi», déclarait le pape François en mars 2023 dans la préface d’un livre signé par le cardinal coréen Lazarus You Heung-sik.

L’Asie abrite 11% de la population catholique mondiale, soit plus de 150 millions de fidèles (statistiques 2021) avec une croissance lente mais constante ces dernières années. Cependant, les catholiques asiatiques ne représentent que 3,3% de la population, soit une goutte d’eau dans ce continent de 4,6 milliards d’habitants, où d’autres religions sont nettement mieux établies – notamment l’islam ou le bouddhisme. Le nombre de catholiques en Asie passe même à seulement 1% de la population continentale si l’on retire des statistiques le géant catholique que sont les Philippines.

Malgré la présence de l’Église nestorienne dans les premiers siècles de notre ère ou celle des missions pendant l’âge colonial, l’Asie est globalement restée imperméable aux différentes vagues d’évangélisation. Et même la présence historique des petits îlots chrétiens que sont les Églises orientales est remise en question depuis plusieurs années.

Dans les steppes d’Asie centrale

Pourtant, le pape François semble entretenir de grandes espérances concernant le continent asiatique. Certes, le seul voyage en Asie du pontife en 2023 illustre d’une certaine manière cette ‘résistance’ de l’Asie à la foi chrétienne: le pontife a visité la Mongolie, une destination qui pourrait sembler anecdotique, tant la population catholique du pays est minuscule (1394 fidèles en 2022, soit 0,04% de la population mongole).

Le président mongole Ukhnaagiin Khürelsükh et le pape François sur la place Sükhbaatar | © Vatican Media

Cependant, le pape a justifié son voyage: cette communauté embryonnaire, il l’estime débarrassée des tares d’un christianisme occidental trop concentré sur les normes et aspects extérieurs et organisationnels, et donc comme une sorte de ›laboratoire missionnaire’. Pour le pape, en Mongolie, comme en Asie, le catholicisme peut retrouver sa «saveur originelle», celle d’une «première évangélisation».

Pour cela, le pape a mis en avant le style missionnaire de l’Église en Mongolie qui «murmure l’Évangile», reprenant les mots du préfet d’Oulan-Bator, le cardinal Giorgio Marengo. Ce dernier, missionnaire italien de 49 ans habitant depuis vingt ans en terre mongole, se trouve être le benjamin du collège des cardinaux – un signe tangible que le pontife voit en lui (et en son petit troupeau de «nomades de Dieu») l’avenir de l’Église.

Le succès vietnamien

Défenseur d’une évangélisation par acculturation – c’est-à-dire qui intègre les caractéristiques culturelles locales – le pape François avait aussi choisi de venir en Mongolie pour profiter de sa frontière avec la Chine. «Les gouvernements et les institutions séculières n’ont rien à craindre de l’action évangélisatrice de l’Église, parce que celle-ci n’a pas d’agenda politique à poursuivre, mais ne connaît que la force humble de la grâce de Dieu», a-t-il martelé lors de la messe à Oulan-Bator, en présence de nombreux catholiques chinois mais aussi vietnamiens.

Sur le plan diplomatique, le Vietnam représente d’ailleurs le plus grand pas du Saint-Siège en 2023. À l’occasion d’une visite officielle au Vatican du président Vo Van Thuong en juillet, a en effet été annoncé l’installation prochaine d’un représentant permanent du Saint-Siège dans la république socialiste, signe d’une consolidation réelle des rapports entre l’Église et le ‘pays des dragons bleus’. De plus, dans une lettre adressée au pape François en décembre, le président l’a formellement invité à visiter ce pays marqué par la présence d’un catholicisme minoritaire mais très dynamique.

Porter l’Evangile «sur la pointe des pieds»

Le renforcement des relations de l’Église avec le Vietnam, la Mongolie ou encore le Kazakhstan (visité en 2022) témoigne d’une stratégie cohérente du Saint-Siège concernant l’Asie dans toutes ses composantes – avec, en ligne de mire, le géant chinois.

Pour cela, le pape et ses diplomates, le cardinal Pietro Parolin en tête, ont cette année donné des gages à Pékin en enjoignant les catholiques chinois, mais aussi de Mongolie ou du Vietnam à être à la fois des «bon citoyens» et des «bons chrétiens». En retour, comme il l’a déclaré à Oulan-Bator, le pape encourage ces pays à laisser l’Église catholique porter l’Évangile chez eux «sur la pointe des pieds».

Pour ce qui est de la Chine, l’année 2023 a été relativement positive, même si Pékin a une nouvelle fois transgressé l’accord pastoral de nomination des évêques signé en 2018 en plaçant Mgr Shen Bin à la tête du diocèse de Shanghai sans prévenir le Vatican. Cependant, les tensions entourant la figure du cardinal Joseph Zen, arrêté et condamné par la justice chinoise l’année précédente, n’ont pas ressurgi cette année, et le pape a non seulement rencontré des fidèles chinois en Mongolie, mais il a aussi réussi à faire venir deux évêques chinois à Rome pendant le Synode en octobre.

Un nouveau canal à Hong Kong

Le pontife argentin a surtout consolidé un important canal de discussion avec le monde chinois en créant cardinal l’évêque de Hong Kong, Mgr Stephen Chow, lors du consistoire cet automne. Ce dernier, jésuite comme lui, est parvenu (sur invitation de l’évêque local) à se rendre à Pékin au printemps, du jamais vu pour un évêque de l’ancienne concession britannique depuis sa rétrocession à la Chine, le 1er juillet 1997. Le néo-cardinal a rendu l’invitation en faisant venir à son tour l’évêque de Pékin à Hong Kong.

Ces deux visites, purement pastorales, étaient placées sous la figure tutélaire du vénérable Matteo Ricci, célèbre missionnaire jésuite parvenu à intégrer la cour impériale chinoise au XVIe siècle. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le pape François ait décrit cette figure, très appréciée par l’intelligentsia pékinoise, comme un modèle d’évangélisation dans un cycle d’enseignements qu’il a consacré cette année au «zèle apostolique».

L’Asie, terre de zèle apostolique

Ce zèle apostolique, le pape le retrouve en particulier chez un autre jésuite missionnaire en Asie, saint François-Xavier, une figure quasi-vocationnelle pour lui. Le pontife, qui rêvait en effet d’imiter l’apôtre du Japon et le saint patron des missions quand il n’était que séminariste à Buenos Aires, l’a donné en exemple aux jeunes dans un autre enseignement en mai.

Une dernière figure clé, elle aussi citée dans la catéchèse du pape, est saint André Kim Taegon, un des pères fondateurs du catholicisme dans la péninsule coréenne au XIXe siècle. Une statue de ce martyr, que François voit comme un modèle d’engagement des laïcs dans l’évangélisation, a d’ailleurs été inaugurée cette année dans une niche de la basilique Saint-Pierre à Rome.

En Asie, le pontife compte tout particulièrement sur les héritiers de saint André Kim, voyant dans la Corée actuelle un terreau fertile et dynamique pour le catholicisme en Extrême-Orient. «Vous avez la grâce d’avoir tant de vocations sacerdotales; s’il vous plaît, ‘chassez-les’, envoyez-les dans les missions», a-t-il ainsi demandé aux évêques coréens lors d’une rencontre cette année.

«Nous tous, nous avons besoin de cette lumière qui vient de l’Orient», affirme le pape François à propos de l’Église en Corée, un pays qu’il avait visité en 2014. Il souhaite d’ailleurs insuffler son énergie missionnaire à la jeunesse: à la fin des JMJ de Lisbonne en août, il a annoncé que la prochaine édition de cette rencontre des jeunes catholiques du monde entier se tiendrait à Séoul en 2027. (cath.ch/imedia/cd/rz)

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