Suisse: Plus de 250’000 personnes vivent dans la pauvreté, malgré un travail à plein temps!

Caritas lance le débat sur les « working poors », un « scandale social »

Berne, 11 novembre 1998 (APIC) En Suisse, travailler ne protège plus de la pauvreté: on peut en effet occuper un emploi à plein temps et faire partie des 250’000 à 410’000 personnes vivant dans un ménage de « working poors ». « Absolument indécent, scandaleux » dans un pays possédant le plus haut revenu per capita du monde, dénonce Caritas Suisse, qui plaide pour un salaire minimum fixé par la loi.

« Ils sont pauvres et pourtant ils travaillent », telle est la définition des « working poors » et le titre d’un travail de recherche de Caritas Suisse présenté mercredi à Berne. La nouvelle étude réalisée par Carlo Knöpfel, du Service d’Etudes de Caritas, ne devrait pas rester dans un tiroir. « C’est la première publication à donner une vision d’ensemble de la problématique; à partir de là, nous allons lancer le débat, interpeller le monde politique, les partenaires sociaux, patronat et syndicats », précise Jürg Krummenacher, directeur de Caritas Suisse.

Caritas a de bonnes raisons de craindre que le nombre de ces travailleurs aux revenus insuffisants augmentera encore ces prochaines années. Les mutations structurelles de l’économie (passage de travailleurs du secteur secondaire dans le tertiaire, avec les difficultés de reclassement que cela suppose) sont souvent cause de précarité, nombre de nouveaux emplois offerts n’étant que des précaires « McJobs ». Les effets de la mondialisation et de la globalisation des marchés font également pression sur les salaires. A la baisse!

Avoir des enfants augmente le risque de tomber dans la pauvreté…

Définissant les « working poors », Carlo Knöpfel précise que ce sont des personnes vivant dans un ménage où une personne au moins travaille à temps complet (au moins à 90%) et qui malgré cela se retrouvent au-dessous du seuil de pauvreté. Caritas parle ici de ménages et pas d’individus. Et paradoxe, dans un pays qui se plaint de dénatalité et de vieillissement de la population, deux tiers des « working poors » vivent dans un ménage avec enfants. « Ce résultat montre une fois de plus qu’en Suisse, avoir des enfants augmente le risque de tomber dans la pauvreté », relève l’œuvre d’entraide catholique. Les politiciens qui parlent si volontiers de la famille dans leur programme devraient se sentir interpellés!

70% des pauvres au sein de la population active appartiennent à la catégorie des « working poors ». Se basant sur les chiffres de l’étude nationale sur la pauvreté (réalisée à partir des données de 1992), Caritas affirme qu’entre 250’000 et 410’000 personnes sont concernées. Pourquoi ces deux chiffres ? Le plus bas se réfère au seuil de pauvreté de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), le plus élevé se calcule à partir du droit aux prestations complémentaires (LPC). La preuve une fois encore qu’en Suisse, les statistiques sociales sont pauvres et fractionnées. « Nous aurions besoin ici d’une statistique nationale sur l’aide sociale », constate C. Knöpfel.

Branches exposées: faible taux de syndicalisation, bas salaires

Tous les groupes sociaux ne courent pas les mêmes risques. Le portrait robot du « working poor » est parlant: les couples avec enfants et les hommes vivant seuls (souvent astreints à payer une pension alimentaire) sont les plus vulnérables; ils ont en moyenne moins de 40 ans, un niveau de qualification moindre, et sont pour les deux tiers des Suisses. Ils travaillent dans la branche des services, dans des secteurs où les salaires sont bas, les emplois précaires et l’organisation syndicale très faible: restauration, vente et industrie du nettoyage. Dans les branches du nettoyage ou de la vente, souligne Caritas, il n’y a pas de conventions collectives valables sur le plan national.

« Nouveaux pauvres », les « working poors » sont également défavorisés au niveau des assurances sociales – le salaire étant bas, les prestations le seront également – , et la prévoyance professionnelle est faible. En cas de chômage, les indemnités journalières ne suffisent pas à assurer les besoins de base. La seule bouée de sauvetage: l’aide sociale publique et privée… quand la honte d’être « assisté » a pu être dépassée!

En plus des problèmes strictement financiers se cumulent rapidement d’autres handicaps: vie dans des appartements surpeuplés, problèmes de santé, sentiment croissant de marginalisation, etc. Entre 1991 et 1995, la part des personnes à faible revenu par rapport à l’ensemble de la population active oscillait entre 5 et 6%. En 1995, 5,5% des personnes travaillant à temps complet touchaient un salaire annuel net inférieur à 30’000 francs, soit 2500 francs mensuels. Caritas rappelle que les personnes touchées par la pauvreté ne sont pas les seules à profiter de l’aide sociale: des patrons en tirent profit aussi, certains d’entre eux fixant des salaires très bas, sachant que l’aide sociale interviendra pour combler la différence avec le minimum vital.

Abolir le statut de saisonnier

Jürg Krummenacher l’a reconnu, la revendication d’un salaire minimum légal rencontre encore peu d’écho dans le monde politique et économique suisse. « Il faut pourtant supprimer ce tabou », a-t-il lancé, avant de proposer une amélioration de la formation professionnelle des personnes les moins qualifiées et l’abolition du statut de saisonnier, qui est aussi à la source de problèmes sociaux aujourd’hui.

Caritas propose finalement un agenda de mesures de politique sociale comme étendre le droit aux prestations complémentaires aux « working poors » (spécialement pour les jeunes familles), prévoir pour eux un allégement fiscal, augmenter et harmoniser les allocations familiales, améliorer les structures d’accueil de la petite enfance, réduire le coût de la vie des « working poors » par la construction de logements sociaux, améliorer les bourses d’étude, calculer les primes d’assurance maladie en fonction des revenus, et non plus par tête. La brochure « Ils sont pauvres, et pourtant ils travaillent » sera prochainement distribuée à tous les parlementaires fédéraux et aux partenaires sociaux. La balle est désormais dans leur camp. (apic/be)

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