Le processus de paix en Colombie est à la croisée des chemins:

APIC – Enquête

Gouvernement, guérilla et société civile à la table des négociations

Difficile apprentissage, dans un pays qui compte

autant de fauteurs de guerre que d’artisans de paix

Pierre Rottet, agence APIC

Bogota, 3 novembre 1998 (APIC) Avec près de 28’000 assassinats en 1997, la Colombie est le pays le plus violent d’Amérique du Sud. Aujourd’hui, les principaux protagonistes du conflit qui ensanglante le pays depuis des décennies empruntent le difficile sentier de la paix, avec le soutien de la Conférence des évêques colombiens. La démarche est fragile, car en Colombie la violence armée est la plupart du temps l’expression de contradictions sociales poussées à l’extrême.

Les deux principaux groupes de guérilla, le gouvernement et la « société civile » sont partie prenante d’un processus de paix complexe: le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) sont engagés dans une négociation séparée, tandis que l’Arméée de libération nationale (ELN) dialogue pour sa part avec la « société civile ». L’apprentissage n’est pas facile, dans un pays qui compte autant de fauteurs de guerre que d’artisans de paix.

Une proposition audacieuse: il s’agit ni plus ni moins de démilitariser une zone de 42’000 km2 (la superficie de la Suisse!) afin d’accueillir le 7 novembre prochain les premières négociations entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement du nouveau président Andrés Pastrana. Les 11 et 12 octobre dernier, c’était le sommet entre l’ELN, des représentants de la « société civile » et un observateur du gouvernement. Les choses semblent donc bouger dans le bon sens, malgré l’attaque, dimanche 1er novembre, du poste de police de Mitu, (Colombie orientale) par une colonne de quelque 600 guérilleros des FARC. Selon les sources, les combats ont laissé un solde de 80 morts, dont 70 policiers.

Dans la foulée des « Accords de Mayence », signés en Allemagne en juillet par l’ELN sous l’égide d la Conférence épiscopale allemande, la guérilla, le gouvernement et la « société civile » se mettent aujourd’hui à table, mais en Colombie cette fois. Avec, là aussi, la bénédiction de l’Eglise locale. L’enjeu semble simple: trouver les moyens de faire la paix. A défaut, « humaniser la guerre sale » qui endeuille le pays depuis plus de 40 ans.

Le rendez-vous du 7 novembre

Le 7 novembre prochain, les FARC entameront des négociations avec le gouvernement. Ce rendez-vous intervient moins d’un mois après celui du 12 octobre, tenu dans la région montagneuse de Rio Verde, près de Medellin, sous l’égide de la Conférence des évêques colombiens. Le commandement central de l’ELN, des représentants de la « société civile », un observateur du gouvernement, l’ambassadeur d’Espagne Pico Coaña et un délégué de la Croix Rouge internationale, le Suisse Pierre Gassmann, avaient fait le déplacement.

Evénement inimaginable il y a quelques mois encore, le gouvernement a sorti de prison les deux leaders guérilleros Felipe Torres et Francisco Galan, pour qu’ils puissent se rendre au rendez-vous, en compagnie d’Oscar Santos, un autre leader de l’ELN. Sur place, les attendaient également quatre représentants de l’Eglise catholique, dont Mgr Flavio Calle Zapata, évêque de Sonson-Rionegro (Antioquia) et le Père Jorge Martinez, délégué de l’épiscopat pour les conflits à caractères sociaux. Emmenés sur place en hélicoptère, les deux détenus ont ensuite regagné leurs geôles sitôt ces premières négociations achevées.

Vers l’élection d’une Convention nationale, sorte de « parlement parallèle »

Autre fait marquant dans ce processus que la Colombie aimerait irréversible, deux jours avant le rendez-vous de Medellin des 11 et 12 octobre, le gouvernement de Pastrana a octroyé publiquement un statut politique à l’ELN, née de l’insurrection des années 60. Le même président en a profité pour déclarer le dialogue formellement ouvert. Le document approuvé au terme de la réunion entre les différentes parties présentes près de Medellin stipule qu’une Convention nationale formée de 240 personnes élues sera installée le 13 février 1999. Ce parlement parallèle devra soumettre pour le 12 octobre 1999 ses conclusions en faveur de la paix, contenues en un plan détaillé sur la justice sociale, les droits de l’homme, la démocratie, le problème de la terre, les richesses naturelles…

La paix sur fond de violence

La Colombie, non sans ambiguïté, parle enfin de paix depuis deux ou trois mois. Dans le même temps, les actes de violence redoublent: assassinats de leaders syndicaux, de paysans, sabotage d’un oléoduc, affrontements entre forces militaires et guérilla… Les conflits sociaux restent aigus. Ainsi la grève de près d’un mois suivie par un million de travailleurs du secteur public. De la « routine », en quelque sorte, entre les deux événements majeurs que sont les négociations entre la guérilla des FARC et le gouvernement d’un côté, entre la guérilla de l’ELN et la société civile de l’autre.

Un « no man’s land » de 42’000 km2n La proposition de « démilitariser » cinq municipalités, sur un territoire de 42’000 km2 appartenant au département de Caqueta et obtenue dans l’optique du 7 novembre, constitue indéniablement une première. L’accord de ce « no man’s land » entre les FARC et le gouvernement prévoit de retirer les forces militaires de ces municipalités, pour assurer un maximum de sécurité aux négociateurs et donner les meilleures chances à ces embryons de pourparlers.

Reconnaissance que la guérilla est un « Etat dans l’Etat », que cette zone de démilitarisation obtenue par les FARC? Rien de tout cela, explique à la presse le nouveau président colombien Andrés Pastrana. Selon lui, les municipalités conserveront leurs autorités, leurs mairies et leurs chefs de police…

Reconnus politiquement sans rien céder

Avec leurs 17’000 hommes en armes, quelque 12’000 guérilleros pour les FARC et 5’000 pour l’ELN, les deux principaux acteurs de l’insurrection colombienne parlent aujourd’hui de paix, sans rien céder sur l’essentiel. Le gouvernement colombien a reconnu politiquement l’ELN, sans obtenir en retour une déclaration de cessez-le-feu. FARC et ELN disent contrôler actuellement 40 à 50% du territoire, et plus de la moitié des 1’100 municipalités du pays.

« Au terme de ce processus de dialogue, il ne faut pas attendre de la guérilla qu’elle disparaisse, qu’elle dépose les armes. Nous irons dans le sens du maintien de l’unité nationale, mais dans un système politique fédératif. Et le conflit se poursuivra tant qu’une réponse n’aura pas été apportée à ce qui le provoque: violence, pauvreté, absence de démocratie… » confirme aujourd’hui à l’APIC José Felix Murrillo, porte-parole de l’ELN en Suisse. Ce conflit, dit-il, n’implique pas uniquement les parties armées. « Ces dernières seraient plutôt les ultimes expressions des secteurs sociaux en conflits. Si conflit militaire il y a, qu’il se fasse entre les acteurs armés et non en y mêlant les civils… »

La violence entre deux bouffées d’optimisme

Entre deux boufféées d’optimisme, la violence est encore et toujours à l’ordre du jour. Le leader syndicaliste Jorge Ortega était assassiné le 20 octobre dernier. Il était vice-président de la « Centrale unie des travailleurs » (CUT) et membre du Comité national de l’Assemblée permanente de la Société civile pour la paix. Le sabotage de l’oléoduc central de Colombie, près de Medellin, deux jours plus tôt, causait la mort de 58 civils. L’attaque sanglante des FARC, dimanche dernier, n’est que le dernier affrontement en date…

Mis en cause dans l’attentat de l’oléoduc central, l’ELN admet l’attentat, mais pas la mort des civils. José Felix Murrillo pointe un doigt accusateur sur d’autres fauteurs de violence qui ont intérêt à maintenir le conflit: les forces armées et les paramilitaires. « Le gouvernement nous a nommément désignés comme responsables. Nous avons demandé la mise sur pied d’une commission d’enquête formée d’ONG étrangères. Pastrana n’en a pas voulu ».

L’obstacle des paramilitaires

Les progrès surle chemin de la paix sont assurément réels, mais le processus est fragilisé par la poursuite de la violence. Ainsi l’attaque des FARC, dimanche, pourrait bien empêcher ou retarder le Sommet du 7 novembre, estime-t-on du côté de Bogota. Mais la guérilla n’est pas le seul obstacle à la consolidation du processus en cours. Les groupes « paramilitaires » au service de puissants intérêts économiques, de gros propriétaires, de leaders de partis même… Un mouvement clandestin puissant, bien armé, qui exécute la sale besogne dont l’armée régulière préfère laisser à des « groupes incontrôlés ». Leader des paramilitaires de Colombie, Carlos Castaño entend lui aussi participer à aux négociations. « La paix, dit-il, seuls doivent la faire ceux qui livrent bataille, qui font la guerre ». Lui aussi entend faire de son groupe un parti politique reconnu. Ce dont ne veut pas entendre parler la guérilla. « Impossible. Une de nos exigences à l’agenda des négociations avec le gouvernement est justement que disparaissent ces groupes paramilitaire », confiait récemment à l’APIC le numéro trois de la hiérarchie du commandement de l’ELN, Pablo Beltran. Une revendication que balaie Castaño, qui réclame pour sa part la supervision du processus en cours par la communauté internationale. Dans une interview au quotidien espagnol « El Pais », il suggère comme pays les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Espagne et la Suisse. (apic/pr)

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