Le point, cinq ans après le Sommet sur les abus dans l’Église

Le 21 février 2019 s’ouvrait au Vatican un sommet sur les abus. Cet événement historique a été suivi de la publication du motu prorio Vos estis lux mundi, qui renforce la responsabilité des évêques et des supérieurs religieux dans la gestion de ces affaires. Si, depuis, le pape et le Vatican ne sont pas restés inactifs, beaucoup reste à faire. Rappel chronologique en seconde partie d’article.

Du 21 au 24 février 2019, quelque 190 participants, de tous les continents, se sont retrouvés au Vatican pour un sommet sur les abus dans l’Église convoqué par le pape François. Dès l’ouverture, celui-ci a appelé à «des mesures concrètes et efficaces» dans la lutte contre les abus. Le sommet a eu lieu alors que le pontificat de François venait d’être ébranlé, en 2018, par une grave crise au Chili, où les évêques avaient donné leur démission en bloc sur fond de scandales de pédophilie et de dissimulation opérées par la hiérarchie.

Le point de départ d’une série de réformes

Divers experts sont intervenus à ce sommet international tenu en présence des présidents des conférences épiscopales du monde entier. Mais aussi des victimes, dont les témoignages ont fortement marqué l’assemblée. Cet événement a été le point de départ d’une série de réformes: outre Vos estis lux mundi et sa mise en jour en 2023, on peut citer l’abolition du secret pontifical en matière de violences sexuelles commises par des clercs sur des mineurs, la mise en place d’un groupe de travail pour soutenir les évêques, une révision du code de droit canon, et un guide de bonne conduite face à un cas d’abus publié par la Doctrine de la foi.

«Il y un clairement un changement positif. Depuis quelques années, j’ai été contactée par de nombreuses congrégations religieuses qui veulent faire bien les choses», a confié une experte à I.media. Le pontife argentin «a eu des prises de conscience, assumé des responsabilités, pris des décisions», constatait pour sa part le prêtre missionnaire d’Afrique Stéphane Joulain, consultant sur la prévention des abus auprès de congrégations religieuses.

Des failles, des lenteurs et tiédeurs

Mais le pontificat souffre toutefois de critiques des victimes dénonçant une certaine lenteur ou tiédeur dans la prise de décision. Le choix du pape de ne pas enquêter en profondeur sur le cardinal Marc Ouellet, ou encore son silence sur le cas du jésuite Marko Rupnik, accusé de graves abus, ont été pointés du doigt. 

Le travail de la Commission pour la protection des mineurs a également été remis en question, certains jugeant qu’elle avait offert peu de résultats concrets. En mars 2023, la démission fracassante du Père Hans Zollner de la commission, accusant celle-ci de défaillances et de manque de transparence, a souligné les dysfonctionnements de cette structure créée en 2014. Par la suite, la commission a fait des efforts de communication autour de ses initiatives. 

Une vingtaine d’employés pour étudier 1000 cas

Dans l’Église, certains s’étonnent aussi du manque de moyens alloués au traitement des dossiers qui remontent à Rome. En 2020, par exemple, plus de 1000 nouveaux cas étaient parvenus sur les bureaux de la section disciplinaire du dicastère pour la Doctrine de la foi. Or cette section compte moins d’une vingtaine d’employés. 

En outre, il est à souligner que les chiffres de la lutte étaient auparavant publiés dans l’Annuaire statistique mais que cette pratique a cessé depuis quelques années. On attend par ailleurs l’état des lieux mondial de la lutte contre les abus, commandité par le pape à la Commission pour la protection des mineurs au printemps 2022.


Retour en 20 dates sur les avancées et les limites de l’action du Saint-Siège et du pape François, depuis le sommet sur les abus de 2019

21 février 2019: À l’initiative du pape, 190 participants venus de tous les continents – présidents de conférences épiscopales, chefs des Églises catholiques orientales, supérieurs de congrégations religieuses et prélats de la Curie romaine – se réunissent au Vatican pour mener une «bataille totale» contre les abus sexuels dans l’Église. Ce sommet historique – où des victimes ont pu livrer des témoignages glaçants – ne débouche pas immédiatement sur des annonces concrètes mais dresse des perspectives à mettre en œuvre.

9 mai 2019: Par le motu proprio Vos estis lux mundi, tous les clercs et religieux sont obligés de dénoncer à l’autorité supérieure les abus dont ils auraient connaissance, et ce sans délai. Parmi les autres mesures figure l’obligation pour chaque diocèse du monde de mettre en place un ou des «dispositifs stables et facilement accessibles» afin de permettre le signalement d’abus sexuels sur mineurs.

Dans le sillage de la loi du 4 juin 2016, le Vatican met sur pied une procédure pour enquêter sur des évêques ou supérieurs soupçonnés de crimes ou de couverture de crimes. Elle prévoit que l’archevêque métropolite – qui coordonne les évêques d’une même province – puisse enquêter en 90 jours, en lien avec Rome. Si le métropolite est lui-même impliqué, c’est l’évêque le plus ancien de la province qui doit s’en charger. Un an après la publication du motu proprio, un évêque américain, accusé d’avoir couvert des abus entre 2013 et 2015, démissionne, après une enquête régie par Vos estis lux mundi.

17 décembre 2019: Dans un rescrit, le pape François abolit le secret pontifical en matière de violences sexuelles commises par des clercs sur des mineurs, des personnes vulnérables ou placées sous leur autorité. Les procès canoniques étaient jusqu’alors couverts par le secret absolu, y compris vis-à-vis des victimes qui ne sont entendues que comme témoins. Ce degré très haut de confidentialité a été critiqué à plusieurs reprises lors du Sommet sur la protection des mineurs, réuni fin février au Vatican. Le pape demande par ailleurs une collaboration renforcée avec les tribunaux civils.

28 février 2020: Un an après le sommet sur les abus, le Vatican met en place un groupe de travail formé d’experts pour aider les conférences épiscopales et instituts religieux à élaborer ou mettre à jour des lignes directrices en matière de protection des mineurs.

29 juin 2020: Publiée dans le quotidien italien La Repubblica le 29 juin, une tribune signée par 635 fidèles polonais interpelle le pape François après les révélations sur des abus sexuels en Pologne. «Saint-Père François! Réparez notre Église!» «Nous vous en supplions, écrivent-ils, regardez avec sollicitude l’Église en Pologne, où des cas de pédophilie se sont produits, où la loyauté envers l’institution est aveugle et sourde, plus importante que le bien des victimes.» Le pape en a été informé, assure le Bureau de presse du Saint-Siège le lendemain. 

16 juillet 2020: Autre fruit du sommet sur les abus, la Congrégation pour la doctrine de la foi publie un vademecum ayant pour objectif d’«accompagner et guider pas à pas quiconque doit chercher la vérité» face à un cas d’abus de mineurs. Non normatif, le texte de 17 pages est à la disposition des évêques, des supérieurs religieux, des tribunaux ecclésiastiques, des juristes et des responsables des centres d’écoute mis en place par les conférences épiscopales. Il vise à clarifier la législation du Saint-Siège afin de permettre aux différents responsables de réagir adéquatement s’ils viennent à devoir gérer une situation d’abus.

L’ancien cardinal Theodore McCarrick a abusé de personnes mineures et majeures | © flickr/usipeace/CC BY-NC 2.0

10 novembre 2020: Publication du Rapport sur la connaissance institutionnelle et le processus décisionnaire du Saint-Siège concernant l’ex-cardinal Theodore Edgar McCarrick (1930-2017). Épais de 445 pages, ce document inédit demandé par François retrace la façon dont l’ancien haut prélat américain a brillamment évolué dans la hiérarchie de l’Église depuis le pontificat de Paul VI, jusqu’à devenir archevêque de Washington, malgré les allégations d’abus sexuels qui pesaient sur lui.

23 mai 2021: Le pape François opère une révision majeure d’un chapitre du code de droit canon portant sur les sanctions graves. Elle vise à adapter le droit de l’Église au monde contemporain et à rééquilibrer le rapport entre justice et miséricorde «qui a parfois été mal interprété», entraînant un climat de «laxisme». Les abus sur une personne mineure sont désormais clairement inscrits dans le code.

10 juin 2021: «Toute l’Église est en crise à cause du problème des abus», affirme le pape François dans une lettre de trois pages adressée au cardinal Reinhard Marx , le 10 juin 2021. Au-delà du cas personnel de l’archevêque de Munich-Freising – dont le pape refuse la démission -, l’évêque de Rome invite toute l’Église à reconnaître ses erreurs et son péché. «En tant qu’Église, nous devons demander la grâce de la honte», confie-t-il, estimant que «chaque évêque» doit assumer la crise «et se demander: «Que dois-je faire face à cette catastrophe?»

26 juin 2021: Dans la ligne de Vos estis lux mundi, le Vatican envoie un évêque pour «vérifier la négligence» ou non du cardinal Stanisław Dziwisz pendant son mandat d’archevêque de Cracovie. L’enquête conclura en avril 2022 que le haut prélat n’a pas commis de faute dans le traitement de cas d’abus sexuels commis par des membres du clergé. Le lendemain, 27 juin, le pape François accepte la démission de Mgr Zbigniew Kiernikowski, évêque de Legnica, qui aurait couvert plusieurs prêtres ayant commis des abus sexuels.

5 octobre 2021: C’est «avec douleur» que le pape François a pris connaissance du contenu du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) en France, annonce le Vatican, alors que la France découvre que près de 216’000 personnes ont été abusées par des clercs ou des religieux depuis 1950. «C’est le moment de la honte», dira-t-il publiquement le lendemain lors de l’audience générale. 

Le 5 octobre 2021, Jean-Marc Sauvé remettait le rapport de la CIASE à Mgr de Moulins-Beaufort, président de la CEF | © KEYSTONE/Thomas Coex, Pool via AP

9 décembre 2021: Alors qu’il était convenu depuis l’été 2021 que le pape recevrait les membres de la Ciase après la parution du rapport, la rencontre est ajournée sine die. Le Vatican, qui n’avait pas officialisé cette audience, ne fait aucun commentaire. Mgr Éric de Moulins Beaufort, président de la Conférence des évêques de France et favorable à cette rencontre, explique qu’il s’agit d’une affaire d’agenda. Mais l’audience n’a depuis jamais été re-programmée. Certains arguent que le Vatican serait mal à l’aise à l’idée de recevoir les membres d’une commission dont les investigations et les préconisations seraient allées trop loin.

16 juin 2022: Il devait faire partie des 21 nouveaux cardinaux créés par le pape François en août 2022. Mais quelques jours après l’annonce de sa nomination, Mgr Luc Van Looy, évêque émérite de Gand (Belgique), demande au pape argentin de le dispenser de son cardinalat. Des victimes ont en effet réagi à la nouvelle de cette distinction et accusent l’évêque d’avoir couvert des abus. Le pape accepte la requête de l’évêque. 

18 août 2022: Le pape François déclare «qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour ouvrir une enquête canonique pour agression sexuelle par le cardinal Ouellet». Quelque jours plus tôt, le 16 août, une action collective a été déposée au Canada, dont un témoignage accuse le cardinal Marc Ouellet d’agression sexuelle entre 2008 et 2010. Celui-ci portera plainte pour diffamation. Mais la décision du pape de ne pas enquêter en profondeur a été critiquée par les observateurs. 

25 mars 2023: Trois ans après la publication du motu proprio Vos estis lux mundi pour traiter les cas d’abus commis au sein de l’Église, le pape promulgue une «mise à jour» de ces normes. Parmi les nouveautés, la place des laïcs dans les procédures de signalement est renforcée. Les modérateurs des associations de fidèles reconnues par le Saint-Siège sont désormais eux aussi tenus d’appliquer les normes. La loi précise que les adultes peuvent être considérés comme vulnérables aux abus en fonction de la situation dans laquelle l’abus a été perpétré – prenant en compte les liens de hiérarchie et d’autorité. La Curie romaine est aussi plus impliquée dans le traitement des signalements. Enfin, de véritables bureaux «accessibles» sont exigés afin de recevoir les signalements dans les diocèses. 

Le jésuite Hans Zollner était membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs depuis 2014 | © Vatican Media

29 mars 2023: Le jésuite Hans Zollner démissionne à grand fracas de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, critiquant le manque de transparence au sein de cette instance et des dysfonctionnements structurels. Un départ qui ne manque pas de faire couler de l’encre, puisque le prêtre allemand de 56 ans est un expert reconnu sur les questions de pédocriminalité. Dans un communiqué diffusé le lendemain, le cardinal Sean O’Malley, président de la commission, se dit «surpris, déçu, et en profond désaccord» avec lui. Cette passe d’arme soulève des questions sur la mission confiée par le pape à cette commission «anti-abus», dont le spectre n’a cessé de s’élargir au fil des ans. Devant l’ampleur de la tache, certaines voix jugent que la structure ne possède pas suffisamment de moyens.

23 septembre 2023: Comme une réponse aux accusations d’opacité, la Commission pontificale pour la protection des mineurs publie pour la première fois un communiqué de conclusion après son assemblée plénière du 20 au 22 septembre, pour rendre compte de ses travaux. Par la suite, la commission fera part également des accords de collaboration qu’elle a signés avec des dicastères de la Curie romaine.

27 octobre 2023: Renonçant à la prescription, le pape François demande au dicastère pour la Doctrine de la foi «d’examiner» le cas du Père Marko Rupnik, célèbre mosaïste slovène – ancien jésuite exclu de la Compagnie de Jésus – accusé de graves abus  dans les années 1980-2000. Le pontife a pris sa décision après que la Commission pontificale pour la protection des mineurs lui a signalé de «graves problèmes dans le traitement de l’affaire du Père Rupnik et le manque de proximité avec les victimes».

28 novembre 2023: Le pape reçoit à sa résidence Sainte-Marthe 21 victimes d’abus sexuels de l’ouest de la France. «Au nom de l’Église, je vous demande pardon», déclare-t-il devant eux. Dans un discours à des communicants d’organismes catholiques de l’Hexagone, le 12 janvier suivant, le pape évoque la crise qu’a traversée l’Église de l’Hexagone depuis la publication du rapport de la CIASE sur les abus en 2021. «Je sais qu’après la honte du scandale des abus, l’Église en France vit un chemin de purification», écrit-il. 

«Je nie catégoriquement les allégations rendues publiques», a déclaré le cardinal canadien dans une vidéo diffusée le 30 janvier 2024 | Archidiocèse du Québec/Capture-écran Archidiocèse du Québec/Capture-écran Youtube

26 janvier 2024: Accusé de gestes déplacés sur mineur, le cardinal canadien Gérald Cyprien Lacroix suspend provisoirement ses activités. L’archevêque de Québec, nie «catégoriquement» les accusations mais assure qu’il respectera le processus judiciaire de l’action collective en cours dans son diocèse. Une mise en retrait qui ne l’empêchera pas de participer à la réunion du Conseil des cardinaux – dont il est membre – les 5 et 6 février.  (cath.ch/imedia/hl/ak/lb)

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