Bénédiction des homosexuels: les cardinaux exposent leurs divergences (2/2)

Roma locuta causa finita (Rome a parlé, le débat est clos). L’adage de saint Augustin semble aujourd’hui bien révolu. Les contestations des cardinaux et des évêques après la publication de Fiducia Supplicans ouvrant la porte à la bénédiction des couples homosexuels démontrent un réel changement dans le gouvernement de l’Eglise. Un premier effet (inattendu?) de la synodalité voulue par le pape François?

Maurice Page avec I.MEDIA

L’Europe soutient modérément le pape François

Les cardinaux européens se sont eux prudemment alignés derrière le pape et le cardinal Fernandez. Mais le soutien n’est pas inconditionnel ni massif.

Le cardinal Matteo Zuppi, président de la Conférence épiscopale italienne a expliqué que ce document «s’inscrit dans l’horizon de la miséricorde, du regard aimant de l’Église sur tous les enfants de Dieu, sans toutefois déroger aux enseignements du magistère». Gardant une approche prudente, il a aussi mis en garde contre des «malentendus» possibles.

Ton aussi assez prudent pour le cardinal Jean-Marc Aveline. Membre du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, l’archevêque de Marseille a signé aux côtés de neuf autres évêques français un communiqué invitant les «pasteurs à bénir généreusement les personnes qui s’adressent à eux en demandant humblement l’aide de Dieu», mais ne mentionnant pas la bénédiction pour les couples homosexuels, comme le fait le texte romain. 

«Si la demande de bénédiction n’est pas un spectacle, si elle est honnête, alors elle ne doit pas leur être refusée.»

Cardinal Christoph Schönborn

Le nouveau cardinal corse François-Xavier Bustillo, évêque d’Ajaccio, a jugé «dommage» le fait de réagir à ce texte de Rome avec la logique du monde, «un peu comme sur Facebook : ›j’aime’, ›j’aime pas’». »Dans la tradition de l’Église, on propose toujours des solutions bienveillantes à des situations douloureuses et difficiles», a-t-il expliqué.

Prudence encore pour le cardinal Christoph Schönborn. L’archevêque de Vienne ne s’est pas  exprimé publiquement après Fiducia supplicans. En 2021 déjà, il avait relevé que «si la demande de bénédiction n’est pas un spectacle, […] un rituel extérieur, si la demande de bénédiction est honnête, si c’est une demande de bénédiction du chemin que deux personnes essaient de suivre, alors elle ne doit pas leur être refusée.»

Son voisin hongrois, le cardinal Peter Erdö a estimé avec les évêques de Hongrie que, «compte tenu de la situation pastorale» du pays, les prêtres peuvent bénir «individuellement» toutes personnes mais doivent «toujours éviter la bénédiction commune pour les couples qui vivent ensemble». 

Une coutume d’Amérique latine

Le cardinal Juan José Omella, archevêque de Barcelone et président de la Conférence des évêques d’Espagne, a reconnu qu’il s’agissait d’un «changement de mentalité pour l’Europe, parce qu’il est difficile pour nous de comprendre cette façon, qui ne se faisait pas auparavant, de demander des choses à Dieu». «Il s’agit d’une bénédiction spontanée qui se pratique en Amérique latine et qui a atteint l’Europe grâce aux immigrants. Si nous la comprenons ainsi, nous comprendrons Fiducia supplicans

Le jeune cardinal archevêque de Madrid, José Cobo Cano, a regretté les commentaires hostiles de certains curés de son diocèse sur les réseaux sociaux, et il leur a demandé de renoncer à toute prise de parole publique qui manifesterait une opposition frontale au pape François.

«Si nous nous en tenons à l’étymologie de ‘dire du bien’, pensez-vous que Dieu puisse jamais ‘dire du mal’ à propos de deux personnes qui s’aiment ?»

Cardinal Jean-Claude Hollerich

Le cardinal Hollerich en pointe pour la reconnaissance des homosexuels

Le cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg et rapporteur du Synode sur l’Avenir de l’Église, n’est pas revenu spécifiquement sur Fiducia supplicans, mais ses opinions sont connues. En 2022, il avait ainsi défendu l’initiative de bénédictions de couples homosexuels des évêques flamands de Belgique. «Si nous nous en tenons à l’étymologie de ›bene-dire’ [›dire du bien’], pensez-vous que Dieu puisse jamais ›dire-mal’ [dire du mal] à propos de deux personnes qui s’aiment ?», avait-il lancé. Le cardinal avait précisé qu’il n’envisageait pas «un mariage sacramentel entre personnes du même sexe». «Mais cela ne signifie pas que leur relation affective n’a pas de valeur», avait-il ajouté. Le rapporteur du Synode sur l’avenir de l’Église a aussi qualifié d’»erronée» la conception des relations homosexuelles comme un péché, et il a souhaité une révision du catéchisme de l’Église catholique à ce sujet.

Pour le cardinal allemand de sensibilité progressiste Reinhard Marx, le Vatican ne va pas assez loin. Prenant Fiducia supplicans sous l’angle des couples divorcés-remariés, l’archevêque de Munich à qualifié de «contradiction» le fait que soit autorisée la bénédiction des «couples en situation irrégulière» mais pas leur union.

«Les mots choisis doivent montrer clairement qu’il ne s’agit pas d’une bénédiction ou d’une confirmation d’une relation irrégulière.»

Cardinal Wim Eijk

Connu pour son opposition aux orientations progressistes du chemin synodal allemand, le cardinal archevêque de Cologne Rainer Woelki, s’est montré nuancé invitant à façonner la pastorale «en unité avec l’Église universelle». Cette réaction peut nourrir l’interprétation selon laquelle la publication de Fiducia Supplicans serait en réalité un contre-feu face aux demandes du chemin synodal allemand portant sur une reconnaissance de l’union homosexuelle en tant que telle. 

Sous l’impulsion du cardinal Wim Eijk, archevêque d’Utrecht et primat des Pays-Bas, la conférence épiscopale néerlandaise a pris une distance critiques avec la déclaration. Les évêques expliquent qu’il est certes «possible de dire une prière à propos de croyants individuels qui vivent dans une relation irrégulière», mais que les mots choisis doivent montrer clairement qu’il ne s’agit pas d’une «bénédiction ou d’une confirmation d’une relation irrégulière».

Les Américains suivent le pape François

Membre du Conseil des cardinaux, le capucin Sean O’Malley, archevêque de Boston, a remercié le pape François pour «son amour et son soin de toutes les personnes dans le troupeau». «Nous rappelons que le Saint-Père n’a pas approuvé le mariage homosexuel, mais qu’il a reconnu que tous les catholiques, y compris ceux dont les unions ne sont pas reconnues par l’Église, ont également besoin de la grâce et de l’amour de Dieu».

«C’est un thème controversé qui est en train de créer des divisions à l’intérieur de l’Église.»

Cardinal Daniel Fernando Sturla

Le cardinal Daniel Fernando Sturla, archevêque de Montevideo, en Uruguay, se place à l’inverse en opposant à cette déclaration doctrinale dont il a jugé la publication inopportune à moins d’une semaine de Noël. «C’est un thème controversé qui est en train de créer des divisions à l’intérieur de l’Église», a-t-il, regretté.

Connu comme l’un des défenseurs les plus actifs des orientations pastorales du pape François, le cardinal Óscar Rodríguez Maradiaga, archevêque émérite de Tegucigalpa, a assuré que Fiducia Supplicans n’était «pas hérétique» mais offrait une «contribution innovante» sur la pratique des bénédictions, qui peuvent ainsi exprimer «la proximité de l’Église» avec des personnes placées dans des situations difficiles.

Au Brésil, le cardinal Odilo Scherer, archevêque de São Paulo a dénoncé les interprétations fautives: « Soyons honnêtes intellectuellement. Il y a ceux qui lisent et ne comprennent pas. Et il y a ceux qui lisent et veulent comprendre autre chose…».

«Attribuer une bonté intrinsèque à ce qui est un péché grave est une hérésie.»

Cardinal Joseph Zen

Asie: des avis contrastés

Du côté de l’Asie, le cardinal Oswald Gracias, archevêque de Mumbai et membre du Conseil des cardinaux, a souligné qu’en Inde, Fiducia supplicans était «un fait naturel», car les bénédictions font partie de la spiritualité populaire, marquée par «l’inclusion», regrettant que la déclaration du DDF soit «mal comprise». «Jésus n’a refusé aucune bénédiction», a-t-il insisté. 

Enfin, sans prendre de gants, l’ancien évêque de Hong Kong, le cardinal Joseph Zen, a estimé que le cardinal Fernández avait attribué une «bonté intrinsèque» à ce qui est «un péché grave» et commettait ainsi une «hérésie». Il est même aller jusqu’à suggérer que le préfet devait «démissionner ou être licencié».

Alors que jusqu’à présent les cardinaux était surtout présents pour donner leur quitus au pape, un vent de liberté, certains diront de fronde, semble désormais souffler sur le collège, comme un premier fruit de la synodalité voulue par le pape François. D’aucuns le jugeront amer.  (cath.ch/imedia/mp)

Maurice Page

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