Crises climatiques, comment servir la vie quand tout s’effondre

Comment répondre à ceux qui sont atteints d’éco-anxiété? En contemplant avec eux la crise environnementale, sans complaisance, puis en les aidant à recréer du lien, avec eux-mêmes, avec les autres, avec toute la création et avec Dieu. Telle est la proposition du jésuite Alexandre Masson, rencontré par cath.ch à l’occasion d’une conférence donnée à Genève, le 13 mars 2024.

«Ce qui fait notre humanité, ce qui nous rend plus vivants, c’est la relation à Dieu, la relation à soi, à son propre corps, aux autres et à toute la création.» La retrouver, la cultiver, c’est retrouver du sens là où il ne semble plus y en avoir, et retrouver le goût de l’action créatrice.

Invité par les Rencontre œcuméniques de Carême 2024, organisées par les paroisses catholiques, protestantes et évangéliques de la région franco-suisse entre Arve et Lac, le jésuite français Alexandre Masson, 31 ans, a développé cette vision spirituelle devant un auditoire sensiblement plus âgé, dans l’église évangélique de Cologny. Le fil conducteur de sa conférence, au titre coup de poing – Témoins d’une espérance, servir la vie quand tout s’effondre – lui a été inspiré par l’encyclique Laudato si’ du pape François et son «Contempler, discerner, proposer».

Le jésuite français Alexandre Masson travaille à faire du Châtelard, à Lyon, un éco-centre spirituel | © Le Châtelard

Animateur pastoral dans un lycée de Lyon et membre de l’équipe de l’Écocentre jésuite du Châtelard, près de Lyon, Alexandre Masson rencontre souvent des jeunes et des moins jeunes gagnés par l’éco-anxiété et la désolation intérieure qu’elle entraîne. L’écologie n’est pas simplement une affaire d’action extérieure, d’engagement, de lutte politique et sociale, leur rappelle-t-il alors. Il y a aussi une transition intérieure à vivre. «C’est entrer dans une autre manière de se rapporter au monde, à soi, aux autres, à la création et à Dieu.»

Regarder la réalité en face

La première étape de ce processus de conversion à laquelle les chrétiens sont appelés pour prendre soin de la création est de prendre connaissance des désastres environnementaux. Difficile de ne pas être gagné par la désespérance si on s’arrête là! «On voit la catastrophe arriver, on sent que les décideurs ne peuvent ou ne veulent pas prendre les décisions qui permettraient de réagir suffisamment fort. On se sent alors dépassé, en colère, et on s’enfonce dans ce climat d’effondrement général qui nous environne.»

Pour relever la tête, à la suite du pape François et de bien d’autres leaders religieux, le jeune jésuite français invite chacun, dans un deuxième temps, à «prendre position», c’est-à-dire à reprendre la main sur sa responsabilité individuelle et collective. Et cela passe par une nouvelle prise de conscience: celle du tissu de relations qui constitue la vie.

«Le bœuf bon marché que je mange a probablement été nourri par du soja importé d’Amérique latine, cultivé sur des terres amazoniennes déboisées, déboisement qui contribue au réchauffement de la terre… Y penser, c’est réaliser que mon mode de vie me met en relation avec un certain nombre de personnes, avec un certain nombre d’êtres vivants et a des répercussions sur les autres.»

Se mettre au service de la vie

Ensuite, chacun est appelé à discerner et à choisir. «Même dans les situations où on a l’impression que tout se délite, on peut se mettre au service de ces relations, en prendre soin, les nourrir, et en ce sens servir la vie.»

«Dieu domine en créant, en faisant exister l’altérité… C’est toute autre chose que de mettre la main sur la création!»

Comme l’a dit le pape François, cité par Alexandre Masson lors de sa conférence, l’écologie est forcément intégrale. Toutes nos actions nous engagent sur quatre niveaux de relations: avec plus grand que moi, c’est-à-dire Dieu, avec mon propre corps, avec les autres humains et avec la création entière. La dimension environnementale est donc intrinsèquement liée à la dimension sociale. «Ma manière de me rapporter aux éléments naturels comme à des ressources à consommer dit quelque chose de la manière dont je me rapporte à mes semblables, hommes et femmes dans la société, sous le mode de la consommation parfois», remarque-t-il.

«Moins c’est plus», un excellent slogan

Si on se contente de tendre la main pour «mettre la main sur», on entre dans un processus de chosification de l’autre, que cet autre soit un être humain, un être vivant autre que l’humain, ou la terre qui nous a été confiée. Et de voir dans ce processus la racine même de la crise écologique. «Dieu domine en créant, en faisant exister l’autre, en faisant exister l’altérité, en permettant à sa création, dont l’homme fait partie, d’exister devant lui. C’est toute autre chose que de mettre la main sur la création!» s’exclame le jésuite. Et l’homme est invité à faire pareil.

Pour Alexandre Masson, le slogan de la Campagne de carême suisse «Moins, c’est plus» est dans la droite ligne de Laudato si‘. Tout comme le concept de sobriété heureuse «inventé» par Pierre Rabhi, il ouvre la voie à des réponses concrètes, en réinterrogeant nos conceptions de ce qu’est qu’une vie désirable, une vie d’homme. «C’est le message que j’essaye de transmettre aux jeunes que j’accompagne. Ce n’est pas parce qu’on a le téléphone dernier cri ou qu’on passe des vacances dans une belle capitale européenne, en y allant en avion, qu’on va avoir une vie plus pleine, plus savoureuse.»

Volontariat et miséricorde

Sur un plan plus intérieur, l’éco-spiritualité, c’est aussi prendre conscience que la solution n’est pas qu’une affaire de volontariat, de combat. A ceux qui se sentent en colère à l’égard des générations précédentes ou des politiciens qui ne s’engageraient pas assez, il propose un travail de réconciliation et la redécouverte de la miséricorde. «On peut faire résonner dans ce contexte la parole de Jésus d’aimer ses ennemis, celui qui roule en 4×4 par exemple!»

Des oasis résurrectionnelles

Ce travail de conversion peut aussi s’inspirer de la Passion et de la Résurrection du Christ. Pour le jésuite Alexandre Masson, le monde a plus que jamais besoin «d’oasis résurrectionnelles», de lieux où rendre témoignage de cette espérance. Et le Centre spirituel jésuite le Châtelard en serait justement un (voir encadré).

 «Parler d’espérance, ce n’est pas dire que le monde ne va pas s’effondrer. A vue humaine, le Christ court à l’échec. Pourtant il demeure ouvert à la relation, avec les disciples, avec son Père et même avec ceux qui le crucifient. Si l’histoire s’arrêtait là, on se dirait juste ‘c’est un héros’. Mais il a été ressuscité et cette résurrection éclaire d’un jour nouveau les gestes qu’il a posés durant sa Passion. Tous les petits gestes d’amour, de don de soi, de service dans un contexte pas favorable participent de l’éternité de Dieu.» (cath.ch/lb)

Le Châtelard, laboratoire d’écologie intégrale
«Urgent, le Châtelard recrute un chef cuisinier!» L’annonce clignote d’entrée sur la page d’accueil du site web du centre spirituel jésuite. Situé dans une propriété boisée de 35 hectares, à 8 km de Lyon, le Châtelard organise depuis plus de 100 ans des retraites et des formations spirituelles. Mais depuis un an et demi, il a amorcé un important tournant, pour devenir un écocentre spirituel jésuite expérimental. Le projet est géré par une équipe de jésuites et de laïcs, parmi lesquels Jean le Borgne, laïc père de famille et directeur du centre, et Xavier de Bénazé, jésuite coordinateur du projet d’écocentre.
L’idée est de mettre en œuvre la quatrième «préférence apostolique» (priorité d’action) définie en 2019, pour les dix prochaines années, par la Compagnie de Jésus: Travailler avec d’autres pour la sauvegarde de la «Maison commune», une référence à l’encyclique Laudato si’ du pape François.
Outre les formations et retraites en lien avec l’écologie intégrale, l’équipe travaille à la transition écologique du lieu. Cela passe par l’alimentation proposée aux résidents et aux retraitants, bio et locale si possible, et avec un minimum de produits transformés (d’où l’offre d’emploi citée en préambule), l’isolation et le chauffage des bâtiments, la valorisation de la biodiversité sur son terrain…
«Il faut pour cela avoir du temps et de l’argent», a expliqué Alexandre Masson lors de la conférence. La Province des jésuites d’Europe occidentale francophone a décidé d’investir les deux, pour faire de ce centre un «laboratoire» écologique. Car cela passe nécessairement par des tâtonnements. «Nous voulions faire un poulailler, par exemple. Mais avec les usines chimiques du sud de Lyon, on a découvert que notre sol était contaminé. Et comme les poules fouillent la terre pour trouver de quoi manger, il y aurait eu un risque sanitaire à consommer nos œufs. On a mis en suspens le projet. Après des analyses du sol, il a finalement été relancé!»
Une attention particulière est portée aux jeunes gagnés par l’éco-anxiété. Des sessions y sont organisées pour mettre en rapport l’Évangile avec Le Travail qui Relie, une méthode d’éco-psychologie, non spécifiquement chrétienne, élaborée par l’Américaine Joanna Macy dans les années 80. Elle vise à lutter contre l’épuisement, la désespérance, l’angoisse d’un certain nombre de militants engagés en écologie, qui voient que les décisions ne sont pas prises suffisamment vite pour que ça change. LB

«L’oasis résurrectionnelle» Le Châtelard | © Le Châtelard
Le pasteur Jean-René Moret | © Lucienne Bittar

Le climat, Dieu, l’espérance et le contentement
Dans le cadre de ces mêmes Rencontres œcuméniques de Carême 2024, le pasteur et physicien Jean-René Moret a présenté sous ce titre, quelques jours auparavant, à la paroisse catholique de Vésenaz, une autre conférence. «On maltraite notre planète, on lui demande toujours plus, parce qu’on est toujours en train de chercher la chose de plus qui va nous satisfaire. Mais rien de tout cela ne nous remplit vraiment. Blaise Pascal disait que cette insatisfaction, vient du fait qu’on a dans notre cœur la trace de Dieu, du bonheur de la relation avec Dieu, et que rien d’autre ne peut le remplir parce que Dieu est infini.»
Le pasteur Moret est convaincu que la réponse à l’éco-anxiété est à rechercher du côté du contentement proposé par saint Paul. Même si on ne vit que des instants de plénitude sur cette terre,, il ne faut jamais renoncer à «rechercher la proximité avec Dieu». Ainsi partager l’Évangile avec des jeunes qui désespèrent «est une des meilleures aides qu’on puisse leur apporter. Il faut leur dire qu’à la fin Dieu va rétablir toute chose, comme il s’y est engagé. Chacun a une responsabilité mais Dieu travaille aussi. C’est encourageant plutôt qu’écrasant.» LB

Lucienne Bittar

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