Mgr Gerald Lacroix, huitième cardinal accusé d'abus

Suite à sa mise en accusation pour abus sexuels, Gérald Lacroix, archevêque de Québec, est le huitième cardinal mis en cause pour de tels motifs. L’agence I.MEDIA revient sur ces affaires qui ont montré une évolution de l’attitude du Saint-Siège vers une plus grande fermeté et un recours à la justice civile.

Le cardinal Gérald Cyprien Lacroix est accusé d’attouchements par une femme pour des faits qui remonteraient à la fin des années 1980. Il a annoncé sa mise en retrait temporaire de sa charge de gouvernement, le temps de la procédure. L’archevêque de Québec nie catégoriquement les allégations portées contre lui.

Sept autres cardinaux ont été mis en cause dans des affaires d’abus dans l’histoire récente. Il s’agit de Hans Groër (Autriche), Keith O’Brien (Ecosse), George Pell (Australie), Theodore McCarrick (États-Unis), Henryk Gulbinowicz (Pologne), Jean-Pierre Ricard (France) et Marc Ouellet (Canada), prédécesseur du cardinal Lacroix comme archevêque de Québec.

La publication en 2019 du motu proprio du pape François Vos estis lux mundi, mis à jour en 2023, a renforcé la responsabilité des évêques et des supérieurs religieux dans la gestion des affaires d’abus, a fortiori quand ils sont eux-mêmes accusés. L’article 8 prévoit ainsi que tout signalement impliquant un évêque soit transmis à l’archevêque métropolitain, et directement au Saint-Siège si c’est l’archevêque qui est lui-même visé par des accusations.

Le principe de la ‘reddition de comptes’ – accountability en anglais -, inspiré de la culture juridique anglo-saxonne, infuse donc désormais dans le droit canonique. La position du Saint-Siège est désormais de considérer les cardinaux comme des justiciables comme les autres, aussi vis-à-vis de la justice civile, du moins dans les États de droit.

Se situant dans la lignée des efforts assumés par Benoît XVI, le pape François cherche à rapprocher le Vatican des standards du droit international dans le domaine de la lutte contre la pédocriminalité comme dans celui de la lutte contre la délinquance financière. Cette évolution peut donc conduire les cardinaux à subir des procès dans les affaires les concernant, qu’ils soient accusés de mauvaise gestion de cas d’abus, comme ce fut le cas du cardinal Philippe Barbarin, condamné en première instance en 2019 puis acquitté en 2020 dans l’affaire Preynat, ou qu’ils soient personnellement visés par des accusations.

Le cardinal Lacroix s’engage à respecter le processus judiciaire

Le nom du cardinal Lacroix apparaît dans une liste de membres de l’Église catholique au Canada mis en cause dans une action collective qui rassemble les plaintes de 147 victimes potentielles. Le proche conseiller du pape, membre du C9, est accusé d’«attouchements» par une personne qui était âgée de 17 ans au moment des faits (en 1987-1988) – et dont l’identité est maintenue secrète –, soit à une période où le cardinal était encore séminariste ou à peine ordonné prêtre. Il n’était donc pas «curé» comme l’a affirmé la presse canadienne par erreur.

Le cardinalLacroiy a assuré que sa conscience est «en paix face à ces accusations» qu’il «réfute» | © Vatican Media

«Je nie catégoriquement les allégations rendues publiques», a déclaré le cardinal canadien dans une vidéo diffusée le 30 janvier 2024. «Jamais, à ma connaissance, je n’ai posé de gestes inappropriés envers qui que ce soit, qu’il s’agisse de personnes mineures ou adultes», a-t-il ajouté, assurant que sa conscience est «en paix face à ces accusations» qu’il «réfute». 

Se disant «très affecté par l’étendue des dégâts qu’occasionnent ces accusations non fondées», l’archevêque québécois s’engage à «respecter le processus judiciaire de l’action collective en cours». Après avoir annoncé le 26 janvier qu’il se retirait temporairement de sa charge, il a précisé qu’il «ne s’agit pas d’une démission, mais d’un retrait temporaire» pour «envisager les décisions à prendre». 

L’affaire Ouellet, un autre procès à venir au Canada?

En août 2022, son prédécesseur à Québec de 2002 à 2010, le cardinal Marc Ouellet, devenu ensuite préfet de la congrégation pour les Évêques, avait été visé par une plainte après avoir été accusé de gestes inappropriés par une ancienne collaboratrice du diocèse de Québec. Moins de 48 heures après la diffusion de cette affaire, le pape François avait fait savoir par son service de presse qu’il n’y avait «pas suffisamment d’éléments pour ouvrir une enquête canonique», d’après les conclusions d’une enquête menée au début de l’année 2021 par le Père Jacques Servais – lui-même un proche du cardinal Ouellet, murmurent les observateurs. 

Le nom du cardinal Ouellet apparaît parmi ceux de 88 prêtres dénoncés par 101 victimes | © Catholic Church of England/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0

Le 13 décembre 2022, le cardinal Ouellet avait annoncé entreprendre un recours judiciaire en diffamation devant les tribunaux québécois, pour «démontrer la fausseté des allégations» et «rétablir (sa) réputation et (son) honneur». En juin 2023, des accusations provenant d’autres femmes ont été diffusées par le média catholique Présence Information religieuse. Le cardinal a dénoncé de nouvelles «allégations diffamatoires» dont il entend se défendre lors d’un procès, pour lequel aucune date n’a pour le moment été communiquée.

Le cardinal Ouellet, qui aura 80 ans le 8 juin prochain, s’est retiré de sa charge de préfet du dicastère pour les Évêques en janvier 2023 pour raison d’âge, mais il demeure actif au Vatican. Il est notamment toujours membre du dicastère pour la Doctrine de la foi, dont il a participé à la récente assemblée plénière.

L’affaire Pell: un cardinal en prison

L’affaire la plus retentissante, qui a retardé la réforme financière souhaitée par le pape François, a concerné le cardinal australien George Pell (1931-2023). L’ancien archevêque de Melbourne puis de Sydney, appelé au Vatican en tant que préfet du secrétariat pour l’Economie lors de la création de ce dicastère en février 2014, a fait face à un procès dans son pays d’origine pour des accusations d’abus sur deux enfants de chœur. 

Condamné en première instance à six ans de prison ferme, en décembre 2018, et incarcéré peu après la publication du jugement en février 2019, il a finalement été relaxé et libéré par la Haute Cour de Justice en mars 2020. Les images du cardinal menotté lors de ses comparutions ont fait le tour du monde.

En décembre 2018, il avait été relevé de sa charge de membre du Conseil des cardinaux, officiellement pour raison d’âge, en pratique certainement en raison de sa condamnation, alors tenue secrète. Mais ses prérogatives de cardinal avaient été maintenues, et il était père synodal de plein droit lors du Synode sur les jeunes, en octobre 2018, même sans pouvoir y participer physiquement.

Le cardinal George Pell, décédé en 2023, était accusé d’abus sexuels sur mineurs | © Keystone

Afin de pouvoir rentrer en Australie pour se confronter à la justice civile, le cardinal Pell avait été mis en congé par le pape de sa charge de préfet du secrétariat pour l’Économie, mais il en avait conservé le titre, demeurant donc chef de dicastère jusqu’à l’échéance de son quinquennat en février 2019. 

Revenu à Rome après son acquittement, et personnellement soutenu par le pape François malgré leurs profondes divergences sur plusieurs dossiers sensibles, le cardinal Pell n’a perdu son mandat de cardinal électeur qu’à son 80e anniversaire, le 8 juin 2021. Ses obsèques, après son décès inattendu survenu en janvier 2023, ont été célébrées selon le rite dévolu à tout cardinal résidant à Rome, le pape François venant pour la bénédiction finale.

O’Brien, McCarrick et Gulbinowicz, trois cardinaux déchus

En revanche, trois autres affaires ont amené le pape François à remettre en question la dignité cardinalice des prélats concernés.

Le cardinal Keith Michael Patrick O’Brien (1938-2018), qui fut archevêque d’Édimbourg de 1985 à 2013, avait annoncé le 20 mars 2015 sa renonciation aux «droits et prérogatives» du cardinalat, autrement dit à son mandat de cardinal électeur. Il ne l’était déjà plus, de facto, car il n’avait pas participé au conclave de 2013 après avoir été mis en cause par trois prêtres et un ancien séminariste pour des «comportements indécents». Il est cependant demeuré cardinal et évêque jusqu’à son décès en mars 2018, au surlendemain de son 80e anniversaire.

Une plus grande fermeté fut appliquée à l’encontre de Theodore McCarrick (né en 1930), archevêque de Washington de 2000 à 2006, créé cardinal par Jean Paul II en 2001. Encore très médiatique et actif malgré son âge avancé, il a été suspendu par le Vatican en juin 2018 après avoir été accusé d’abus sur un enfant de chœur, puis il a été relevé de son cardinalat en juillet 2018. 

L’ancien cardinal Theodore McCarrick est accusé d’avoir abusé d’un garçon de 16 ans dans les années 1970 | © David L Ryan/The Boston Globe via AP, Pool/Keystone

Il a enfin été renvoyé de l’état clérical en février 2019, la congrégation pour la Doctrine de la foi l’ayant reconnu coupable de sollicitation d’actes sexuels en confession et de violences sexuelles sur d’anciens séminaristes, avec la circonstance aggravante de l’abus de pouvoir. Il vit désormais reclus dans une communauté aux États-Unis, comme simple laïc. Ses avocats ont usé de l’argument d’une démence sénile pour lui épargner un procès.

Une décision spécifique a par ailleurs impliqué un cardinal polonais en fin de vie. Le cardinal Henryk Gulbinowicz (1923-2020), archevêque de Wroclaw de 1976 à 2004, n’a pas fait l’objet d’un procès en tant que tel mais il a été ciblé par une enquête du Saint-Siège pour des allégations d’abus sexuels et de collaboration avec la police secrète communiste, des faits dont il a été reconnu coupable. Il avait été créé cardinal par Jean Paul II en 1985 en raison de son soutien actif au syndicat Solidarnosc, alors que le primat de Pologne, le cardinal Glemp, manifestait publiquement une attitude plus conciliante à l’égard du régime communiste.

Le 6 novembre 2020, la nonciature apostolique à Varsovie a annoncé la condamnation du cardinal Gulbinowicz à un retrait définitif de la vie publique et à une interdiction des insignes épiscopaux, lui ordonnant de payer un dédommagement à ses victimes présumées et le privant de sépulture à la cathédrale. Il est toutefois resté nominalement cardinal jusqu’à son décès survenu seulement dix jours plus tard, le 16 novembre 2020. Ses obsèques ont été célébrées en toute discrétion et ses cendres ont été ramenées dans son village d’origine.

Affaire Groër: le silence de Jean Paul II

La possibilité de révoquer la dignité cardinalice d’un prélat marque une évolution majeure. Dans les années 1990, la mise en cause du cardinal Hans Hermann Groër (1919-2003), archevêque de Vienne de 1986 à 1995, accusé d’abus sur des centaines de jeunes hommes, n’avait provoqué aucune réaction publique de Jean Paul II.

Face à la profonde crise traversée par l’Église en Autriche du fait de ce scandale, le cardinal Christoph Schönborn, qui fut son évêque auxiliaire puis son coadjuteur avant de lui succéder, avait reconnu en 1998 que les accusations à l’encontre de son prédécesseur étaient «pour l’essentiel, fondées». Mais aucune sanction officielle ne fut prise à son encontre, et ses obsèques furent célébrées avec solennité en 2003 à la cathédrale de Vienne.

Plusieurs années après, en 2010, le cardinal Schönborn a reproché au cardinal Angelo Sodano, ancien secrétaire d’État, d’avoir empêché le cardinal Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, de mener une enquête sur les agissements du cardinal Groër.

Les ambiguïtés de l’affaire Ricard

La situation du cardinal Jean-Pierre Ricard, ancien président de la conférence des évêques de France, représente un cas particulier, puisque l’archevêque émérite de Bordeaux, en avouant avoir eu une relation inappropriée avec une adolescente lorsqu’il était curé à Marseille, a lui-même porté les faits à la connaissance du public, assurant se tenir «à la disposition de la justice». Sa lettre d’aveu avait été lue le 7 novembre 2022 par Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), devant les évêques réunis à Lourdes pour leur assemblée plénière.

À l’issue du procès canonique initié en novembre 2022 par le dicastère pour la Doctrine de la foi, le cardinal Jean-Pierre Ricard a été suspendu au printemps 2023 de tout ministère public pour une période de cinq ans, mais demeure prêtre et cardinal. Il peut continuer à célébrer la messe en privé, seul ou avec une personne. Une disposition prévoit qu’il puisse par ailleurs, par dérogation de l’évêque du diocèse dans lequel il réside, être amené à participer à des célébrations. Actuellement retiré dans le diocèse de Digne, il n’y exerce toutefois plus de ministère. 

Le cardinal Jean-Pierre Ricard a reconnu avoir eu une « conduite répréhensible » vis-à-vis d’une adolescente | capture d’écran YouTube

Sur le plan civil, l’enquête de la justice française pour «agression sexuelle aggravée» visant le cardinal Ricard a été classée sans suite en février 2023 en raison de la prescription des faits.

Le Saint-Siège n’a pour le moment pas précisé si l’archevêque émérite de Bordeaux demeure, de droit, cardinal électeur et donc susceptible d’être appelé à participer à un éventuel conclave si une vacance pontificale survenait avant son 80e anniversaire, le 25 septembre 2024. La sentence du dicastère pour la Doctrine de la foi n’en ferait pas mention, car la perte des droits cardinalices relève personnellement du pape. Une décision secrète, qui n’aurait été communiquée qu’au principal intéressé sans communication publique pour le moment, demeure possible, indique une source.

L’édition 2023 de l’Annuaire pontifical mentionne encore le cardinal Jean-Pierre Ricard parmi les membres du dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens, mais plus comme membre du dicastère pour la Doctrine de la foi – appelé à statuer sur les affaires d’abus – ni comme membre du dicastère pour le Culte divin et la discipline des sacrements. (cath.ch/imedia/cv/bh)

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