La Commission d’enquête sur les Foyers de charité rend son tablier

Après des mois de difficultés et d’obstacles récurrents, la commission d’enquête indépendante sur les abus au sein des Foyers de Charité a décidé de rendre son tablier. Ses membres ont annoncé leur démission collective le 18 mars 2024, refusant de se soumettre aux exigences des deux délégués pontificaux quant à la leur liberté de travail.

Formée il y a un an, en mars 2023, confirmée dans son rôle, ses objectifs et sa méthode, par une lettre de mission de Mgr Michel Dubost (alors délégué pontifical des Foyers de charité NDLR) datée du 13 avril, la commission s’est immédiatement attelée à la tâche. Un budget prévisionnel a été élaboré et soumis aux Foyers de Charité, explique le communiqué de la commission.

Hostilité des responsables

Une première mission a été conduite au siège de la Fondation à Châteauneuf-de-Galaure. En parallèle, le 22 août la commission a rencontré en visioconférence les visiteurs apostoliques mandatés pour se pencher sur la vie des Foyers. De multiples réunions de travail ont été tenues. Plusieurs témoins, victimes et experts ont été auditionnés. Un considérable travail collectif de lecture et de documentation a été conduit.

«A maintes reprises pourtant, nous nous sommes heurtés à des manifestations d’hostilité de la part de milieux liés aux Foyers de Charité, notamment à des informations diffamatoires à l’égard d’Alessandra Pozzo», présidente de la commission, dénonce le communiqué.

Une enquête stoppée depuis décembre 2023

L’enquête s’est arrêtée, depuis le 1 décembre 2023, à la suite du refus opposé par le président de la fondation des Foyers de Charité, François Jaclot, à la convention de recherche établie avec l’École Pratique des Hautes Etudes, établissement où deux des membres de la commission sont enseignants-chercheurs. Pour justifier ce refus, François Jaclot a mis en avant des exigences qui remettaient fortement en cause la liberté d’enquête, les conditions de sa réalisation et celles de sa diffusion, indique le communiqué.

Le 22 janvier 2024, lors d’une réunion avec les trois délégués pontificaux destinée à soumettre les critères nécessaires à la reprise des travaux de la commission, «nous avons été les témoins impuissants des fortes dissensions qui s’exprimaient entre nos interlocuteurs, dissensions auxquelles nous avons eu la conviction que notre commission servait de prétexte».

Lors d’une nouvelle rencontre le 8 mars, les deux délégués pontificaux des Foyers de Charité, M. Laurent Landete et Soeur Christine Foulon (qui ont remplacé Mgr Dubost en février 2024 NDLR) ont conditionné la reprise du travail: 1) au fait que la commission ne soit plus désignée comme une «commission d’enquête»; 2) à la remise en question de sa direction par Alessandra Pozzo. Ce que la commission n’a pas accepté.

Une indépendance remise en cause

Pour les membres de la commission, engagés à titre bénévole, l’indépendance et la liberté de recherche sont les fondements de leur travail. «Ces règles élémentaires ont été exigées par les commissions indépendantes qui ont précédé la nôtre depuis quelques années. Nous constatons aujourd’hui qu’elles ne sont pas réunies en ce qui nous concerne. Nos interlocuteurs affirment vouloir nous mandater, mais nous refusent les conditions dans lesquelles nous pourrions exercer ce mandat.» «A la suite d’une réunion plénière tenue le 18 mars 2024 par visioconférence, nous avons donc décidé à l’unanimité de mettre fin à notre activité en tant que commission d’enquête sur les abus commis au sein des Foyers de Charité.» (cath.ch/com/mp)  

Marie-Jo Thiel : «On s’est servi de nous»
«Nous n’avons  pas été écoutés, ni suivis, on s’est servi de nous», a confié à cath.ch Marie-Jo Thiel, une de membres de la commission d’enquête. Elle rappelle que les Foyers de charité ne dépendent pas des évêques, ni de la conférence des religieux (CORREF), mais du Dicastère romain pour les laïcs. Or le délégué pontifical Laurent Landete est précisément membre de ce dicastère. Ce qui rend la situation complexe et délicate. «Les obstructions ne sont absolument pas venues de Mgr Dubost», tient à préciser l’ancienne professeure de Strasbourg.
«Nous avons appris pas mal de choses qui montrent la profondeur du problème et les dissensions internes à l’œuvre des Foyers de Charité. Mais nous n’avons pour l’heure pas décidé ce que nous ferons de ce matériel. Nous sentons qu’il y a de gros intérêts de pouvoir, mais aussi matériels et financiers.»
«Nous avons eu des témoignages d’abus de pouvoir, spirituel ou sexuels dans pratiquement tous les foyers, relève la chercheuse. Le statut des ‘Pères’ placés à la tête des foyers est un facteur de risque spécifique.»
Pour Marie-Jo Thiel, la réaction devrait venir du Dicastère pour les laïcs puisqu’il est l’autorité compétente. MP

Maurice Page

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