Afrique: après «Fiducia supplicans», la colère gronde

Malgré les nombreux communiqués d’épiscopats nationaux pour tempérer le remous suscité par Fiducia supplicans, la tempête persiste au sein des épiscopats africains et chez les fidèles. Les sorties d’évêques de Lomé à Kinshasa et d’Abidjan, à Brazza, ne rassurent pas. Si certains s’agacent des prises de position du pape, d’autres évoquent ouvertement «un schisme éthico-dogmatique».

Max Savi Carmel, en Afrique, pour cath.ch

N’Dali, 400 Km de Cotonou au Bénin. L’abbé Gbenlo Donatien vient de terminer une première messe ce 24 décembre. A quelques heures de la veillée de noël, «je prépare l’installation de la crèche», confie-t-il à cath.ch. Le curé de la paroisse Saint-Padre Pio de Bori suit de près «la polémique que suscite Fiducia supplicans" en ce qui concerne la bénédiction des couples homosexuels «uniquement sur les réseaux sociaux». Car son évêque Mgr Adjou-Moumouni, occupé par la consécration de sa nouvelle cathédrale n’a pas donné de consignes à ses prêtres sur la récente publication du dicastère pour la doctrine de la foi. Mais dans les grandes villes africaines, la colère gronde.

Sur un continent où l’homosexualité est incriminée par la loi et rejetée par les cultures, «cette sortie du Vatican est une folie suicidaire», s’agace, à Naïrobi, le Père Apollinaire. Une colère que partagent beaucoup de prêtres et fidèles au point que les évêques multiplient «des appels au calme» sans grands effets.

Agacement général

Goderique Gondeth est la page Tiktok de l’une des religieuses la plus suivies sur les réseaux sociaux en Afrique. Son récent post a été partagée plusieurs dizaines de milliers de fois et a suscité des milliers de commentaires de catholiques en colère. On y voit Mgr Bienvenu Bafouakouahou recommander à ses prêtres «de s’abstenir de toute bénédiction de couple homosexuel».

Un avis largement partagé par l’écrasante majorité des prêtres et évêques du continent. Danatien Gbenlo dit «ne pas pouvoir bénir le mal» car un tel acte «serait un encouragement au péché». En commentaire à la Sœur Gondeth, Yvan Notia s’emporte, «arrachons l’Afrique à l’autorité morale du pape». Le jeune catéchiste camerounais entend  lancer une pétition pour «exiger le retrait de la déclaration Fiducia supplicans«.

Dans son pays, la position des évêques est sans équivoque. Le 21 décembre, dans un communiqué, la conférence épiscopale du Cameroun dit s’exprimer «au nom de la vérité évangélique» et, en réponse au pape François, interdit formellement le respect de Fiducia supplicans. «L’homosexualité est une aliénation qui nuit gravement à l’humanité», constatent les prélats camerounais dénonçant «une vice devenu sujet de revendication légale». Ils concluent que «combattre l’homosexualité protège les valeurs de l’humanité». A Lomé, face à la polémique qui s’est emparée de tous les diocèses, les évêques du Togo ont publié un communiqué signé de tous pour appeler au calme, mais sans convaincre.

Grondements persistants

«N’importe quoi!», s’exclame le curé d’une paroisse du nord de Lomé, indexant «une dérive pontificale». «Nous ne sommes pas encore sortie des scandales de pédophilie qu’on nous demande de bénir des homosexuels», s’étonne-t-il sous couvert de l’anonymat, prévenant qu’il «préfère quitter l’Eglise que de bénir l’abomination». En Côte d’Ivoire où la fronde est plus forte, quelques prêtres du diocèse de Yopougon (sud) ont créé un groupe WathsApp pour échanger sur le sujet. «Nos points de vue convergent», confie à cath.ch l’un d’entre eux. Pour cette dizaine de clercs, «même si les évêques nous demandent de suivre la déclarartion, nous désobéirons» grimacent-ils.

Certains  prêtres préfèrent user de l’humour, «vous les homosexuels, ne comptez pas sur moi pour vous bénir», menace un audio qui tourne en boucle sur les réseaux sociaux dans toutes les capitales de l’Afrique francophone. On y entend le Père Eugène, connu pour son humour, lancer, «osez venir me demander de vous bénir» concluant «mieux vaut obéir à Dieu qu’au pape».

En Afrique australe, l’incompréhension est plus criante. «Les bénédictions de toute nature et les unions entre personnes de même sexe de toute nature ne sont pas autorisées au Malawi», préviennent les évêques qui, à l’instar de leurs homologues de la Zambie, ont annoncé s’opposer à la publication faite le 18 décembre par le Vatican. Une position partagée par des prélats du Mozambique, de la Namibie mais aussi du Zimbabwe.

François incompris

A Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, le pays le plus catholique du continent, c’est l’incompréhension. Face à «des sorties de route éthiques et inopportunes de François, le schisme est à nos portes», constate un prêtre jésuite à Goma (est). Même le cardinal Fridolin Ambongo, très proche du Saint-Père a pris ouvertement ses distances. Le président du symposium des évêques d’Afrique et de Madagascar a écrit à tous les prélats du continent déplorant «une ambiguïté» et entend, dès janvier 2024, «donner des consignes communes» contre l’application de cette recommandation.

A Gombé, quartier administratif de Kinshasa où siège le secrétariat de la Conférence épiscopale nationale du Congo, la CENCO, plusieurs sources concordantes évoquent «une lettre de désapprobation» qui sera adressée au pape «début janvier». En attendant, l’Eglise d’Afrique semble unanime, pour une fois, contre Fiducia supplicans et les opinions nationales, chrétiennes et civiles, les appellent à travers de nombreux débats dans les médias, «à tenir tête à la hiérarchie» sur le sujet. (cath.ch/msc/bh)

Rédaction

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/afrique-apres-fiducia-supplicans-la-colere-gronde/