L’Ukraine risque de devenir une «guerre oubliée»

«Nous sommes vivants et c’est déjà un miracle en soi», a assuré Mgr Sviatoslav Shevchuk, archevêque majeur de l’Église gréco-catholique ukrainienne. Il s’exprimait lors d’une conférence en ligne organisée le 14 février 2024 par la Fondation Aide à l’Église en Détresse (AED).

Cette réunion était proposée à l’occasion du 10e anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine, en partant de l’annexion russe de la Crimée et du conflit dans le Donbass ouvert en 2014 et non de l’offensive russe généralisée lancée le 24 février 2022 par Vladimir Poutine.

Le chef de l’Église gréco-catholique ukrainienne, porte-voix d’une communauté comptant plus de 4 millions de fidèles en Ukraine, mène depuis le début du conflit un plaidoyer intense pour la défense de la souveraineté de son pays. Lors de la conférence en ligne organisée par ACN/AED, il s’est encore inquiété du risque de voir l’Ukraine devenir une «guerre oubliée» en raison de la lassitude des médias. Mais il a souligné l’efficacité de la solidarité internationale, qui a «sauvé de nombreuses vies». Il a rappelé que «l’Ukraine vit la plus grande crise humanitaire en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale». Même si le risque de famine a été écarté, ce qui est un motif de consolation significatif.

Normalité trompeuse

Au-delà des pertes immédiatement liées aux combats – certaines sources évoquant notamment 70’000 morts et 120’000 blessés parmi les soldats ukrainiens – s’ajoutent les décès induits par le stress lié aux bombardements et aux pénuries. Présent lors de la rencontre, le nonce apostolique en Ukraine, Mgr Visvaldas Kulbokas, a relevé une forte augmentation des crises cardiaques, des cancers et des maladies auto-immunes.

Le diplomate a aussi remarqué que si ce conflit prend à Kiev l’allure d’une «guerre invisible» avec une apparence de normalité trompeuse dans la vie quotidienne, la menace devient plus concrète quand il entend le bruit des drones et des missiles, parfois en pleine messe. C’est toutefois «bon signe», a-t-il ironisé, car «si on les entend, c’est qu’ils sont suffisamment éloignés et ne peuvent pas nous atteindre».

Une attention particulière pour les prisonniers et les enfants

L’Église catholique tente notamment d’œuvrer en faveur des prisonniers, dont certains sont en captivité depuis sept ou huit ans. L’archevêque majeur a exprimé sa reconnaissance à l’égard du pape et du Vatican pour leur action en leur faveur. Il fournit chaque mois une liste de prisonniers et assure que le Vatican a permis la libération de certains d’entre eux.

La situation des enfants ukrainiens est également un enjeu essentiel. Plus de 500 d’entre eux ayant été tués et plus de 1000 blessés depuis le début de l’offensive russe, a rappelé Mgr Shevchuk. La mission du cardinal Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, en faveur des enfants ukrainiens déportés en Russie a eu des résultats limités, avec un seul cas documenté de retour d’un jeune en Ukraine.

Le nonce apostolique en Ukraine, Mgr Visvaldas Kulbokas, a reconnu que «les résultats sont vraiment minimes». Mais il a assuré que les dirigeants ukrainiens sont reconnaissants pour les efforts du Saint-Siège, menés conjointement avec le Qatar. La discrétion de la diplomatie pontificale est «difficile à comprendre» pour les familles concernées, a reconnu Mgr Kulbokas. Il a expliqué que le Saint-Siège œuvrait aussi à ce que des pays demeurés proches de la Russie puissent s’investir dans le soutien humanitaire à la population ukrainienne.

Il a par ailleurs expliqué que de nombreux prêtres et évêques rencontrés à travers le pays lui confiaient leur inquiétude de voir une génération entière grandir sans scolarisation physique depuis 2020. Les contraintes liées à la guerre ayant succédé à celles liées à la pandémie de Covid-19.

« Suis-je veuve? »

L’archevêque majeur a expliqué que les gréco-catholiques vivent discrètement leur foi dans les régions sous occupation russe, notamment à Donetsk. «Ils suivent des services par téléphone ou en ligne mais l’existence de notre Église est interdite. Dans les territoires sous occupation russe, pratiquer la foi catholique est de plus en plus difficile», a-t-il expliqué.

L’un des grands défis pastoraux de l’Église est d’accompagner les familles en deuil ou engagées dans le soin aux blessés, qui sont déjà plus de 200’000 à travers le pays. Une difficulté majeure concerne le cas des militaires prisonniers ou portés disparus. Mgr Shevchuk a notamment évoqué le cas déchirant d’une jeune femme de 23 ans, avec deux enfants à charge et un mari parti au front sans laisser de traces. «Suis-je veuve? Dois-je prier pour mon mari en considérant qu’il est encore vivant, ou en considérant qu’il est mort?», lui a-t-elle demandé, sans qu’il ne puisse lui offrir de réponse claire et rassurante. C’est une «constante torture psychologique et spirituelle», a expliqué le chef de l’Église gréco-catholique.

D’une façon générale, il remarque que «la majorité des familles ukrainiennes vivent en situation de séparation, avec les hommes dans l’armée, et les femmes avec les enfants vivant en dehors de leurs foyers, ailleurs en Ukraine ou à l’étranger», ce qui crée des décalages parfois insurmontables, a-t-il relevé. «La très forte augmentation des divorces constitue ainsi le plus grand challenge pour moi, en tant que prêtre, aujourd’hui», a confié Mgr Shevchuk. (cath.ch/imedia/ak/rz)

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