Barbara Jatta veut «ouvrir à tous» les Musées du Vatican

À la tête des célèbres Musées du Vatican depuis 2016, l’Italienne Barbara Jatta se confie sur son lien à la France, ses projets en vue du Jubilé 2025 ainsi que sur la place des femmes au Vatican.

La très francophile Barbara Jatta a reçu la Légion d’honneur le 12 mars 2024 à l’ambassade de France près le Saint-Siège, à Rome. Elle vient d’engager une réforme pour décongestionner les galeries des Musées – qui ont accueilli plus de 5 millions de visiteurs en 2022.

Vous avez reçu la plus haute décoration française. Quelle est la nature de votre lien avec la France?
Barbara Jatta: Il n’y a pas de doute qu’il s’agit d’un lien très fort. J’ai passé mon enfance et mon adolescence en France, parce que ma mère était très francophile. Le français est ma deuxième langue après l’italien. J’ai passé beaucoup de vacances à Aix-en-Provence, à Lyon, à Paris. Je suis aussi allée à des camps organisés en Savoie par des jésuites de Meudon et de Versailles. Pendant mon adolescence et mes années universitaires, ma formation est également passée par les grandes expositions de la Villa Médicis sur Ingres, Géricault, Corot…. Plus tard, mon intérêt pour le monde français m’a conduit à faire beaucoup de collaborations avec la France, et j’ai eu par ailleurs le privilège d’être nommée dans le comité scientifique du Louvre.

Vous êtes souvent citée comme une des principales représentantes de la féminisation des postes à hautes responsabilités de la Curie romaine. Observez-vous un réel changement sur ce point dans la Cité du Vatican? Les femmes ont-elles plus de place? Et les laisse-t-on exprimer pleinement leur potentiel?
Il n’y a aucun doute, et c’était déjà vrai depuis le pontificat de Benoît XVI. Il m’avait nommée conservatrice des estampes quand je travaillais à la Bibliothèque apostolique vaticane. Ce changement avait même déjà commencé sous Jean Paul II. C’est le reflet visible de l’évolution de notre société occidentale et européenne. Et le pape François a indéniablement eu une action forte dans cette direction. Ce n’est donc pas que moi: beaucoup de femmes occupent aujourd’hui des postes à responsabilité au Vatican.

« Nous voulons essayer d’accueillir tous ceux qui voudront venir »

Un exemple simple: quand je suis rentrée à la Bibliothèque vaticane en 1996, j’étais seulement la troisième femme, et l’unique mère. Vingt ans plus tard, quand j’en suis partie, nous étions 50% de femmes. Et en arrivant aux Musées du Vatican, le personnel était déjà féminin pour la moitié. La société a donc beaucoup changé! Et le Vatican est l’expression de la société contemporaine.

L’année 2025 est une année jubilaire, qui devrait faire venir encore plus de visiteurs à Rome et dans les Musées. Préparez-vous quelque chose pour accueillir ces pèlerins du monde entier?
Nous attendons beaucoup de visiteurs et nous avons déjà anticipé cet afflux en mettant en place des nouvelles règles entrées en vigueur cette année, avec notamment des horaires d’ouverture étendus pour essayer de rendre la visite agréable pour tout le monde, et d’autres dispositifs pour réguler les flux.

Les musées représentent une grosse source de revenus pour l’Etat du Vatican | © Armando/Flickr/CC BY-NC 2.0

Et comme nous voulons essayer d’accueillir tous ceux qui voudront venir, nous planifions d’autres extensions horaires. Nous préparons aussi de nombreuses initiatives et expositions pour faire vivre le Jubilé, notamment avec l’ambassade de France auprès du Saint-Siège. C’est un projet encore en cours de conception qui implique notamment le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille et diverses autres institutions du Vatican, notamment la Bibliothèque apostolique vaticane. Il s’agira d’un des centres d’intérêt des Musées lors du Jubilé.

Les militants écologistes qui ont abîmé la célèbre statue du Laocoon, dans les Musées du Vatican, ont fait appel de leur condamnation en brandissant Laudato si’, l’encyclique verte du pape François. Au-delà de cette procédure en cours, de nombreux actes de vandalisme frappent les musées ces dernières années. Comment analysez-vous ce phénomène?
Ce que je peux vous répondre, c’est que grâce à Laudato si’ (2015) ou encore à Laudate Deum (2023), la Cité du Vatican a engagé un vrai virage écologique. Nous avons des objectifs à plus ou moins long terme, notamment l’élimination des émissions carbone d’ici 2050. Et les Musées du Vatican font leur part. Cela passe notamment par de nouvelles pratiques viables d’un point de vue écologique. Par exemple, le fait de limiter les prêts d’oeuvres trop encombrantes ou trop lointains pour éviter d’avoir un coût écologique de déplacement élevé, comme c’est le cas quand une œuvre est transportée en avion.

Les Musées du Vatican | © Martin Hapl/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0

En 2022, le pape François a fait don à la Grèce de fragments du Parthénon qui appartenaient à la collection des Musées du Vatican. D’autres restitutions sont-elles à prévoir?
Attention, il ne s’agit pas de restitution, mais bien d’un don fait par le pape au peuple de Grèce par l’intermédiaire de l’archevêque orthodoxe d’Athènes, Hyéronyme II. Sur ces questions, le pape est le souverain de notre État, et il dispose des biens comme il le souhaite, et ce genre de dons a une signification symbolique importante. Mais ce ne sont pas les Musées qui décident de ce genre de choses. Je tiens à souligner en outre que notre collection ethnographique ou antique n’est pas une collection coloniale ou acquise illégalement. Elle n’est constituée que de dons faits aux papes au cours des siècles.

Un des grands enjeux des Musées du Vatican, en termes d’aménagement, semble être la gestion des flux de visiteurs, parfois trop nombreux dans une même salle. Comment envisagez-vous de désengorger les Musées?
Nous avons pris au sérieux ce problème, en l’abordant sous toutes ses facettes, du point de vue sécuritaire, économique, logistique, du personnel ou encore technologique. Nous avons étendu les horaires d’ouverture depuis le début de l’année [jusqu’à 17h pour la dernière entrée en période basse, et jusqu’à 18h en période haute, NDLR]. Les billets sont attribués pour un certain horaire, de sorte qu’il n’est pas possible de rentrer en dehors de la plage horaire prévue. Nous sommes très stricts sur ce point – sauf cas particulièrement exceptionnels, bien entendu. C’est la garantie d’une visite plus agréable.

« Nous espérons que le phénomène de revente sera totalement éradiqué »

L’autre changement est la mise en place de billets nominatifs qui doivent empêcher la revente de nos billets à des prix plus élevés. Nous espérons que ce phénomène de revente sera totalement éradiqué, pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de gains illicites liés à cette activité. Il s’agit pour nous de partager ce patrimoine unique avec le plus de personnes sans interférence.

Serait-il possible de lutter contre l’effet de goulot d’étranglement que génère la présence de la chapelle Sixtine à la fin du parcours, par exemple en séparant la visite de la chapelle Sixtine de la visite du reste des Musées?
La chapelle Sixtine a une porte qui fait un peu moins d’un mètre, donc le problème resterait toujours le même pour ceux qui souhaiteraient s’y rendre. L’allongement des horaires et les billets nominatifs, le suivi des déplacements des visiteurs depuis une salle de contrôle pour permettre de mieux gérer les flux fait qu’un nombre raisonnable de personnes peut circuler déjà plus harmonieusement qu’avant dans les Musées.

Les revenus des Musées contribuent considérablement au fonctionnement de la Cité du Vatican et du Saint-Siège. Percevez-vous cela comme une responsabilité supplémentaire?
Oui, mais clairement cette dimension est prise en compte et supervisée par la présidence générale de l’État du Vatican. C’est sans doute un aspect sous-évalué. Et dans le même temps, le billet que nous proposons, à 20 euros, n’est probablement pas si cher pour ce à quoi il donne accès, surtout si on compare avec les autres musées. Cela correspond à notre objectif de rendre ce patrimoine unique le plus accessible possible et de le partager avec le plus de personnes possible. Nous avons des tarifs réduits pour les étudiants, les pèlerins, et pour beaucoup d’autres, afin que les Musées soient ouverts à tous. (cath.ch/imedia/cd/rz)

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