Comment un abus sexuel a abouti à l'excommunication d’un diacre

L’excommunication, en mars 2024, d’un diacre catholique en Louisiane a attiré l’attention de la presse américaine. Scott Peyton a en effet rejoint l’Eglise anglicane pour protester contre le traitement par l’Eglise catholique de l’abus sexuels subi par son fils.

L’affaire, analysée par le site catholique conservateur The Pillar, illustre la difficulté de l’Eglise à appliquer correctement des sanctions dans les cas d’abus sexuels. L’excommunication elle-même a été présentée dans les médias locaux comme une réponse directe de l’évêque aux critiques formulées par le diacre à l’encontre des politiques diocésaines en matière d’allégations d’abus sexuels. L’affaire soulève en effet des questions sur la prise de décision épiscopale et la transparence dans une situation pastorale difficile.

Victime d’abus à l’age de 16 ans

En 2015, le fils du diacre, alors âgé de 16 ans, a été victime d’attouchements de la part d’un prêtre du diocèse de Lafayette, en Louisiane. Le prêtre a été reconnu coupable d’avoir fait boire de l’alcool au jeune homme et de l’avoir agressé sexuellement après que le garçon s’est évanoui. En 2019, le prêtre a été condamné à une peine de prison.

Le diocèse l’a définitivement exclu du ministère, mais il n’a pas été renvoyé de l’état clérical. Il n’est pas clair si son dossier a été transmis à Rome comme l’exige le droit canonique. Selon la pratique habituelle dans les diocèses américains, le transfert se produit après la conclusion des procès criminels et des litiges civils.

La famille a poursuivi le diocèse en justice pour obtenir des dommages et intérêts, et a conclu un accord de 350’000 dollars en avril 2021, le diocèse présentant des excuses publiques à la famille Peyton.

«L’hypocrise de l’Eglise»

Cette décision n’a cependant pas permis l’apaisement, tant les années de procédures ont été difficiles pour le diacre et toute sa famille. 

Le diacre a pris un congé d’environ 18 mois du ministère actif. Il lui a été très pénible de «faire face à l’hypocrisie du diocèse et de l’Église». Il s’est dit surtout choqué de voir les lobbyistes de l’Église être si actifs au parlement de l’Etat pour s’opposer aux projets de loi qui allongeraient le délai de prescription pour les victimes d’abus sexuels.

« J’en suis arrivé à un point où j’aurais dû quitter l’Église depuis longtemps. L’institution et les membres du clergé s’interposaient en quelque sorte entre moi et ma foi. En plus de perdre la foi dans l’institution de l’Église, cela à commencé à éroder la foi de notre famille dans le Christ », a expliqué Scott Peyton à The Pillar.

Objection de conscience

Au début du mois de décembre 2023, le diacre a écrit à son évêque Mgr Douglas Deshotel que le traumatisme était devenu trop important. « La douleur et la souffrance endurées par les victimes, notre famille et, surtout, notre fils, associées à ce qui semble être un échec systémique dans le traitement et la prévention d’actes aussi odieux, m’ont laissé désillusionné et incapable de réconcilier mon engagement envers l’Église avec ma conscience ». En conséquence, il lui déclarait qu’il avait décidé de quitter son ministère diaconal et l’Église comme «le seul choix éthique que je puisse faire à ce stade ».

« Cette décision n’est pas un rejet de ma foi en Dieu ou de mon engagement à mener une vie guidée par des principes chrétiens, précisait-il. Elle reflète plutôt une objection de conscience face à la manière dont l’Église a traité les cas d’abus sexuels, et un désir de me distancier d’une institution qui, actuellement, ne respecte pas les valeurs qu’elle professe ».

Mgr Deshotel a répondu en se déclarant triste de cette décision avec une promesse de prière et une exhortation à rester « ouvert au don de la foi dans l’Église catholique fondée par Jésus-Christ et bâtie sur les Apôtres ».

Inscrit dans l’Eglise anglicane

En janvier 2024, S. Peyton et sa famille se sont inscrits à l’église anglicane de la Trinité à South Lafayette, tout en gardant le silence sur cette décision afin d’éviter la controverse. Au début mars, le diacre a finalement posté sur Facebook une note indiquant que lui et sa famille s’étaient joints à une église anglicane.

Le diocèse a rapidement réagi, lui indiquant le 13 mars qu’il s’était mis dans une situation canonique irrégulière et qu’il encourait une excommunication latae sententiae (automatique), en vertu du canon 1364 §1. « Les censures de l’Église se veulent médicinales. C’est avec cet objectif que je dois les déclarer avec tristesse », a écrit Mgr Deshotel.

Excommunication

Le décret de l’évêque a suscité les interrogations de nombreux catholiques se demandant pourquoi un ecclésiastique peut être excommunié pour avoir rejoint une église anglicane, mais pas pour avoir abusé d’un mineur. Un détour par le droit canon est ici nécessaire.

En effet, en droit canonique, les abus sexuels ne sont pas passibles d’excommunication. La raison en est la suivante: l’excommunication figure parmi les peines dites ›médicinales’. Elle n’a pas de nature permanente et est destinée à encourager une conversion ou un changement de situation. Elle peut être révoquée dès que la personne excommuniée exprime sa contrition et modifie la situation incriminée.

La perception populaire de l’objectif de l’excommunication est généralement erronée, note The Pillar: la peine est souvent considérée comme la sanction pénale la plus grave que l’Église puisse imposer – comme une mise à l’écart, un bannissement officiel, voire une condamnation à la damnation. Ce qu’elle n’est pas, puisqu’elle peut être levée.

Peines expiatoires

De l’autre côté, les peines associées aux abus sur mineurs sont considérées comme « expiatoires ». Elles sont de nature punitives pour rétablir la justice et réparer le scandale. Elles sont durables ou définitives. Ces peines comprennent les diverses suspensions de ministère et vont jusqu’au renvoi de l’état clérical. Les peines expiatoires ne sont pas déterminées latae sententiae (automatiques), rappelle The Pillar.

Un acte schismatique

Pour les canonistes, il n’est pas surprenant qu’un ecclésiastique ayant officiellement rejoint une communauté ecclésiale non-catholique soit soumis à un décret d’excommunication. L’acte d’adhésion à une église anglicane doit être considéré comme un acte de schisme, ce qui entraîne la peine d’excommunication latae sententiae selon le canon 1364&1. L’évêque a l’obligation de constater le fait et de publier un décret à cet effet.

Mais les canonistes remarquent aussi que le diocèse de Lafayette n’a donné aucune indication que sur le fait que Mgr Deshotel a exhorté ou non son diacre à clarifier son intention de célébrer le culte dans une église anglicane, ou s’il l’a invité à reconsidérer sa décision.

La décision de l’évêque de déclarer l’excommunication semble avoir été communiquée trop rapidement compte tenu des graves difficultés auxquelles la famille Peyton a été confrontée. Certains canonistes invoquent le canon 1344 qui précise que l’imposition d’une peine peut être différée « si l’on prévoit que des maux plus graves peuvent résulter d’une punition trop précipitée du coupable».

Silence radio

Alors que la question de l’excommunication de S. Peyton est devenue une source de préoccupation et de confusion pour les victimes d’abus et leurs défenseurs, le diocèse de Lafayette a refusé pour l’heure de répondre aux questions des médias. «Dans la culture ecclésiastique institutionnelle, le fait de laisser traîner une histoire problématique n’est pas une réponse inhabituelle», déplore The Pillar. (cath.ch/thepillar/mp)

Maurice Page

Portail catholique suisse

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