Jean Paul II suscite l’enthousiasme et la fierté nationale en Croatie

Visite du pape Jean Paul II en Croatie

Un demi million de Croates pour la béatification controversée du cardinal Stepinac

De notre envoyée spéciale Anita Sanchez Bourdin, APIC/Imedia

Zagreb, 4 octobre 1998 (APIC) Plus d’un demi million de Croates enthousiastes ont salué samedi le pape Jean Paul à Marija Bistrica, le sanctuaire marial national croate situé à quelque 25km de Zagreb. Le pape, en présence du président croate Franjo Tudjman, entouré d’un bon millier de prêtres portant une étole rouge, couleur du martyre, et de quelque 80 cardinaux et évêques venus de toute la Croatie et de l’étranger, a béatifié le cardinal Alojzije Stepinac (1898-1960), une figure controversée, lors d’une cérémonie qui avait des allures de fête nationale.

Malgré le temps maussade, de nombreux pèlerins, surtout des jeunes, ont fait le déplacement à pied et passé la nuit dehors. Parmi la foule, des catholiques de Bosnie-Herzégovine, de Slovénie, d’Autriche, de Hongrie et d’Italie, qui n’ont pas hésité à braver les distances et des frontières devenues de plus en plus hermétiques. Beaucoup de Croates sont venus vêtus du costume national, avec force fanions et bannières. Ils tenaient à rendre hommage au cardinal Stepinac, victime du communisme et héros national pour la grande majorité d’entre eux, personnage qualifié pour le moins d’ambigu – notamment par des milieux serbes et juifs – pour son attitude dans l’Etat croate indépendant des oustachis allié aux nazis. Le rôle réel joué durant la guerre par nouveau bienheureux doit cependant encore être étudié dans la sérénité par des historiens dépourvus de parti pris.

De l’imposante cérémonie de béatification sur l’esplanade du sanctuaire de Marija Bistrica, où un immense portrait du cardinal Stepinac avait été dressé près de l’autel, émanait une forte dimension symbolique: il y a 52 ans jour pour jour, le 3 octobre 1946, Stepinac, accusé d’être un ennemi du peuple et un traître, présentait son célèbre témoignage devant ses juges communistes. « Non pas un plaidoyer pour sa défense, comme l’a rappelé lors de la cérémonie l’actuel archevêque de Zagreb, Mgr Josip Bozanic, mais une profession de foi pour les choses sacrées auxquelles il croyait, qu’il défendait et pour lesquelles il était prêt à mourir à tout instant ».

Deuxième évêque martyr du communisme béatifié par Jean Paul II

Même s’il n’a pas directement versé son sang, Stepinac, mort en résidence surveillée en 1960, est considéré comme martyr du régime communiste. C’est le deuxième évêque élevé pour cette raison à la gloire des autels par Jean Paul II, après la béatification de l’évêque bulgare Eugène Bossilkov, en mars dernier à Rome.

Pour l’Eglise catholique croate et le pape Jean Paul II, le cardinal Stepinac devient ainsi pour tous une invitation au « pardon » et à la « réconciliation ». Jean Paul II, invitant les fidèles à « se purifier la mémoire », affirme que cette béatification constitue un moment historique dans la vie de l’Eglise de la nation croate.

Mgr Stepinac, nommé archevêque de Zagreb en 1937, a vécu un martyre non sanglant, car « il n’a pas versé son sang au sens strict », a reconnu Jean Paul II. Mais sa mort, explique-t-il, a été causée « par les longues souffrances qu’il a subies » depuis 1945, date de l’arrivée au pouvoir en Yougoslavie des communistes de Tito. « Il a participé, affirme le pape, de façon singulière au Mystère pascal ».

Un siècle marqué par les trois grands maux du fascisme, du nazisme et du communisme

Les 15 dernières années de sa vie, explique le pape, furent « une suite continuelle de vexations au milieu desquelles il exposa sa vie avec courage pour témoigner de l’Evangile et de l’unité de l’Eglise ». Il s’était en effet opposé à la demande du maréchal Tito de former une Eglise catholique nationale yougoslave indépendante de Rome. Le pape place le cardinal Stepinac dans la lignée des martyrs de la région, depuis les premières persécutions romaines, en passant par celle des Turcs « La personne du nouveau bienheureux, dit-il, fait pour ainsi dire la synthèse de l’entière tragédie qui a frappé les populations croates et l’Europe au cours de ce siècle marqué par les trois grands maux du fascisme, du nazisme et du communisme ».

Le pape, qui ne fera pas d’autres allusions au régime fasciste oustachi – un régime dont, selon ses détracteurs, le cardinal Stepinac aurait été un fervent thuriféraire – a cité dans ce cadre une intervention du nouveau bienheureux. En 1943, en effet, l’archevêque de Zagreb condamnait les massacres en Croatie: « Quel système l’Eglise catholique soutient-elle aujourd’hui alors que le monde entier est en train de se battre pour un nouvel ordre mondial? Nous, en condamnant toutes les injustices, tous les massacres d’innocents, tous les incendies de villages tranquilles (…), nous répondons ainsi: l’Eglise soutient ce système qui n’a pas été écrit sur des tables corruptibles, mais a été écrit par le doigt du Dieu vivant dans la conscience des hommes ».

Le mot est lâché. Jean Paul II voit en Stepinac un homme qui est allé jusqu’au bout des interpellations de sa conscience, sans compromis avec la « vérité ». C’est pourquoi, explique Jean Paul II, il a affronté la souffrance plutôt que de trahir sa propre conscience et ne pas tenir la parole donnée au Christ et à l’Eglise. Et de souligner que l’archevêque de Zagreb ne fut pas le seul: il y eut une « foule d’âmes généreuses » qui, à la même époque, luttèrent pour « l’unité de l’Eglise » et sa « liberté », en acceptant de « payer un lourd tribut de prison, de mauvais traitements, et même de leur sang ». Aussi ne suffit-il pas, pour le pape, de méditer leur exemple. Il faut aussi suivre le chemin de la « réconciliation » et du « pardon » qu’ils indiquent. Il invite les fidèles à « purifier leur mémoire ». « Pardonner et se réconcilier, dit-il, veut dire se purifier la mémoire de la haine, des rancœurs, des envies de vengeance ; cela veut dire, ne pas se laisser vaincre par le mal, mais vaincre le mal par le bien ». Pour Jean-Paul II, en effet, Stepinac peut être une « boussole » qui aide à s’orienter.

Un accueil « à la polonaise »

C’est un accueil « à la polonaise » que les Croates avaient réservé la veille à Jean-Paul II pour son 84ème voyage apostolique à l’étranger, qui avait pour thème « Vous serez mes témoins » (un thème choisi par la Conférence épiscopale croate). Le pape, lui-même en forme, a su tout de suite établir un contact avec la foule, loin des polémiques. Il prononce le nom de Stepinac dès son arrivée et le cite à plusieurs reprises. La fête n’est troublée par aucune manifestation. Pour le pape, il s’agit de continuer son « pèlerinage de foi, d’espérance et de paix » commencé en 1994, lors de son premier voyage en Croatie – la guerre battait alors son plein dans la région – et de favoriser ainsi la « réconciliation » dans le contexte d’une Europe pluri-ethnique et pluri-culturelle.

A son arrivée vendredi soir à Zagreb sur la place du Kaptol, la colline où se trouve la cathédrale qui abrite le tombeau du cardinal Stepinac, une foule en liesse l’attendait. Beaucoup, en majorité des jeunes, étaient là depuis plus de 4 heures. « Paix à vous! » Détendu, parlant très bien le croate – il glisse de temps à autre des expressions typiques du parler régional – le pape a d’emblée suscité l’enthousiasme de la foule en prenant le temps de saluer différentes catégories sociales qui répondaient en applaudissant: paysans, ouvriers, ménagères, marins, pêcheurs, employés, représentants du monde de la culture et de la science, jeunes, personnes âgées, malades.

La Croatie fait partie de l’Europe

Jean-Paul II a d’emblée insisté sur la vocation de la Croatie à travailler à la « coexistence » pacifique entre des cultures différentes. Une thématique qui lui est chère, spécialement dans les Balkans. On a retrouve là la veine de son voyage à Sarajevo en décembre 1997. Le pape s’est dès le départ félicité de la paix retrouvée par le pays, tout en parlant des « soins » à apporter aux « blessures profondes dues au conflit » et de « réconciliation authentique entre toutes les composantes ethniques, religieuses et politiques de la population, en vue d’une démocratisation toujours plus grande de la société ».

Elargissant l’horizon à toute la région, il a lancé: « Puisse la Croatie devenir avec la région entière une demeure de paix, d’une paix vraie et durable, qui suppose toujours la justice, le respect des autres, la coexistence entre des personnes et des cultures diverses ». Pour le pape – il l’a dit dès son arrivée à l’aéroport -, la Croatie fait « partie intégrante de l’Europe » et elle a tourné « définitivement » ce qu’il appelle « une page douloureuse de son histoire ». Selon lui, il ne s’agit pas de la dernière guerre seulement, mais de toutes les « tragédies terribles du XXe siècle ».

Dénonçant non seulement les « conséquences de la guerre » mais aussi la « mentalité qui s’est formée pendant le régime communiste », le pape a invité les nombreux jeunes présents à faire preuve d’esprit critique, et citant leur cardinal Stepinac, il leur a dit que « les patriotes les plus grands ne sont pas ceux qui crient le plus fort, mais au contraire, ceux qui accomplissent la loi de Dieu de la façon la plus consciencieuse ». Le pape voulait, semble-t-il, par le choix de cette citation, recentrer son voyage sur l’Evangile du Christ, et prendre ses distances par rapport à un certain nationalisme qui voudrait bien « récupérer » à son profit la béatification de Stepinac, comme le fait si habilement le président Franjo Tudjman. (apic/asb/imedia/ika/kap/kna/be)

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